Nous oublions souvent que nous vivons dans un pays soumis au stress hydrique et avons tendance à ne pas rationaliser notre consommation d’eau, alors que les deux tiers du territoire de la République connaissent un climat sec.
Notre préoccupation d’intensifier les cultures, pour faire face à la consommation et pour promouvoir l’exportation, fait que 70% des eaux disponibles servent à l’irrigation de 420.000 ha. Les besoins du tourisme et de l’industrie nécessitent également une bonne partie des eaux potables.
Pour assurer l’approvisionnement en eau potable de l’ensemble du pays, la SONEDE est réduite à recourir à des solutions coûteuses et innovantes, notamment pour le sud et l’extrême sud du pays. Cela implique des investissements lourds pour faire face aux pénuries conjoncturelles de l’été, mais aussi à celles nécessaires pour compenser le déficit structurel qui s’annonce avec l’augmentation de la consommation.
Mobilisation des ressources : vers la saturation
Au cours des trente dernières années et au bout de deux plans décennaux de mobilisation des ressources hydrauliques, on peut dire que notre pays dispose d’une infrastructure de base solide permettant de mobiliser 90% des eaux courantes de surface. Cela permet de faire face aux besoins en eau potable de 80% de la population du pays, d’irriguer 420.000 ha de cultures intensives et de sécuriser l’alimentation des hôtels et des industriels.
Avec la croissance des besoins, notamment dans le sud et l’extrême sud, il se pose un problème de volume et de qualité des eaux. Pour l’eau potable, la SONEDE doit respecter la norme OMS, celle-ci étant un maximum de 5 grammes de sel par litre.
Le nord-ouest étant le château d’eau de la Tunisie grâce à la pluviométrie abondante et au relief montagneux, plusieurs barrages-réservoirs ont été édifiés sur les oueds Mellègue, Medjerda et autres pour l’irrigation et l’alimentation en eau potable de la population.
Le stock d’eau accumulé dans les barrages durant les années pluvieuses permet de faire face aux besoins lorsque survient la sécheresse : le cycle est de deux années sèches tous les 5 à 6 ans en moyenne.
Quant à l’irrigation, c’est la mission du ministère de l’Agriculture qui veille à l’aménagement des périmètres irrigués et confie aux groupements de gestion des eaux le rôle de répartir celles-ci entre les paysans. Pour l’eau potable, c’est la SONEDE qui prend en charge la distribution et l’alimentation en eau des habitants.
Avec la croissance démographique et l’augmentation de la consommation d’eau potable découlant de l’expansion industrielle et du développement du tourisme, l’eau collectée dans les barrages du nord-ouest et transférée vers le Cap Bon, le Sahel et la région de Sfax se révèle insuffisante pour assurer la sécurité des approvisionnements en eau dans l’avenir immédiat.
C’est pourquoi la SONEDE a de plus en plus recours à des sondages profonds et aux motopompes pour alimenter son réseau de distribution.
Renforcement des infrastructures de base
La fragilité et la précarité de notre système de distribution d’eau potable ne sont pas dues seulement à l’insuffisance et à l’irrégularité de nos ressources et disponibilités en eau, mais également à la précarité de nos infrastructures de base : canalisations, réservoirs et équipements de pompage.
C’est ainsi que les perturbations en matière d’alimentation en eau et les coupures multiples qui ont eu lieu durant l’été 2012 au Cap Bon, au Sahel, à Mahdia et à Sfax ont révélé plusieurs défaillances et dysfonctionnements.
Le Sahel et la région de Sfax sont alimentés à partir des eaux mobilisées par les grands barrages du nord-ouest du pays à travers la station de pompage de Karkar. Plusieurs réalisations seront nécessaires en 2013 et 2014 pour renforcer les infrastructures de base et les équipements afin de sécuriser cet approvisionnement pour un investissement total estimé à 52 MD par les responsables de la SONEDE.
Il faudra doubler la canalisation d’amenée d’eau de Karkar vers Sfax sur une distance de 12 km, avec un débit supplémentaire de 300 litres par seconde de manière à porter le débit total du transfert de l’eau à 1500 litres/s. La durée des travaux est évaluée à douze mois.
L’acquisition et l’installation de motopompes puissantes à Karkar, la première sera fonctionnelle et la seconde servira de secours avec sécurisation de l’alimentation électrique en cas de coupures de la STEG, grâce à un groupe électronique qui coûtera près de 2 MD pour un débit de 500 litres/s.
Six sondages profonds, équipés de motopompes pour puiser l’eau dans la nappe aquifère seront nécessaires pour la région de Sfax, dotés des canalisations nécessaires pour le raccordement au réseau de distribution d’eau actuel.
Le coût de l’investissement complémentaire est estimé à 5,5 MD.
Pour la région de Sidi Bouzid, quatre sondages profonds avec un débit de 90 litres/s sont nécessaires pour une alimentation correcte de la population. Le montant des travaux est évalué à 2,4 MD.
Pour le Sahel, un barrage-réservoir sera construit près de Kalaa Kebira avec une capacité de stockage de 26 M de m3. L’alimentation se fera à partir de Karkar grâce à la deuxième motopompe d’un débit de 300 litres/s de manière à parvenir à un débit total de 2,4 m3.
Pour l’ensemble du pays, six barrages sont en cours de construction sur différents cours d’eau, ils ont subi des retards et des interruptions de chantiers depuis le déclenchement de la Révolution et doivent connaître un processus de rattrapage du temps perdu.
L’objectif consiste à renforcer le dispositif de mobilisation des ressources en eau du pays.
