Combattre le terrorisme 2.0.

Lors de l’attaque terroriste contre le musée du Bardo et le groupe de touristes en visite, certaines informations avaient circulé indiquant que l’un des terroristes avait pris le temps de filmer l’attaque et plus particulièrement les victimes ensanglantées pour pouvoir les exhiber sur la Toile. Un moyen pour ce groupe de terroristes pour crier victoire et montrer leurs prouesses qui pourraient convaincre d’autres jeunes à rejoindre leurs rangs.

L’utilisation de la Toile par les terroristes n’est pas surprise ni une découverte. En effet, la nouvelle génération de terroristes a fait du cyberespace un endroit privilégié de leur action donnant naissance au terrorisme 2.0. Il s’agit d’un changement majeur pour les nouvelles générations de djihadistes qui ont, en peu de temps, déclassés leurs ainés d’El Qaeda qui sont devenus des « has been ». Car entre les cassettes audio et les quelques vidéos mal filmées de Aymen Zwahiri et les montages d’images, l’usage de Twitter, de Facebook et de toutes les innovations des réseaux sociaux, il y a un monde que cette nouvelle génération tente à mettre à profit dans ses desseins machiavéliques.

Et, cette intrusion dans la Toile n’est pas étonnante de la part d’une nouvelle génération de jeunes qui n’ont pas connu le monde matériel de la modernité et qui ont grandi dans l’univers de la Toile et de la postmodernité. Et, ce qui était un espace de liberté et d’émancipation pour des générations entières, des lourdeurs et des contraintes du monde de la modernité et de son archaïsme, est devenu un univers de conspiration contre l’humain et sa quête d’autonomie et d’indépendance. Ainsi, la Toile et les réseaux sociaux sont aujourd’hui au cœur du fonctionnement des nouvelles générations des djihadistes 2.0.

Les nouveaux apprentis sorciers du djihad mobilisent la Toile de manière forte et lui accordent plusieurs fonctions. La première est la propagande à leurs projets en expliquant leurs desseins de construire notre monde vers la société de la vertu qui permettraient aux musulmans de revenir à la source originelle du message divin et répondrait à la crise de nos sociétés. Un discours conforté avec beaucoup d’images et une mise en scène digne des plus grands groupes de communication. Cette propagande est également renforcée par des images venues des terres du « djihad » notamment de Syrie ou d’Irak, montrant les djihadistes en action et particulièrement mettant l’accent sur des images crues de violence. Ces images, comme celles de la décapitation de certains otages occidentaux, montrent un jusqu’auboutisme et une détermination de nature à plaire à certains jeunes marginalisés et désarçonnés par les mutations de notre monde et qui parfois deviennent des cibles faciles aux recruteurs des groupes djihadistes.    

C’est là que réside une autre fonction essentielle de la Toile pour le cyber terrorisme et qui concerne le recrutement. Et, on ne compte plus le nombre de jeunes qui ont été recrutés sur la Toile et que les djihadistes ont convaincu pour rejoindre des causes aussi éloignées que perdues. Et, l’usage de la Toile ne se limite plus à la propagande et au recrutement mais se trouve intégré aujourd’hui par les groupes intégristes dans leurs opérations militaires et notamment dans les échanges et la communication entre les différents groupes pour mieux préparer leurs actions et leurs opérations.

Ainsi, sommes-nous en présence d’une nouvelle génération de terroristes qui ont fait de la Toile un important champ d’intervention dans la poursuite d’un projet politique totalitaire et totalement anachronique par rapport à notre monde.

Mais, le vrai défi réside dans le retard enregistré par les Etats et les gouvernements dans la réponse au développement de ce cyber terrorisme. Certes, des efforts ont été effectués dans beaucoup de pays et notamment en Tunisie pour déjouer la propagande djihadiste et les appels à l’enrôlement des jeunes. Ainsi, les experts en informatique en coopération avec les services de sécurité ont redoublé d’efforts pour débusquer les sites de propagande et nettoyer la Toile de ces appels à la haine et au meurtre de l’autre au nom de l’Islam. Plusieurs sites ont été ainsi fermés et la surveillance est devenue plus présente.

Cependant, cette stratégie de réponses à la dérive terroriste sur la Toile est restée très défensive et devrait passer à une nouvelle phase plus offensive. Ainsi, on ne devrait plus se limiter à la fermeture des sites et à l’approche sécuritaire de la lutte contre le terrorisme 2.0. Il est temps de développer des stratégies globales pour faire face à ce fléau notamment en utilisant tous les réseaux sociaux pour communiquer en montrant les crimes de ses groupes et en dévoilant leurs projets funestes. Ces sites et ces réponses doivent associer une pluralité d’acteurs notamment des éducateurs, des politologues, des spécialistes des questions de l’Islam. Et, surtout, ils doivent s’assurer de la participation de jeunes et de militants de la société civile qui mieux que quiconque sauront être plus convaincants et utiliseront le langage qui trouvera de l’écoute auprès de ces milliers de jeunes tentés par le passage à l’action terroriste. La convergence de ses efforts permettra de remettre en cause les projets totalitaires de ces groupes et surtout favoriser une autre image d’un islam pluriel et ouvert sur le monde. Mais, cette stratégie suppose aussi un basculement dans la Toile des acteurs en charge de cette lutte, notamment en développant la logistique nécessaire en termes de connexion, de matériels et de formation.

Jusque-là, le cyber terrorisme a eu une longueur d’avance sur des acteurs encore cantonnés dans le monde de la modernité physique et incapable de s’inscrire dans le nouveau monde de l’immatérialité qui se développe sous nos yeux. A nous également de le traquer sur la Toile en basculant dans la postmodernité et en faisant de la Toile 2.0 notre allié.        

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