Suite à la réunion de son Conseil d’administration du 4 septembre, la BCT a publié un communiqué dans lequel elle a exprimé sa profonde préoccupation suite à la persistance des risques qui peuvent compromettre l’évolution de l’économie nationale à cause du manque de visibilité politique auprès des opérateurs économiques avec des retombées négatives sur les secteurs productifs et exportateurs.
La BCT déplore l’exacerbation des tensions sur la scène politique qui menacent la sécurité et les fondamentaux de l’économie.
La majorité des indicateurs économiques et financiers sont au rouge, cela signifie que la situation économique du pays sans être catastrophique, est fortement dégradée.
Cette situation est en train de se détériorer chaque semaine qui passe et s’exprime à travers la dévaluation progressive du dinar qui a perdu en trois mois 10% de sa valeur vis-à-vis de l’euro. Si l’on y ajoute le déficit béant du Budget de l’État qui atteindra 4 MD fin 2013, il est judicieux de se poser la question suivante : quels sont les scénarii de l’avenir immédiat ? S’achemine-t-on, vu la persistance de la crise politique, vers un scénario catastrophe avec cessation de paiement des institutions publiques ou encore aggravation vertigineuse de l’endettement public ? Y aura-t-il un budget équilibré et approuvé pour 2014 avec des ressources financières certaines et un volet investissement consistant, susceptible d’engendrer la croissance ? Quelles sont les réformes économiques structurelles réalisables à court terme et quel sera leur impact sur la conjoncture ?
Croissance lente et fragile
Selon l’INS, corroboré par la BCT, le taux de croissance économique relatif au premier semestre 2013 est de 3% par rapport à la même période de 2012, elle est en deçà des prévisions initiales de 4%, ramenées à 3,6% par la suite pour ce qui est de l’ensemble de l’année 2013.
Ce taux est justifié par la consolidation de l’activité dans les industries manufacturières selon le taux de 4,8% : c’est le cas des industries chimiques, textile-habillement, cuir et chaussures. Les services marchands, telécoms et transport (4,3%) et les services non marchands (6,3%) connaissent une évolution positive.
La baisse a frappé les secteurs de l’agriculture et de la pêche (-3%) et celui de l’énergie (-1,4%.)
Par contre le déficit commercial continue à s’approfondir au bout des huit premiers mois à raison de 3,3% par rapport à 2012, ce qui constitue une source de pressions persistances sur le déficit courant selon la BCT, même si le taux par rapport au PIB a baissé : 5,4% en 2013 contre 5,7% en 2012.
Les avoirs en devises de la BCT au 30 août 2013 s’élèvent à 11.389 MD, soit 104 jours d’importation contre 10.300 MD un an auparavant soit 102 jours d’importation. Crédits extérieurs et recettes du tourisme justifient cette légère amélioration.
Trois scénarii
En fonction de la nature et du délai du dénouement de la crise politique ainsi que de la situation sécuritaire et de la lutte contre le terrorisme, l’évolution de la conjoncture socioéconomique du pays pourrait, d’après les observateurs, évoluer selon trois scénarii possibles :
un scénario-catastrophe avec dégradation rapide de tous les indicateurs. Peu probable.
– un scénario de relance économique rapide et d’amélioration sensible de la situation sociale. Difficile à concevoir.
– un scénario de stabilisation des indicateurs de la conjoncture sociale et de reprise lente de la croissance économique. Scénario le plus probable.
C’est le dénouement de la crise politique actuelle qui sera à l’origine de l’orientation à prendre par la conjoncture socioéconomique. La crise politique peut se dénouer de différentes façons.
1- Démission du gouvernement de la Troïka et constitution d’un gouvernement de compétences présidé par une personnalité neutre dans un délai de 4 à 6 semaines avec approbation de la Constitution par l’ANC et fixation d’une date pour les élections législatives n’excédant pas le premier semestre 2014. Cela implique également la maîtrise relative du terrorisme et de la situation sécuritaire. Donc restauration de la confiance chez les acteurs économiques.
