L’économie tunisienne a-t-elle perdu sa capacité de résilience ? Probablement oui. En effet, une pluie de mauvaises statistiques s’est abattue ces derniers jours. Après l’inquiétante chute des intentions d’investissement, les chiffres de croissance du premier trimestre sont venus rappeler à tous les responsables que l’économie tunisienne va mal, voire très mal.
En effet, les chiffres de croissance du premier trimestre ont pris de nombreux analystes et les institutions internationales à contre-pied. Les prévisions des institutions internationales, FMI en tête, tablent, après une première révision à la baisse en avril, sur une croissance du PIB à 2,7% en 2019 contre 2,5% en 2018. Les indicateurs du premier trimestre indiquent que la croissance économique sera en dessous de 2% pour l’année en cours.
Si l’on s’intéresse aux chiffres détaillés de la croissance, on souligne que 37% de la machine économique tunisienne affiche un recul par rapport au premier trimestre de 2018, notamment l’agriculture et toute l’industrie. En effet, si l’agriculture a pu réaliser près de 10% de croissance en 2018, elle affiche un recul de 0,7% au premier trimestre. La bonne saison céréalière ne permet pas de rattraper le recul enregistré par la récolte des olives. Au final, l’agriculture ne devrait pas au mieux réaliser plus de valeur ajoutée qu’en 2018, soit une croissance nulle.
L’industrie manufacturière quant à elle, affiche un recul de -0.6%. Cette baisse aurait pu être plus grave sans la reprise de l’industrie chimique et des IMCCV suite à la reprise du secteur de la construction. Le plus inquiétant est le recul affiché par l’industrie mécanique et électrique, fortement touchée par les problèmes que connait l’industrie automobile en Europe.
Au vu de tous ces éléments, et même si le gouvernement ne reconnait pas encore que l’on sera très loin de 3% de croissance en 2019 et même si on peut espérer s’en rapprocher un peu l’année prochaine, on ne l’atteindra pas encore. En année électorale, il ne faut pas espérer une reprise rapide de l’investissement et le peu de croissance viendrait essentiellement du tourisme, du secteur de la construction et, espérons-le, du phosphate.
Recul de l’inflation suite à la baisse de la demande
Le mois d’avril s’est marqué par une légère baisse de l’inflation à 6,9% après 7.1% au mois de mars et ce, malgré la hausse des prix des hydrocarbures. Si beaucoup se réjouissent de cette baisse, il faut dire qu’elle n’est pas aussi tranquillisante dans la mesure où elle cache une baisse de la demande et plus particulièrement de la consommation privée, seul moteur de la croissance jusqu’ici. Globalement, la baisse de l’inflation est expliquée par le faible dynamisme de l’économie tunisienne, à savoir un affaiblissement de la demande et non une amélioration de l’offre. Les produits à contenu d’importation élevée continuent de plus à tirer l’inflation vers la hausse.
D’importantes conséquences
Cette situation économique n’est pas sans conséquences sur les autres indicateurs économiques. En effet, au rythme actuel de croissance, tous les objectifs macroéconomiques deviennent hors de portée. Le déficit budgétaire risque de retrouver son niveau de 5% du PIB alors que le déficit courant risque de dépasser les 12%. Quant à la dette publique elle atteindra les 75% du PIB.
Sans une véritable politique d’offre permettant de faire sauter les verrous de la machine productive, l’économie tunisienne restera piégée dans une trappe de croissance faible. Les réformes axées sur la demande n’auront aucun effet tant que l’offre n’est pas débloquée puisqu’elles se traduisent en inflation. Et cette inflation vient affaiblir l’offre en dégradant la compétitivité-prix. L’économie tunisienne ressemble beaucoup plus à une économie de rente qu’à une véritable économie de marché. Le train de vie de l’Etat tunisien est proche de celui des économies rentières de pétrole sauf qu’elle ne dispose pas de pétrole, d’où le recours à l’endettement.
Mohamed Ben Naceur