Compagnie des phosphates de Gafsa : comment éviter le naufrage annoncé ?

Le Bassin minier de Gafsa vit un affreux cauchemar depuis près de trois ans, celui de la désagrégation annoncée de la Compagnie des phosphates de Gafsa. En effet jusqu’ici la Compagnie avait assuré les salaires grâce aux réserves accumulées depuis des décennies, mais le spectre de la cessation de paiements menace de plus en plus. Pourquoi et comment la CPG en est-elle arrivée à une telle situation? Quelles sont les conséquences directes et indirectes de cette crise aiguë sur l’avenir de la région ? Qui est responsable de ce drame ? Y a-t-il malgré tout des perspectives prospères à cette crise aiguë ?

 

La situation actuelle vécue par le groupe de la CPG est unique. En effet, la conjoncture postrévolutionnaire lui a imposé une série de mesures et d’exigences que le management de la Compagnie n’a pas prévue ni voulue et pour laquelle il n’était pas préparé.

 

Une situation impossible 

Il a donc fallu consentir des augmentations salariales sensibles pour répondre aux grèves, sit-in et revendications du personnel. Ce qui a augmenté les charges salariales de la CPG. En outre, le statut de sous-traitance ayant été aboli dans la fonction publique a conduit à la régularisation de la situation des salariés qui souffraient d’un statut fragile et instable, de salaires bas et d’une carence au niveau de la protection sociale. C’est alors qu’il a fallu créer une société à part, chargée du transport des phosphates à l’intérieur du Bassin minier et vers les usines de Gabès, Sfax et La Skhira, ainsi qu’une autre société spécialisée dans les travaux de protection de l’environnement et de lutte contre la pollution. Ces deux sociétés ont eu besoin de recruter du personnel pour faire face à leurs obligations, ce qui a impliqué l’élaboration d’un statut pour le personnel, l’acquisition d’équipements, la structuration de l’entreprise. C’est toujours la CPG qui a financé alors que les deux sociétés ne sont pas encore tout à fait opérationnelles ni actives et efficaces.

 En outre les concours pour les recrutements prévus par la CPG soulèvent des contestations musclées et coûtent très cher à la Compagnie.

Il y a donc une augmentation vertigineuse des charges financières et sociales de la CPG sous diverses formes, alors que parallèlement la production et le transport sont paralysés et que les recettes n’ont pas dépassé les 30% du potentiel de la compagnie.

Ce sont les demandeurs d’emploi qui n’ont pas été recrutés qui empêchent le personnel de la CPG de travailler aussi bien au niveau des carrières d’extraction que du transport du produit. Or la CPG ne peut recruter toute la population du Bassin minier.

Les décisions du conseil interministériel du mois de novembre 2013 qui ont porté sur la sécurisation des sites de production de la CPG n’ont pas été suivies d’exécution sur le terrain.

La situation est inextricable et, si elle persiste, la CPG s’acheminera lentement, mais sûrement, vers la cessation de paiements.

Toute la population revendique un recrutement hypothétique 

L’ambition suprême de tous, jeunes et adultes, originaires du gouvernorat de Gafsa ou des gouvernorats limitrophes, diplômés du supérieur et citoyens non qualifiés, est d’être recrutés par la CPG, le Groupe chimique ou l’une des sociétés appartenant au groupe, comme la société de transport ou de protection de l’environnement. Pourquoi donc cet acharnement à devenir “fonctionnaire phosphatier”, même chez ceux qui ont déjà un emploi dans le secteur privé, ou une patente pour l’exercice d’une profession commerciale ? Est-ce une vocation ou une prédilection ?

Tout simplement parce que les rémunérations octroyées par le groupe se situent à un niveau très élevé par rapport aux grilles des salaires pratiquées dans la fonction publique ou même dans le secteur privé, toutes catégories confondues, que ce soit pour les cadres moyens et supérieurs, les fonctions techniques, les postes administratifs ou le cadre ouvrier.

