Les résultats sont passés inaperçus en dehors de quelques commentaires dans la presse et d’échanges entre experts et observateurs avertis de la situation économique. Il faut dire que l’agitation du mois de Ramadan, les prix et la disponibilité des produits que les Tunisiens chérissent au cours du mois saint, ont pris le pas sur tout le reste et n’ont laissé aucune place au débat public et encore moins à l’actualité économique.
Et pourtant, les chiffres publiés à la fin de la semaine dernière sont des plus alarmants. Il s’agit des chiffres des quatre premiers mois de la balance commerciale, publiés par l’Institut national des statistiques. L’INS nous explique que la descente aux enfers de nos équilibres externes se poursuit et que nous avons établi de nouveaux records en matière de déficit commercial avec un montant de 6,4 milliards de dinars, soit nettement au-dessus de son niveau au cours de la même période l’année passée où ce déficit se situait autour de 5 milliards de dinars. Certes, notre pays a connu au cours de cette période une augmentation des exportations de 16,5% par rapport à l’année précédente, mais l’accroissement des importations a été plus marqué, se situant à 18,7% et explique par conséquent le creusement sans précédent de notre déficit commercial. Cette détérioration de l’équilibre externe a été à l’origine d’une baisse de la couverture des importations par les exportations au cours des quatre premiers mois de l’année dont le taux se situe à 71,3%.
Si on examine la situation par produits, on constate une augmentation rapide des importations des produits énergétiques avec une croissance de 38,4%, suite à la hausse des achats de produits raffinés, qui sont passés de 1,7 à 1,9 milliard de dinars ainsi que le gaz naturel dont les importations sont passées de 0,5 à 1,3 milliard de dinars. D’autres secteurs ont connu une augmentation de leurs importations, mais le secteur énergétique reste le plus inquiétant avec un déficit record qui ne cesse d’augmenter au fil des ans.
Pour ce qui est de sa répartition géographique, cinq pays se distinguent en concentrant plus de 80% du déficit commercial. Il s’agit de la Chine qui vient en tête des pays avec lesquels nous enregistrons un déficit commercial avec 2 milliards de dinars, l’Algérie avec 1,1 milliard de dinars, l’Italie avec 1 milliard de dinars, la Turquie avec 0,6 milliard de dinars et la Russie avec 0,5 milliard de dinars.
Ainsi se présentent les grandes lignes de ce creusement historique de nos échanges externes. Ce creusement ne semble pas inquiéter outre mesure les responsables de nos politiques commerciales. Pourtant, il y a péril en la demeure et il est nécessaire d’agir au plus vite afin de mettre fin à ce qui ressemble de plus en plus à une descente aux enfers.
Deux raisons doivent justifier notre inquiétude et la mobilisation générale de tous les acteurs publics pour faire face à cette dérive. La première est relative à cette perte de contrôle de ce déficit qui s’installe progressivement et qui peut conduire le pays à des lendemains qui déchantent. Pour preuve, ce déficit pourrait se multiplier par deux en l’espace des trois années passées, en passant de 12,6 milliards de dinars en 2016 à un premier record de 19 milliards de dinars et les prévisions s’attendent à un nouveau record pour la fin de l’année en cours qui devrait se situer entre 22 et 24 milliards de dinars. Il s’agit d’un enchaînement risqué avec cette perte de gestion de l’équilibre externe qui pourrait avoir des effets dangeureux sur notre économie.
Le second motif d’inquiétude est lié à la possibilité de financement de ce déficit. Notre pays est toujours parvenu à financer son déficit commercial grâce à un excédent dans la balance des services et aux transferts des travailleurs immigrés, ce qui nous a permis de gérer notre balance courante et l’équilibre externe. Or, ce scénario paraît aujourd’hui compromis par l’ampleur du déficit de la balance commerciale et la possibilité de son financement devrait faire appel à un recours de plus en plus important à l’endettement international. Il s’agit du cercle dans lequel s’est enfermée notre économie depuis quelques années et sa poursuite pourrait peser lourdement sur notre capacité à honorer nos engagements internationaux.
Les résultats publiés par l’INS et nos performances en matière de commerce extérieur sont significatifs d’une crise sans précédent de nos comptes externes. Il s’agit d’un développement qui peut avoir de lourdes conséquences sur notre pays à court terme. Les pouvoirs publics doivent aujourd’hui sortir de l’attentisme et du déni et annoncer la mobilisation générale pour faire face à cette situation sans précédent dans notre histoire économique et aux conséquences dangereuses sur notre pays. n
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