SONEDE : pourquoi une gestion déficitaire ?
Il faut savoir que la SONEDE ne fait pas payer à ses abonnés le prix de l’eau, mais facture seulement le prix de ses services, à savoir le prix des branchements, la location des compteurs et l’entretien du réseau. En somme, l’eau collectée par l’État (ministère de l’Agriculture) qui a la responsabilité de l’édification des ouvrages hydrauliques, à la charge de la communauté nationale. Ce qui fait que la SONEDE doit faire face à plusieurs défis actuels et futurs.
Tout d’abord les détournements et vols d’eau par 80.000 citoyens, responsables de raccordements clandestins qui exploitent 25% de l’eau potable souvent à des fins agricoles : irrigation des terres et des cultures. Aggravée depuis la Révolution, cette situation grave persiste et demeure impunie depuis plusieurs années. Il y a ensuite le déficit financier de la SONEDE qui est de 90 MD et dont l’origine partielle est constituée par l’énormité des impayés, soit 240 MD : retards et défaut de paiement de certains clients, dont des institutions publiques à hauteur de 65 MD.
La SONEDE doit faire face à 150.000 cassures chaque année sur son réseau, particulièrement fragilisé par sa vétusté. Elle doit procéder à l’acquisition de 350.000 nouveaux compteurs fiables pour remplacer les anciens, devenus plus ou moins obsolètes.
Près de 200 km de canalisations doivent être rénovées chaque année sur les 1000 km nécessaires en raison de leur usure, ce qui représente des charges lourdes pour l’entreprise nationale, 70% des clients de la SONEDE se trouvent dans les zones côtières qui consomment les 2/3 de la consommation nationale.
La pénurie structurelle d’eau de l’extrême sud
Le sud et l’extrême sud connaissent un déficit structurel en eau : Djerba, Tataouine et Ghomrassen. Cela est dû au fait que la nappe d’eau profonde s’épuise alors que la consommation connaît une progression vertigineuse.
À cela s’ajoute la sécheresse conjoncturelle. C’est le cas de la nappe d’eau profonde de Medenine qui a baissé de 60%, en attendant le retour des pluies. La SONEDE ne peut amener les eaux du nord jusqu’à Medenine, ce serait trop couteux, d’où le recours aux sondages profonds et de plus en plus aux stations de désalinisation des eaux de mer.
Des solutions novatrices et coûteuses à long terme
Le recours à des ressources en eau novatrices notamment pour faire face au déficit structurel en eau de l’extrême sud, non seulement est indispensable, mais ira aussi croissant à l’avenir.
Pas moins de six stations de dessalement de l’eau de mer sont prévues par la SONEDE au cours des cinq prochaines années.
Deux projets ont même été mis en chantier, l’un à Sfax et l’autre à Djerba, celui de Sfax est à réaliser en deux étapes avec une mise en exploitation en 2018.
Le coût de l’investissement s’élève à 300 MD avec un financement accordé par le Japon. À Djerba, la pénurie en eau est structurelle depuis 2006 et la station de dessalement de l’eau de mer sera bientôt mise en place grâce à un prêt allemand d’un montant de 130 MD. La convention sera signée incessamment et la mise en exploitation est prévue pour 2016.
30 MD d’investissements supplémentaires seront nécessaires pour réaliser les canalisations de raccordement de la station au réseau de distribution d’eau de la SONEDE.
En attendant la réalisation de ces projets, des solutions d’attente doivent être mises en place pour éviter pénuries et coupures d’eau. Il s’agit des stations mobiles : le coût unitaire est de 20 MD par station. Ce genre de solutions sera à généraliser à l’avenir à Gabès et ailleurs dans l’extrême sud. Quatre grands projets de dessalement d’eau de mer sont programmés pour l’avenir. Djerba, Azzarat destiné à desservir Gabès, Tataouine et Medenine, Sfax puis Kerkennah. Ces quatre stations seront en principe prêtes avant 2020 pour un investissement global, assez lourd, soit 800 MD.
Ridha Lahmar
Gaspillages, fuites et vols de l’eau
La vétusté des canalisations de distribution d’eau de la SONEDE, ainsi que l’insuffisance de la maintenance et du renouvellement du réseau sont responsables du taux élevé des fuites et pertes d’eau, décelées ou non.
En effet, ce taux est évalué entre 20 et 30% de la consommation nationale d’eau potable, ce qui est beaucoup.
La SONEDE ne dispose pas des instruments et équipements sophistiqués nécessaires pour identifier les fuites comme le feraient les sociétés privées en Europe (Lyonnaise des eaux par exemple) et ne dispose pas encore des moyens efficaces et des crédits nécessaires pour réaliser les rénovations et réparations qui s’imposent.
Il faut dire que la SONEDE est victime de vols d’eau. Plusieurs dizaines de milliers de citoyens ont procédé à des branchements clandestins sur le réseau qui leur permettent de puiser clandestinement de grands volumes d’eau. En outre, bien que nous soyons un pays au climat relativement sec, nous n’avons pas de culture de la rationalisation et de l’économie d’eau. En effet on observe souvent le lavage de voitures avec de l’eau courante tandis que les piscines privées consomment de gros volumes d’eau.
L’arrosage du gazon et des jardins, celui des terrains de golf avec de l’eau potable sont également une source de déperditions considérables.
Alors que le recyclage des eaux épurées dans les stations d’épuration d’eau serait plus indiqué pour cela.
Par ailleurs il est rare de constater la récupération des eaux de pluie à partir des toitures des immeubles et des maisons individuelles.