Bientôt trois mois que les élections législatives ont eu lieu mais toujours pas de gouvernement formé. Alors que chaque jour est compté, nos élus semblent moins pressés. Aujourd’hui, le Tunisien se demande qui fait quoi et plutôt qui doit faire quoi. Le combat pour lequel la société s’est révoltée, semble s’être très vite transformé en une course au partage du gâteau. Se soucie-t-on vraiment des jeunes chômeurs, des démunis, du désespoir, de la pauvreté ?…Tous les débats se concentrent sur les coalitions possibles et probables. Résultat : un sentiment assez, voire largement, partagé que tout bouge pour que rien ne change.
Aujourd’hui, chacun s’accorde à reconnaître que notre économie est en panne, accumule des faiblesses et nécessite des actions concrètes et efficaces. En effet, au moment où la croissance peine à retrouver son rythme de croisière, l’inflation galope, le dinar est en baisse continue, les déficits courant et budgétaire explosent et le chômage augmente. La vérité, pas toujours facile à dire, doit être vue en face : la Tunisie peut être considérée comme un pays en risque de tomber dans une trappe de fragilité si rien n’est fait à temps. Il ne sert à rien de dire qu’avec 2,4% de croissance du PIB réel l’an passé, le plus dur est derrière nous. Car ce n’est pas vrai. Les déséquilibres sont là et les défis pour lesquels le peuple s’est soulevé sont toujours présents et risquent de faire sauter les verrous une seconde fois.
Ne pas tuer dans l’œuf les prémices de reprise
Malheureusement, le choc de confiance n’a toujours pas eu lieu et la méfiance entre les gouvernants et les gouvernés demeure encore à un niveau assez élevé. Aujourd’hui, il ne suffit pas de décrire la gravité de la situation, mais il faut arrêter un plan économique d’urgence, communiquer au public les objectifs et convaincre la population que les sacrifices ne seront pas vains. Un rééquilibrage de l’économie tunisienne est donc plus que légitime mais nécessaire. Paradoxalement, le rééquilibrage fait peur car quand on pratique depuis tant d’années la fuite en avant, il est difficile de s’arrêter.
L’économie tunisienne doit faire face à une conjoncture nationale et internationale difficile tout en évitant l’écueil des déséquilibres macroéconomiques qui risquent de tuer dans l’œuf toutes prémices de reprise. Et les raisons d’être pessimiste ne manquent pas. En tout état de cause, ces déséquilibres vont peser lourdement sur la croissance en 2015, 2016 et 2017. Ainsi la reprise pourrait, si rien n’est fait à temps, être reportée à 2016, voire, plus tard.
Nous devons en effet observer une grande prudence sur le rythme de la reprise économique. Il n’y a aucun doute que la croissance ne retrouvera pas rapidement ses rythmes antérieurs dans la mesure où les équilibres macroéconomiques ont atteint des limites critiques. Ce scénario «en W « demeure très probable. Nous retenons ce schéma comme scénario central, mais nous privilégions l’hypothèse d’une reprise peu vigoureuse accompagnée de plusieurs risques qui pourraient conduire au report de la reprise économique. Ce scénario est considéré par beaucoup, comme devant être le type de passage obligé à notre économie vers le rétablissement de ses grands équilibres macroéconomiques. De toute manière, les prochaines années seront économiquement et socialement coûteuses.
Aujourd’hui, il n’est pas inutile de rappeler que les composantes de la demande extérieure et intérieure semblent fortement touchées. Du côté des exportations, et même si nos partenaires commerciaux, essentiellement la zone euro, se rétablissent doucement, les perspectives économiques ne sont pas encore au beau fixe. Aujourd’hui, la seule bonne nouvelle est la baisse des cours pétroliers.
Il est temps de réagir
Du côté de la demande intérieure, la situation de la consommation et de l’investissement privé n’est guère plus encourageante. En effet, côté entreprise, le climat d’incertitude économique freine encore l’investissement. Du côté de la consommation privée, la situation est relativement sombre dans la mesure où le pouvoir d’achat ne cesse de se dégrader. De plus, et sous l’angle monétaire et budgétaire, les marges de manœuvre sont quasi-réduites alors que des freins à la croissance demeurent. Une chose est sûre, l’année 2015 ne sera pas l’année de la reprise.
A l’heure actuelle, la pente molle du déclin nous invite à prendre rapidement conscience des chances perdues et les entrepreneurs ne peuvent pas se résoudre à ce que notre pays, par facilité ou manque de courage, ne se donne pas les conditions de la réforme. La vérité est que notre pays est dans une situation difficile. Il est temps de réagir et nous remettre tous ensemble en question. Nous avons un effort de lucidité important à réaliser, et cela dans un peu tous les domaines, économiques et sociaux. Soyons honnête, nous avons un gros problème d’efficacité économique. Il faut avoir la conviction que s’il faut faire des réformes, c’est certes, pour construire mieux à terme mais aussi parce que la situation actuelle n’est pas acceptable.
Il est courant que les politiques ne se lancent jamais dans des mesures importantes, et ceci pour deux raisons : d’abord parce qu’elles sont impopulaires et surtout parce qu’elles prennent toujours du temps à faire voir leurs effets positifs, commençant toujours par leurs effets négatifs. Mais l’économie est ainsi faite que l’ajustement produit d’abord l’inverse de ce qu’on recherche. Permettre aux entreprises d’embaucher, implique de leur permettre d’ajuster plus aisément leurs effectifs, ce qui se traduit d’abord par des licenciements, jusqu’à ce que les profits remontent et que l’embauche reprenne, avec des sociétés plus solides et moins inquiètes d’embaucher, puisque la correction sera plus aisée.
Malgré quelques soubresauts, la société tunisienne a pleinement conscience de la nécessité des réformes. Car pour obtenir quelques points de croissance supplémentaires, il va falloir frapper fort. C’est cela qu’attendent les Tunisiens. Ils en ont assez de petites lois votées entre amis. Ils attendent de vraies réformes structurelles pour relancer l’appareil économique car ils savent que le chômage, hélas, progresse. De telles réformes sont parfois douloureuses. Bien sûr, ce n’est jamais facile à accepter mais si on veut guérir, il y a parfois des opérations douloureuses qui s’imposent. De toute évidence, si la Tunisie souhaite vraiment parvenir à satisfaire les besoins et les attentes de son peuple, les hommes politiques devraient tirer les bonnes leçons du passé et éviter surtout de répéter les mêmes erreurs.
Mohamed Ben Naceur