En effet, la rémunération annuelle moyenne à la CPG est de l’ordre de 27.000 dinars, alors que dans la fonction publique elle est seulement de 10.000 dinars. Cela se passe de commentaires, s’agissant d’une tradition établie depuis longtemps. À cela s’ajoutent des droits et des avantages sociaux très larges ainsi que des avantages en nature variés, octroyés par la CPG depuis l’époque de la colonisation et qu’aucun PDG ni régime politique n’a osé soustraire au bénéficie des intéressés pour ne pas troubler la quiétude et la sérénité du climat social ni “faire de vagues” dans la région. C’est ainsi que la CPG possède un grand nombre de logements et un parc-auto conséquent qu’elle met gracieusement à la disposition d’une partie de ses cadres, qu’elle paie les factures de la STEG et de la SONEDE, sans compter qu’elle distribue à qui mieux mieux des bons de carburants…

Tout cela coûte très cher, certes, mais encore faut-il que la production et le transport des phosphates se déroulent correctement, que les laveries fonctionnent normalement, que les usines du groupe chimique soient approvisionnées régulièrement, que la commercialisation et que les opérations d’exportations soient effectuées conformément aux prévisions… ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Cela explique sans les justifier l’ampleur et la multiplicité des revendications ainsi que l’acharnement des uns et des autres lors des opérations de recrutement à la CPG ou dans ses filiales. 

 

Les transporteurs privés soupçonnés de paralyser le rail

Depuis toujours c’est la SNCFT qui assure l’évacuation des phosphates sur Gabès, la Skhira et Sfax selon une convention et avec un prix compétitif.

En 2010, il y avait jusqu’à 12 convois par jour comportant chacun plusieurs dizaines de wagons.

À raison de 5 D la tonne, la SNCFT encaissait 40 MD par an, une somme rondelette et un partenariat gagnant-gagnant. Avec les sit-in permanents des demandeurs d’emploi, le transport par voie ferrée a été paralysé.

La CPG a été contrainte de recourir à des transporteurs privés. Cependant les prix de revient ne sont pas les mêmes : le transport par camion jusqu’à Gabès est facturé 20 D la tonne. On passe du simple au quadruple. Mais n’ayant pas le choix cela grève lourdement le prix de revient du phosphate et aggrave les charges financières de la Compagnie. Et la compétitivité en prend un coup.

Ainsi les spéculateurs se sont multipliés et il se pourrait que le parc de camions appartenant aux privés atteigne 200 pour se partager la manne du transport des phosphates.

Les mauvaises langues murmurent que les transporteurs opportunistes inciteraient les sit-inneurs à faire perdurer le blocage du rail. Une hypothèse pernicieuse et fantaisiste ?

En fait, le transport ferroviaire a tendance à reprendre timidement.

 

Perte de crédibilité à l’international

Les interruptions récurrentes de la production de phosphates qui frappent constamment les différents sites de la CPG ainsi que les perturbations dont souffre le système de transport n’ont pas permis de répondre aux engagements pris vis-à-vis des clients de la Compagnie. En effet, les sit-in, les blocages des routes et de l’accès aux carrières et aux laveries ont fait perdre à la CPG des clients importants à l’export qui ont su s’orienter vers d’autres fournisseurs. Certaines unités industrielles du Groupe chimique ont souffert de la pénurie de matières premières pour faire tourner leurs usines.

Il y a donc une perte de crédibilité à l’international qui a fait perdre à la Tunisie sa position et son rang de 5e exportateur au niveau mondial.

Aujourd’hui, notre pays ne figure plus parmi le top 10 du classement mondial des exportateurs de phosphates.

La remontée de la pente sera longue et pénible.

 

Vers une solution durable au problème du transport

Selon les révélations faites récemment par M. Nejib Mrabet, PDG de la CPG, à notre collègue Larbi Ben Othman, lors d’un entretien exclusif accordé à Hakaek on line, la Compagnie a confié à un bureau d’études australien le soin d’examiner la faisabilité du transport par pipe-line des phosphates du bassin minier de Gafsa jusqu’à Gabès.

Dans la mesure où ce projet s’avèrerait fiable, il pourrait résoudre de façon définitive le problème du transport. La mise à exécution du projet serait effective en 2016 pour être opérationnel en 2018/2019.

Cela implique un investissement lourd à financer, mais aussi une sécurisation et une solution définitive et à long terme du problème du transport des phosphates.