2- Refus de démission du gouvernement et persistance de la crise politique avec de vives tensions entre les partis politiques d’opposition et le gouvernement de la Troïka même si à l’ANC les travaux se poursuivent.
La menace terroriste et les troubles sécuritaires demeurent. Le climat politique reste troublé et l’instabilité sociale persiste.
3- Le gouvernement de compétences n’arrive pas à maîtriser le terrorisme ni à assurer la sécurité.
L’ANC ayant approuvé la Constitution et la date des élections ayant été fixée par la commission nationale.
Il y a deux facteurs fondamentaux qui vont déterminer l’évolution de la conjoncture socioéconomique.
D’une part, le comportement des investisseurs privés tunisiens et étrangers. D’autre part, le taux de l’inflation en rapport direct avec l’intensité de la contrebande. Il y a la une source de perturbations sociales et d’instabilité
Passons en revue rapidement l’évolution des différents paramètres économiques selon chaque scénario :
– La balance commerciale extérieure,
– Le stock en devises de la BCT
– Le déficit du Budget de l’État
– Le taux d’inflation
– Le taux de croissance
– L’évolution du marché de l’emploi
– L’évolution de l’investissement.
Banqueroute ?
Certes, pour le moment il y a un déficit budgétaire flagrant pour 2013, évalué à 4 milliards de dinars. Il pourrait d’ailleurs, en fonction de l’évolution des prix du pétrole et celui des céréales sur le marché mondial, prendre des proportions plus élevées.
Pour combler ce déficit, les hypothèses et les aléas ne manquent pas. Les soukouks islamiques : 1 milliard de dinars, le prêt du FMI : 2,7 milliards DT et le reliquat de 900 MD relatif au Budget d’investissement 2012, non consommé, ne peuvent être utilisés pour combler ce déficit en l’absence de l’approbation de l’ANC, dont les travaux n’ont pas encore repris au niveau du rythme de croisière et des assemblées générales. Le paiement des salaires et des pensions de retraite par l’État sans être vraiment menacé pour les trois mois à venir, est l’objet d’une préoccupation autant pour le gouvernement que pour l’opinion publique.
Alors que l’État continue à recruter pour l’éducation nationale (3500), à augmenter les salaires de certains fonctionnaires… ce qui occasionne autant de pressions sur le Budget.
Si le secteur privé n’a pas repris confiance en la stabilité politique et sociale, si la sécurité des personnes et des biens n’est pas garantie, il n’y aura pas de relance de l’investissement et les investisseurs étrangers, faute de visibilité politique, non seulement ne viendront pas, mais partiront les uns après les autres. Tout cela va accroître le taux de chômage dans le pays, donc la détérioration de la situation sociale. Le gouvernement sera contraint de réduire les salaires des fonctionnaires.
Le déficit commercial croissant jumelé avec la baisse des entrées touristiques va engendrer une régression sensible du stock de devises au niveau de la BCT, d’où des restrictions pour les importations portant notamment sur les biens de consommation.
Faute de recapitalisation des banques publiques, parce que le gouvernement n’a pas les moyens de financer cette réforme, le système bancaire ne sera pas en mesure de financer comme il se doit les entreprises économiques ce qui va engendrer une récession.
L’État est contraint d’emprunter à des conditions coûteuses à l’étranger pour maintenir à flot les finances publiques, consacrées plus pour faire face aux paiements des salaires que pour assurer le développement et financer l’investissement public. Tous les indicateurs seront au rouge : inflation, déficit budgétaire, chômage, taux de change du dinar. La dette souveraine dépassera le seuil critique de 50%.
Ce scénario catastrophe, bien que possible, ne nous paraît pas probable, car tous les acteurs politiques sont conscients de la nécessité de trouver un consensus politique basé sur un compromis destiné à sauvegarder le processus transitionnel et à empêcher la dégradation de l’économie et de la société tunisienne.
