Omar El Behi, ministre du Commerce, a du plain sur la planche et de nombreux dossiers épineux à traiter. Son passage dans Midi Show de mercredi 18 octobre 2017, était l’occasion d’aborder deux problématiques de fond, aux répercussions notables sur le pays : la réforme de la caisse générale de compensation et le déficit de la balance commerciale.
Une réforme progressive doit être mise en place pour éliminer « les distorsions » du premier point, selon le ministre. Quant au déficit commercial, il annonce une panoplie de mesures, dont plusieurs sont inscrites dans le projet de loi de Finances 2018, visant à « rationaliser » les importations et à stimuler les exportations.
Compensation : une distorsion à des millions de dinars !
« Le système de compensation constitue et restera un choix stratégique pour le gouvernement d’union nationale », commence par dire Omar El Behi au micro de Boubaker Akacha. Le projet de loi de Finances 2018 prévoit un montant de 1570 millions de dinars (MDT) de compensation pour les produits de base, 1500 MDT pour les hydrocarbures et 450 MDT pour le transport. La grande problématique réside dans la « distorsion » qui caractérise le système. Un terme répétés à maintes reprises par le ministre qui expose les effets pervers du système, par le biais de l’exemple des produits céréaliers.
Cette subvention coûte 1060 millions de dinars aux contribuables, d’après Omar El Behi, qui rappelle que deux subventions existent : l’une relative au blé tendre et l’autre au blé dur. Le blé tendre, enchaîne-t-il, est acheté à 50 TND par l’Etat pour les 100 kg. L’Etat le revend aux semouleries à 20 TND. Ces mêmes semouleries le revendent aux boulangeries à 6 TND les 100 kg – le grand pain -. « Ces boulangeries, outre ce bas prix, bénéficient d’une subvention supplémentaire de 12 TND accordée par la caisse de compensation. En somme, elles achètent la farine à un prix négatif, soit -6 TND ! », explique-t-il.
Un système anti-économique
La tendance est la même pour les boulangeries fabriquant les baguettes. Ces dernières se procurent les 100 kg de blé tendre à 20 TND et l’Etat leur rembourse 11 TND. En somme, le coût est de 9 TND seulement. « Il est inconcevable d’acheter à un prix négatif », s’indigne Omar El Behi qui assure que les semouleries elles-mêmes profitent d’une subvention de 20 à 21 TND pour chaque 100 kg de farine expédiés à une boulangerie. « C’est un système complètement anti-économique. Quotidiennement, nous consommons 7 millions de pains et de baguettes, dont 900 000 sont jeté(e)s à la poubelle. C’est regrettable et coûteux : 100 MDT », ajoute-t-il encore.
Concernant le blé dur, le système est tout aussi anti-économique, à en croire les précisions du ministre du Commerce. La subvention de ce blé, selon lui, coûte 560 MDT, dont 400 MDT rien que pour la semoule. L’Etat se procure les 100 kg de blé à 75 TND et les revend à 27 TND aux semouleries qui, pour leur part, les revendent à 39 TND. La problématique réside, en réalité et selon Omar El Behi, dans l’usage de cette semoule. « Il n’est pas toujours destiné aux consommateurs. On peut s’en servir pour nourrir le bétail. Nous consommons 6 millions de quintaux de semoule par an. Le tunisien en consomme 50 kg par an mathématiquement. Or, l’Institut National des Statistiques (INS) révèle qu’il n’en consomme que 20 kg par an. Nous sommes donc en droit de nous demander où vont les autres 30 kg », souligne-t-il.
Possible révision des prix
D’autre part et toujours sur la question de la caisse de compensation, le ministre du Commerce aborde l’exemple de l’huile d’olive. Le litre, rappelle-t-il, est vendu à 1 TND aux commerçants, alors qu’il est disponible à 2,7 ou 3 TND dans les épiceries, dans des bouteilles en plastique. « L’Etat contrôle les flux, mais ne peut pas tout contrôler ! Il faut s’attaquer aux grandes distorsions et corriger les incohérences du système. Sa révision demande du temps, ce n’est pas du jour au lendemain qu’elle sera appliquée. Il faut, dans ce contexte, rationaliser la consommation », déclare-t-il.