 

Un déficit cumulé très lourd

Le cumul de production des années 2011-2012-2013 n’a pas dépassé 8 millions de tonnes de phosphates, soit la production de l’année 2010. Alors que les charges financières de la Compagnie ont augmenté de façon considérable, que ce soit à cause des augmentations de salaire, des recrutements ou encore de la flambée des prix du transport des phosphates.

Tout cela fait que le cumul du déficit de la Compagnie a atteint 2 milliards de dinars, un chiffre qui laisse rêveur et augure de graves difficultés pour les prochains mois.

Il convient de rappeler que durant la dernière décennie la CPG alimentait le budget de l’État à concurrence de 2 milliards de dinars par an grâce à ses bénéfices.

La CPG enregistrait alors des exportations record qui généraient des recettes considérables en devises dont bénéficiait la balance des paiements.

Selon une déclaration récente du premier responsable de la CPG, le manque à gagner de la compagnie durant les trois années écoulées à cause des perturbations sociales et des interruptions causées au processus de production s’élève à 1.105 milliard de dinars, une perte sèche et lourde, très difficile à rattraper dans les années à venir.

 

Des perspectives stratégiques

Les réserves connues de phosphates dans le bassin minier de Gafsa sont équivalentes à 50 ans d’exploitation tandis que le marché mondial est de plus en plus demandeur d’engrais chimique à base de phosphates et de produits destinés à l’industrie des détergents.

Les gisements non encore exploités, mais déjà identifiés à Tozeur et Nefta et ceux de Sra Ourtane (Gouvernorat du Kef) sont également prometteurs, même si ces derniers sont de moins bonne qualité que ceux de Gafsa.

Toutes ces indications permettent de conclure que les potentialités et les perspectives de la compagnie sont florissantes.

 

Au cœur du problème : la société de protection de l’environnement

La CPG doit faire face depuis trois ans au financement de la société de protection de l’environnement. Or celle-ci doit employer pas moins de 7.500 salariés et doit disposer de moyens matériels considérables pour faire face à ses obligations. Il y a là une perte sèche qui dure depuis trois ans et qui risque de se prolonger encore longtemps. Il faut dire que la tâche qui lui incombe est considérable.

Recyclage des eaux toxiques, enlèvement des déchets des phosphates, protection de la population contre les émanations de poussières et fumées toxiques.

Un programme de travail détaillé doit être élaboré par les responsables de la société en concertation avec les partenaires et les responsables régionaux et nationaux et à faire approuver par les autorités de tutelle.

Or la société est actuellement en crise à cause des contestations relatives aux recrutements de personnel sur les différents sites d’intervention. Le groupe de la CPG connaît depuis toujours des rivalités tribales et des animosités ancestrales qui connaissent, depuis le déclenchement de la Révolution, une recrudescence aiguë qui coïncide avec la baisse de l’autorité de l’État, la régression du rôle et de l’efficacité des institutions publiques et des rouages de l’Administration.

 

Des installations et des équipements vétustes

Faute d’avoir régulièrement investi dans la rénovation et la maintenance préventive de ses usines et de ses outils de production, les infrastructures et les équipements de la CPG sont aujourd’hui frappés de vétusté et sont devenus pratiquement obsolètes.

Si la CPG est soucieuse de sa rentabilité et de sa compétitivité, elle doit investir dans la modernisation de ses installations et de ses équipements.

La décision doit être prise rapidement pour ne pas laisser la situation se dégrader davantage et le financement ne posera pas de problème majeur.

 

Un passif stratégique lourd

Il y a lieu de reconnaître que la CPG a durant plusieurs décennies exploité assidument les phosphates sur plusieurs sites : Metlaoui, Redeyef, Moularès et M’dhilla, dans des galeries souterraines interminables où il est difficile de respirer et pénible de travailler. Car remonter les mini-wagons chargés à la surface à la force des bras et des jambes durant huit heures par jour n’est pas un jeu d’enfants.

Sans investir dans le développement de la région, ni même intégrer le produit en créant sur place des industries de transformation qui auraient créé massivement des emplois pour dynamiser l’économie de la région et enrichir le tissu entrepreneurial et industriel local, la CPG a préféré investir à Gabès et à la Skhira et implanter les usines de transformation du phosphate tout près du port dans le cadre du Groupe chimique. Ainsi, le bassin minier de Gafsa n’a pas bénéficié des retombées de l’exploitation des phosphates.

