Une succession d’attaques contre des symboles de l’Etat laisse craindre un retour de la violence terroriste, après l’avoir maîtrisé au terme de plusieurs années de lutte sans répit, avec un fait nouveau, cette fois, non négligeable, à savoir que ces symboles sont devenus une cible, y compris à l’étranger, ce qui est gravissime. 18 juin 2023, la résidence de l’ambassadeur de Tunisie à Khartoum est attaquée, saccagée et pillée par des groupes armés. Une attaque impromptue et inédite, fermement dénoncée par les autorités tunisiennes mais qui soulève moult interrogations en raison du fait que les relations bilatérales entre la Tunisie et le Soudan ne souffrent d’aucune tension. Le lendemain, 19 juin 2023, un agent de sécurité en poste devant l’ambassade du Brésil est attaqué à l’arme blanche, il succombera à ses blessures quelques petites heures plus tard. L’agresseur est identifié comme un enseignant du secondaire de 53 ans souffrant de troubles psychiques. L’attaque a été classée « acte criminel ».
Une lecture médiatique de ces deux faits gravissimes nous permet de pousser plus loin l’analyse et de souhaiter que des investigations profondes, diplomatiques pour l’une et sécuritaires pour l’autre, soient menées afin de barrer la route à tout imprévu et d’empêcher que des attaques similaires se reproduisent. Une des thèses qui pourraient expliquer la prise à partie de la résidence de l’ambassadeur tunisien à Khartoum repose sur le fait qu’un des deux belligérants dans le conflit armé qui oppose deux généraux soudanais est Abdelfattah Al Bourhane, une des figures du mouvement islamiste soudanais proche des Frères musulmans. Loin de nous l’intention de porter la moindre accusation hasardeuse sur la gent militaire soudanaise, mais il n’est pas exclu que des sympathisants islamistes soudanais, proches des Frères musulmans, profitent de l’ambiance chaotique qui prévaut à Khartoum depuis le début du conflit, au mois d’avril dernier, pour exprimer avec cette violence provocatrice leur opposition à la cabale judiciaire qui vise en Tunisie l’un des leaders historiques de l’organisation, Rached Ghannouchi, et certains de ses compagnons de route. Dans un communiqué du ministère tunisien des Affaires étrangères, la Tunisie a fermement condamné « la prise d’assaut » de la résidence de son ambassadeur « en violation de la Convention de Genève sur les relations diplomatiques » et a exhorté les autorités soudanaises à faire le nécessaire pour trouver les coupables, les arrêter et les juger. Ce qui est loin d’être aisé car dans le cas contraire, les autorités soudanaises auraient réussi à mettre un terme à ces attaques perpétrées par des groupes armés qui ont déjà pris d’assaut l’ambassade du Qatar au mois de mai dernier. Le ministre soudanais des Affaires étrangères avait accusé les milices des Forces de soutien rapide que Khartoum accuse également d’avoir attaqué d’autres chancelleries (évacuées) telle que l’ambassade de l’Inde, le bureau culturel saoudien, la résidence des diplomates suisses et une section consulaire turque. Dans le chaos de la guerre, tout devient permis, même les pires atrocités. Ce pourquoi il faut souhaiter que la gestion de nos affaires internes, aussi controversée soit-elle, reste une affaire interne et n’influe pas sur nos relations avec les autres pays. Les Tunisiens gardent un mauvais souvenir de ce genre d’incidents depuis l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis en 2012 par des hordes de salafistes. Il faut croire que la politique ou plutôt les tensions politiques ne sont jamais bien loin de cette violence.
Autre attaque, le lendemain 19 juin. Devant l’ambassade du Brésil, dans un quartier (des ambassades) huppé de Tunis, un agent des forces de l’ordre qui montait la garde est mortellement attaqué à l’arme blanche, il succombera à ses blessures quelques instants plus tard. La version officielle du ministère de l’Intérieur indique que l’agresseur, un enseignant de 53 ans, a voulu pénétrer dans le bâtiment de l’ambassade et qu’il a été stoppé par l’agent sécuritaire. L’affaire sera classée « acte criminel » et l’agresseur identifié comme un individu présentant des troubles psychiques. Cette agression contre un représentant des forces de l’ordre a lieu en plein démarrage de la saison touristique et à deux mois de l’attaque de la Ghriba, qui a fait cinq morts, dont deux pèlerins juifs et trois policiers ; elle vient nous rappeler que la menace terroriste n’est toujours pas écartée et qu’il ne faut baisser ni la garde ni la vigilance. En l’absence d’informations sur le mobile de l’attaque, il y a lieu de s’interroger : pourquoi l’ambassade du Brésil ? La Tunisie entretient des relations paisibles avec ce pays membre du groupe des BRICS, comme avec tous les autres pays. Les bouleversements géopolitiques que connaît le monde depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine et qui menacent l’hégémonie occidentale, notamment américaine, peuvent attirer l’hostilité de certains opposants à la montée des BRICS dont le Brésil fait partie. Mais cette fois encore, on ne saura pas les raisons du choix du lieu de l’attaque, comme on ignore celles de l’attentat-suicide du 6 mars 2020, classé attaque terroriste, qui a eu lieu devant l’ambassade américaine et qui a, également, coûté la vie à un policier.
La Tunisie traverse une période de son histoire particulièrement compliquée et chargée de moult défis qu’il urge de relever. Mais pour ce faire, la Tunisie a besoin d’un rassemblement national sous une direction sage et visionnaire, de cohésion sociale et de solidarité. On en est encore bien loin. La situation politique et sécuritaire restera sous tension tant que l’instruction judiciaire de l’affaire dite du complot contre la sûreté de l’État n’aura pas été achevée et n’aura pas révélé tous ses secrets, et l’économie nationale restera menacée d’effondrement et la paix sociale d’explosion si les finances publiques ne sont pas rééquilibrées dans les plus brefs délais. Les dernières promesses de financements faites par les dirigeants européens sont essentiellement réservées à la lutte contre la migration clandestine. Quant à l’impasse financière dans laquelle est coincée la Tunisie, malgré des signes de reprise dans certains secteurs comme le tourisme, on ne s’en sortira qu’une fois l’accord de prêt du FMI validé. Pourvu que le secrétaire d’Etat américain Antonny Blinken dise vrai, au sujet de l’acceptation par les Américains du plan de réformes révisé que le gouvernement Bouden entend présenter au FMI.
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