Comment contrôler un tel circuit de distribution et lutter contre les dépassements ? Réagissant à cette question, Omar El Behi affirme que des sacs spécifiques seront mis en place pour la semoule. Il permettront, selon lui d’orienter le citoyen. Il n’exclut pas, d’un autre côté, une hausse progressive des prix de la semoule. « Les subventions ne profitent pas forcément à la majorité des citoyens. La révision des prix peut s’imposer. Le but est de préserver le pouvoir d’achat du tunisien. De plus, si les hausses des prix sont bien étudiées, leur impact sur le pouvoir d’achat ne sera pas énorme », explique-t-il. « Donc on peut s’attendre à une hausse des prix du pain, de l’huile subventionnée et des pâtes ? », lui demande Boubaker Akacha, et sa réponse était courte, mais imprécise : « la réforme sera progressive et conçue en concertation avec les partenaires sociaux ».
Balance commerciale : une politique protectionniste
L’autre grand volet abordé durant l’intervention radiophonique du ministre du Commerce : le déficit de la balance commerciale. Pour contrôler le dinar, dit-il, il faut maîtriser et le déficit commercial et le déficit budgétaire. Pour 2018, le déficit budgétaire sera inférieur à celui de 2017. Concernant la balance commerciale, Omar El Behi rappelle que son déficit était de 12 milliards de dinars.
Les 50 premiers produits importés – huile, hydrocarbures – représentent 30% de l’importation, soit 14 milliards de dinars selon le ministre, ce qui constitue, estime-t-il, une part énorme. Il y a, de ce fait, nécessité de faire des « efforts » sur l’importation. Et par « effort », il entend, sans l’affirmer ouvertement, la mise en place d’une politique protectionniste. Dans ce cadre, Omar El Behi affirme que la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a publié une circulaire interdisant aux banques commerciales d’accorder des crédits destinés à l’importation de produits non essentiels. « L’importateur devra assurer la totalité du financement », précise-t-il. Plus encore : de nouvelles taxes seront mises en place pour le prêt-à-porter, les fruits secs, les produits frais, ou encore les produits esthétiques.
Le ministre du Commerce rappelle, d’autre part, la mesure du gouvernement, visant à lutter contre les fausses déclarations. Chaque importateur, rappelle-t-il, devra présenter la déclaration de paie d’origine. L’autre mesure porte sur l’importation des jouets pour enfants, qui vise, selon Omar El Behi, à protéger le consommateur. « L’importateur doit présenter des documents justifiant la vente du produit importé dans son pays d’origine », explique-t-il.
Exportation : tous les moyens sont bons pour la booster
Pour réduire le déficit de la balance commerciale, le ministre revient, par ailleurs, sur les mesures visant à stimuler les exportations. Il rappelle, dans ce cadre, l’annonce du Chef du gouvernement portant sur l’exonération fiscale pour les nouvelles entreprises installées dans les régions intérieures et pour les entreprises exportatrices – taxe de 0% sur les dividendes, alors qu’elle était de 5% -.
Il annonce, également, la mise en place du Fonds Proex, instauré par le CEPEX (Centre de Promotion des Exportations). Il permet de subventionner les transports des marchandises. « D’ici 2020, nous comptons doubler ce fonds pour atteindre les 50 MDT ». Toujours dans l’optique de soutenir l’exportation, le ministre évoque le programme PEDE 3, élaboré en partenariat avec la Banque Mondiale (BM). « Il vise à simplifier les procédures au niveau de la douane et du ministère du Commerce. L’opération passera par la digitalisation et la dématérialisation des services liés à l’exportation », explique-t-il.
La Tunisie dispose, poursuit-il, de véritables atouts à exporter, notamment dans l’industrie mécanique et l’huile d’olive. D’ailleurs, cette dernière bénéficiera d’un programme spécial en 2018. Il annonce, par la suite, qu’une réunion entre son département et celui du Transport autour de la simplification du transport des marchandises. « Nous envisageons d’instaurer un transport reliant la Tunisie au Qatar. D’ailleurs, vers la mi-novembre 2017, je serai à la tête d’une délégation d’hommes d’affaires pour nous rendre au Qatar. Nous étudierons les possibilités de favoriser les exportations vers ce pays », déclare-t-il encore.