La CPG n’a pas non plus réservé une part de ses bénéfices pour contribuer à diversifier l’économie de la région, il n’y a pas eu de financement de PME ayant un rapport quelconque avec le phosphate ou encore pour répondre aux besoins de la population locale. La CPG a également pollué à souhait et à satiété le milieu naturel : les laveries consomment beaucoup d’eau rejetée dans les oueds et polluant la nappe phréatique.

Les poussières et les déchets des phosphates rejetés dans l’atmosphère ont des répercussions néfastes sur la santé de la population, sur la végétation et sur les troupeaux. D’où la régression des parcours extensifs, baisse du rendement et de la qualité des produits agricoles, la progression rapide des maladies qui frappent la population.

Les périmètres irrigués souffrent de la pénurie d’eau à cause de la concurrence engendrée par la consommation en eau des laveries de phosphate.

 

Pourquoi une telle persistance de la paralysie ? 

Il est essentiel que l’État assume son rôle pour faire régner la sécurité et faire appliquer la loi.

La liberté de travailler doit être respectée et ce n’est pas en empêchant les salariés de la CPG d’accéder à leur poste de travail ou en bloquant les rails du chemin de fer devant les convois de transport du phosphate qu’on créera des emplois pour les chômeurs. Cette situation mène à la faillite d’une compagnie nationale qui nourrit 12.000 familles et qui alimentait autrefois le budget de l’État à concurrence de 10%, tout en renflouant la balance des paiements extérieurs par des milliards de dollars chaque année, grâce à ses exportations massives.

Jusqu’ici, des préoccupations électoralistes avaient empêché les autorités politiques et sécuritaires nationales et régionales d’agir. À l’avenir il faudra que des négociations soient menées par le chef du gouvernement pour débloquer la situation sinon faire sécuriser par l’Armée l’accès au travail et au rail.

 

Nécessaire réconciliation avec la population

La CPG doit faire un gros effort pour se réconcilier avec son environnement humain, concevoir une nouvelle stratégie de redéploiement, apprendre à écouter la société civile locale et régionale et participer de façon significative au développement de la région.

Il semble que cette démarche soit en gestation, même si toutes les mesures n’ont pas encore été prises ou encore si les résultats ne sont pas encore palpables. En effet, une usine de fabrication de produits chimiques est en construction avancée puisque le taux d’avancement est de l’ordre de 70%. Il s’agit de Mahilla II qui a bénéficié de crédits extérieurs, dont celui de la BEI. La création d’un fonds d’investissement destiné à financer les jeunes promoteurs de projets dans la région a été décidée depuis plus de deux ans, avec un capital significatif, mais le manque de stabilité sociopolitique et sécuritaire n’a pas permis à ce fonds d’être opérationnel. À moins que ce ne soit à cause du manque de volonté ou des moyens financiers de la compagnie.

Ridha Lahmar

 

Philatélie

Le 10 janvier représente un jour mémorable pour la  République tunisienne et la République populaire de Chine. Il s’agit de l’établissement des relations diplomatiques bilatérales entre le deux pays le 10 janvier 1964. Dès lors, des forts liens d’amitiés et de coopération ont été établis dans l’objectif d’instaurer un partenariat tuniso-chinois fructueux et exemplaire. 

De ce fait, la Poste tunisienne vient de célébrer le cinquantième anniversaire des relations d’amitié et de coopération entre la Tunisie et la Chine à travers l’émission, le 10 janvier 2014, d’un timbre poste représentant le projet du canal Mejerda-Cap Bon réalisé par la Chine. Sur l’enveloppe 1er jour, les paysages de la Grande Muraille et de Sidi Bou Saïd  ont été mis en relief, illustrant ainsi l’harmonie et la coexistence de deux grandes civilisations de deux pays. 

Il est à rappeler, que la Poste chinoise, quant à elle, a commémoré ce cinquantième anniversaire en émettant un timbre poste représentant le projet du Centre culturel et sportif de la jeunesse d’El Menzah VI.

M. S.

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