Tant attendu, le Conseil national du dialogue social a, enfin, vu le jour. Optimisme oblige, l’institutionnalisation du dialogue tripartite entre Etat, syndicat et patronat doit tourner la page de la « crise » des négociations sociales sur la majoration des salaires dans la fonction publique, servir de jalon pour un vrai débat public autour des questions d’intérêt commun et inculquer une véritable culture du dialogue.
Le contexte, néanmoins, « houleux » dans lequel s’est inscrite la réunion du Conseil national du dialogue social ne doit pas constituer une impasse. Les fustigations éprouvées par un nombre d’organisations professionnelles et syndicales sur fond d’exclusion, de marginalisation ou de faible représentativité à l’institution du Conseil du dialogue social ont mis les « partenaires officiels » sur la sellette et les ont fait passer sous la fourche. Ces fustigations devraient mériter considération pour asseoir les conditions idoines d’un dialogue social et fonder de nouveaux rapports sociaux susceptibles de favoriser la paix et la stabilité sociales et de stimuler l’économie sans coup férir.
Certes, le Conseil national du dialogue social pourrait être une panacée aux maux du pays. Mais pour réussir, des conditions de base devraient être réunies pour éviter l’anachronisme du positionnement des acteurs et consacrer par-là le consensus, la responsabilisation et la confiance mutuelle.
Les principes du dialogue social
Le dialogue social exprime les négociations ou consultations entre acteurs sociaux représentants des pouvoirs publics, des salariés et des employeurs sur des questions économiques et sociales d’intérêt national.
Selon l’organisation internationale du travail, « Le dialogue social inclut tout type de négociations, de consultations ou simplement d’échanges d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun. Il peut prendre la forme d’un processus tripartite auquel le gouvernement participe officiellement ou de relations bipartites entre les travailleurs et les chefs d’entreprises (ou les syndicats et les organisations d’employeurs), où le gouvernement peut éventuellement intervenir indirectement. Les processus de dialogue social peuvent être informels ou institutionnalisés ou associer – ce qui est souvent le cas – ces deux caractéristiques. Il peut se dérouler au niveau national, régional ou au niveau de l’entreprise. Il peut être interprofessionnel, sectoriel ou les deux à la fois. L’objectif principal du dialogue social en tant que tel est d’encourager la formation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail ainsi que leur participation démocratique. Les structures et les processus d’un dialogue social fécond sont susceptibles de résoudre des questions économiques et sociales importantes, de promouvoir la bonne gouvernance, de favoriser la paix et la stabilité sociale et de stimuler l’économie».
Le dialogue social est ainsi un cadre conceptuel et organisationnel mais aussi de bonnes pratiques et des actions concrètes desquelles toutes les parties prenantes doivent faire preuve.
L’objectif essentiel du dialogue social étant donc « d’encourager la formulation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail ainsi que leur participation démocratique ».
Pour ce faire, le dialogue social appelle une volonté politique, un soutien institutionnel approprié, le respect des droits fondamentaux que sont la liberté syndicale et la négociation collective et l’existence d’organisations syndicales et patronales fortes et indépendantes dotées des compétences techniques nécessaires.
L’institution du dialogue social représente le cadre dans lequel ont lieu les concertations préalables entre les partenaires sociaux au niveau national et interprofessionnel autour de tout projet de réformes portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle et de toute question qui relève du champ de la négociation sociale.
De la nécessaire approche systémique des résolutions
Le dialogue social présuppose que les parties prenantes aient une culture de compromis, ce qui n’est pas toujours le cas en Tunisie, du côté syndical comme du côté patronal. La réalité est que l’économie nationale et le pays en général sont victimes du blocage de nos relations sociales qui semblent plutôt acquérir le caractère de « combat » que celui du dialogue véritable.
Preuve à l’appui, la Centrale syndicale demeure intransigeante à propos des augmentations salariales dans le secteur de la fonction publique. Après la grève de 22 novembre, l’UGTT a décrété la date de 17 janvier une journée de grève générale dans la fonction publique pour défendre la cause du pouvoir d’achat des fonctionnaires publics.
En revanche, la Centrale patronale réclame parfois « démesurément » des incitations financières et fiscales sans considérer les contraintes budgétaires et mesurer à leur juste valeur les capacités réelles de l’Etat.
Le jeu des acteurs est manifeste. Un hiatus entre les discours tenus et les réalisations concrètes ne cesse de gagner le pays. Face à ces contraintes, la panacée réside dans l’adoption d’une approche systémique dans le traitement de ces questions en suspens.
En effet, les négociations salariales dans la fonction publique entre le gouvernement et l’UGTT prises isolement risquent de ne pas aboutir selon des conditions appropriées. Le sujet des majorations salariales devrait être traité suivant une approche globale qui intègre les différentes dimensions et problématiques du secteur public, en l’occurrence la restructuration des entreprises publiques, la réforme des caisses sociales, le ciblage des subventions et la réforme de la fonction publique.
Un équilibre d’ensemble devrait solder l’ensemble des variables de « l’équation » publique. S’il est légitime de défendre le pouvoir d’achat et la situation matérielle des salariés du secteur public, il serait aussi logique que toute augmentation salariale éventuelle soit accompagnée de mesures « compensatoires » en matière de subventions, des cotisations au titre de la sécurité sociale, de la productivité et de l’ouverture du capital des entreprises publiques.
Faute de quoi, toute augmentation de salaires sans modifications des paramètres s’y rattachant serait purement un non-sens économique de par les risques inflationnistes qu’elle pourrait occasionner, mais aussi et surtout un non-sens éthique si on continue à demander « tout » de l’Etat.
Toutes les questions relevant du secteur public devraient en fait être résolues au sein d’un pacte social global qui définit les engagements formels des uns et des autres et fixe un nouveau cadre d’obligations et de responsabilités de toutes les parties prenantes sans exclusion.
La Tunisie doit retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi, vrais garants de la paix sociale. Le pacte social recherché doit ainsi être un pacte de confiance, un levier de régulation sociale et un facteur de paix, de stabilité et de compromis.
Le Conseil national du dialogue social est une véritable chance à saisir pour bâtir un pacte social. Il doit avant tout être bien appréhendé puis correctement mis en œuvre pour être un véritable vecteur de changement, de panacée et de salut public !
Alaya Becheikh