Mission impossible
Un sursaut économique salvateur et une reprise rapide du processus de la croissance relèvent du miracle, du moins dans les 6 à 12 mois à venir.
En effet en matière d’investissement la plate-forme de base c’est le sentiment de sécurité et de confiance ainsi que la clarté de la vision à court et moyen termes. Or la confiance ne se décrète pas, mais se construit, au fur et à mesure des évènements qui surviennent, des décisions qui sont prises, des constats que l’on peut faire soit à titre personnel ou dans le cadre des associations et des organisations, ainsi que des comportements des responsables.
Si le futur gouvernement arrive à rétablir la confiance dans le pays, ce qui nécessitera plusieurs mois au minimum, l’investissement pourrait être relancé, ce qui va progressivement dynamiser la vie économique et promouvoir la croissance.
Investisseurs étrangers et investisseurs privés tunisiens, sécurisés par le nouveau Code d’incitation aux investissements, vont connaître de nouveau le goût d’investir et d’entreprendre et réaliser leurs projets économiques, différés depuis trente mois.
Les exportations pourraient connaître une progression sensible et améliorer ainsi la balance commerciale extérieure. Le tourisme connaîtrait une relance vigoureuse grâce à l’amélioration de la situation sécuritaire et à la stabilisation de la situation politique et sociale.
Le stock en devises de la BCT connaitra alors une nette amélioration pouvant atteindre 120 à 180 jours d’importation.
Avec la création d’emplois, le marché du travail serait appelé à connaître une détente certaine avec baisse du taux de chômage.
L’augmentation de la production et de l’offre de produits alimentaires et industriels sur le marché sont de nature à calmer l’inflation et à la ramener à des taux supportables par la population. Le Budget de l’État sera appelé alors à réduire son déficit suite à une relative maîtrise des dépenses de consommation. Le scénario est peu probable à court terme, voire une mission impossible.
Stabilisation d’une situation alarmante
Le scénario le plus probable serait une stabilisation de la conjoncture socioéconomique actuelle avec maintien des indicateurs économiques alarmants et sociaux inquiétants actuels.
Certes il y a une résilience remarquable, mais tout à fait relative de certains secteurs productifs et de services face à la crise qui font preuve de dynamisme, alors que la morosité continue à frapper de plein fouet des pans entiers de notre économie.
En effet, le tourisme connaît une relance certaine malgré les évènements sécuritaires et fait preuve d’un engouement sensible vis-à-vis de la destination Tunisie.
Après une année de sécheresse, les pluies abondantes de cet automne augurent d’une bonne campagne agricole 2013-2014, aussi bien pour l’huile d’olive que pour les céréales et l’élevage.
Les industries électroniques, le textile-habillement et le secteur du cuir et chaussures font preuve d’une croissance correcte.
Alors que plusieurs indicateurs demeurent dans le rouge, le secteur phosphatier continue à connaître des difficultés au niveau de la production et du transport des phosphates bruts et par conséquent au niveau de la transformation chimique. Les exportations seront encore en panne, alors que le prix sur le marché mondial flambe.
Le secteur de l’énergie peine à prendre de l’expansion malgré la multiplication des forages de puits de pétrole et l’exploitation des gisements de gaz.
Les banques vont continuer à manquer de liquidités faute de recapitalisation et de restructuration des banques publiques et de progression des dépôts d’épargne. Le taux national de créances classées demeure élevé, soit 13%
Il y a là l’origine de la panne qui frappe l’investissement privé, ce qui exclut tout processus de croissance économique donc de création d’emplois. Le taux de chômage réel varie entre 17 et 20%.
Le déficit du budget va persister à un niveau élevé : 7 à 8%, le taux d’inflation demeure élevé : plus de 6% par an. Le taux de change du dinar doit se stabiliser ou continuer à baisser légèrement et lentement.
Ridha Lhamar