Conjoncture politique : Des ombres et des éclaircies

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A l’approche du mois saint, les commerces sont bien garnis, le temps des pénuries est bien révolu. Mais ce n’est pas la seule éclaircie dans cet air ambiant plutôt maussade. Les portes des prisons se sont ouvertes, à titre exceptionnel, devant des personnalités politiques et médiatiques. On en espère d’autres. Toutefois, des ombres continuent de planer sur nombre de dossiers d’enjeux majeurs dont celui des biens spoliés qui n’en finit pas de remuer des poussières et des plaies.

Les récentes mises en liberté, en attendant la tenue de leurs procès respectifs, de l’ancienne présidente de la controversée Instance Vérité et Dignité, Sihem Ben Sedrine et du journaliste Mohamed Boughalleb, et la libération d’un ancien ministre Riadh Mouakher, ont fait jaillir la lumière de l’espoir que les portes des prisons allaient s’ouvrir devant d’autres détenus parmi des personnalités publiques, politiques, médiatiques et autres activistes, à quelques jours du mois saint à l’inestimable valeur spirituelle et symbolique. Non que ces détenus doivent jouir d’une clémence particulière qui ne saurait être accordée aux autres détenus peu ou prou connus du grand public, mais la clémence judiciaire dans certains cas particulièrement délicats, notamment en raison de problèmes de santé ou d’âge avancé, a un effet positif sur le collectif imaginaire et sur la flexibilité, quand elle est nécessaire, du système judiciaire. L’effet positif est d’autant plus fort et rassurant quand le délit pénal reproché est lié intrinsèquement aux libertés d’opinion ou d’expression. Dans le cas échéant, l’espoir de voir d’autres figures politiques et médiatiques recouvrer leur liberté est vite retrouvé, même si les affaires judiciaires restent en cours. C’est le cas de Abir Moussi, Sonia Dahmani, Mourad Zeghidi, Borhène Bsaïes dont le jugement en état de liberté ne devrait représenter aucun danger pour l’ordre public ni pour la sécurité nationale.
Les retrouvailles à l’occasion du mois saint de Ramadan seraient une bouffée d’oxygène pour eux et pour leurs familles et un geste des autorités judiciaires pour détendre l’atmosphère générale. Pour le cas de Boughalleb, les bruits courent que ce serait le chef de l’Etat lui-même qui aurait plaidé pour son sort étant donné l’état de santé précaire qui est le sien. Alors, pourquoi pas Abir Moussi, Sonia Dahmani, Mourad, Borhène et d’autres encore ?
Une montagne de défis se dresse devant l’essor économique et social de la Tunisie confrontée à de nouveaux enjeux géopolitiques majeurs. Plus que jamais, cette Tunisie sortie fragilisée d’une première expérience démocratique ratée a besoin de tout son capital ressources humaines, notamment ses élites volontaires, pour retrouver le chemin du succès et de la souveraineté complète.

Des boulets à la traîne
Après la décennie chaotique que la Tunisie a connue, l’urgence était de réparer, corriger, assainir, réformer, rénover et innover. Beaucoup d’eau a coulé sous le pont des espérances : la crise économique bat toujours son plein et le rêve de démocratie et de libertés reste entier.
Et pour cause. Un travail de titan attendait le nouveau chef de l’Etat – il l’attend toujours -, il s’est acharné à le réaliser dans un contexte de divisions et de tensions politiques internes en plus d’un isolement financier international. Résultat : des efforts incommensurables ont, sans doute, été consentis au prix de grands sacrifices de la part des Tunisiens pour remettre le pays sur les rails de la saine gouvernance et renflouer ses caisses (vidées), ces sacrifices ont payé, mais en l’absence d’investissements, les résultats sont très en deçà des attentes et beaucoup de temps a été perdu. Aujourd’hui encore, par exemple, ce qui était supposé être une manne pour l’Etat, les biens mal acquis se trouvant à l’étranger, reste inaccessible. Quatorze ans après la chute du régime Ben Ali, le Président Kaïs Saïed en vient à vouloir porter le dossier au niveau des instances internationales et régionales et particulièrement devant l’Assemblée des Nations unies « dès lors que toutes les tentatives judiciaires menées depuis 2011 se sont avérées vaines », a-t-il admis en présence du ministre des Affaires étrangères, de l’émigration et des Tunisiens à l’étranger, Mohamed Ali Nafti lors d’une récente audience au Palais de Carthage. Kaïs Saïed a, également, exhorté le ministre à renforcer l’action diplomatique et à privilégier la coordination étroite avec les pays afin d’activer les procédures de récupération de ces biens, « l’argent du peuple tunisien », soutient-il.
L’autre boulet que l’Etat continue de traîner est celui de la corruption et il n’est pas des moindres en tant que facteur de déstabilisation du climat général et un bâton dans les roues de l’économie nationale. Dans ce chapitre, le dossier des financements étrangers des associations est particulièrement intrigant et compliqué à résoudre, d’autant que la législation ne l’interdit pas mais que certaines associations qui reçoivent de l’étranger, ou de certaines chancelleries, des fonds relativement importants ne jouent pas franc jeu avec les autorités financières. Ces associations dont certaines ont joué le rôle d’écran pour des partis politiques sont toujours dans le viseur de la justice. Le domaine des associations a connu un boom dans les années 2011-2021. Au lieu de rejaillir positivement sur les domaines de leurs activités respectifs, nombre d’associations sont suspectées de financements étrangers illicites et ont fait l’objet de controverses, de critiques et de contrôles administratifs et judiciaires. Les polémiques qui ont éclaté autour de ce dossier et qui enveniment un peu plus le climat général dans le pays ne sont pas près de désenfler, la dernière en date a débouché sur une plainte judiciaire déposée par l’une des associations les plus suspectées et les plus stigmatisées, I Watch, contre un chroniqueur télé proche du régime actuel.
La question des libertés reste la plus aiguë depuis la promulgation du décret 54 dont l’annulation est une demande quasi unanime des Tunisiens. Certes, il fallait mettre un terme aux dérives et à l’impunité qui ont marqué et miné la décennie noire, et que la majorité des Tunisiens ont réclamé, mais fallait-il aller jusqu’à museler la parole à la place de la réguler ? Il est, bien sûr, ici question des médias et du vide qu’ils ont laissé suite à leur retrait de la scène médiatique, un vide rapidement comblé par les réseaux sociaux où la liberté de ton et la désinformation sont désormais légion.
Dans quatre mois, le processus du 25 juillet 2021 aura quatre années d’exercice, il est temps de faire bouger le curseur et de faire jaillir plus souvent la lumière de l’espoir. Les annonces de recrutement de milliers de demandeurs d’emploi dans la fonction publique et le secteur public en font partie, sauf qu’une question cruciale reste en suspens et taraude les esprits : avec quels moyens financiers et quelle incidence sur le budget public ?

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