Constats sur le projet de budget de l’Etat 2019

Par Tahar Abdessalem*

 

1-L’objet « Budget de l’Etat »
C’est l’expression de la politique budgétaire de l’Etat, conduite par les pouvoirs en place, proposée et validée par le gouvernement et la majorité parlementaire qui le soutient (et, en régime démocratique, supposée traduire dans les faits, les orientations programmatiques sur la base desquelles ils ont été élus), exécutée par l’Administration.
Principes traditionnellement requis pour une bonne politique budgétaire : efficacité et équité dans la mobilisation des ressources et leur affectation à des dépenses productives.
Alors que dire, comment lire le projet de budget 2019 ?

2-La politique fiscale continue en 2019 les mêmes déséquilibres importants et en aggrave certains
A-Inégalités dans la structure des impôts et parmi les contribuables.
Pendant de longues années avant 2010, l’Etat a suivi une tendance, lente il faut le dire, de rééquilibrage de la composition des recettes fiscales pour réduire la part des impôts indirects (TVA, droits de consommation et autres timbres, vignettes, etc.) et accroître celle des impôts directs. Depuis, la tendance s’est inversée et continue à le faire :
– réduisant de fait le potentiel redistributif associé à l’impôt progressif sur le revenu,
– alimentant le risque d’inflation
Ainsi, il est prévu en 2019 un impôt direct de 8,6 % du PIB et un impôt indirect de près 15 % du PIB dont une TVA atteignant 7,1 %du PIB (il peut être utile de rappeler que les moyennes pour les pays de l’OCDE, en 2015, ont été respectivement 11,5 % et 11 %).
Les impôts indirects se sont accrus (notamment avec la TVA) de 13,5 % en 2017 ; 22, 7 % en 2018. En 2019, l’accroissement prévu est de près de 10 %. L’augmentation de la TVA sur les professions libérales aggrave cette orientation.

♦Au sein de l’IRPP, il y une reprise de la concentration du gros des charges sur les salariés: contributeurs majoritaires de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (malgré leur part relativement minoritaire dans le revenu national, estimée à prés de 40-45 %), ils ne peuvent échapper au surcoût des impôts indirects, contrairement aux possibilités dont peuvent disposer d’autres acteurs économiques.
L’IRPP reste focalisé sur les salaires, avec 3,8 % du PIB, alors que les autres revenus ne contribuent qu’à hauteur de 2,2 % du PIB.
Il s’agit ici d’une composante importante des entraves des finances publiques, évasion fiscale et secteurs informels. « Passagers clandestins » de l’économie, ils affectent à la fois l’efficacité et l’équité du système fiscal (personnes physiques et entreprises échappant à l’impôt sur le revenu, et économie parallèle représentant environ 25-30 % du PIB).
Il est d’ailleurs reconnu que la fraude fiscale et l’incapacité à mettre en œuvre un impôt performant sur les revenus font privilégier les taxes indirectes dans les pays en développement.
B-Malgré la croissance continue de l’impôt (13,3 % en 2017, 15,5 % en 2018 et 10,7 % prévus en 2019), le recours à l’emprunt reste très important avec plus du tiers des recettes propres ces dernières années.
Et ce n’est pas pour renforcer les ressources destinées à l’investissement public : à prix constants, après une stagnation en 2017, une baisse de 4,5 % en 2018 et de 2,6 % prévue en 2019.
Car les dépenses incompressibles sont toujours fortes :
– Les salaires qui remontent à 14,1 % du PIB
– Le service de la dette à 9300 MD, pas très loin des ressources d’emprunt
– Les dépenses de compensation et autres interventions y compris la consolidation d’établissements publics
C-La curieuse façon dont le projet de budget considère le déséquilibre des échanges extérieurs : il prend une hypothèse sur les seules importations, avec une croissance à 8,1 % en 2019 contre 13,2 % en 2018 (actualisé), alors qu’on observe la persistance sinon l’aggravation du déficit de la balance commerciale :
– il dépasse déjà largement celui de 2017 à la même période, sachant que pour toute l’année 2017 il a été de 15600 MD.
– actuellement près de la moitié du déficit commercial est due aux produits d’énergie, dont le taux de couverture se réduit régulièrement (autour de 25 %), avec les conséquences en matière de compensation
Outre le fait que les projections omettent de considérer les exportations, elles n’indiquent pas le taux de change anticipé !
Et pourtant tout le monde sait (ou devrait savoir) que la prise en compte des déséquilibres des échanges extérieurs – notamment la balance commerciale – est importante, car ils affectent directement les finances publiques, en particulier par:
– le manque à gagner en ressources propres,
– les dépenses publiques supplémentaires toujours importantes en compensation
– l’impact sur le taux de change, ce qui influence le service de la dette (toujours croissante, avec une gageure de taille pour 2019 : la moitié des emprunts nécessaires pour boucler le budget est supposée venir des marchés financiers internationaux !) et l’inflation.

3-Les mêmes défauts méthodologiques dans la définition et l’évaluation ex ante de la politique budgétaire :

A part des indications sommaires sur les hypothèses (pétrole Brent à 75 $, croissance du PIB à 3,1 % (sans en connaître les facteurs déterminants) (contre 1,9 % en 2017 et 2,6 % en 2018 actualisé – alors que la loi de Finances 2018 prévoyait 3 %), croissance déjà évoquée des importations à 8,1 % contre 13,2 %en 2018 actualisé), le projet de budget adopte une démarche caractérisée principalement par:
Une configuration de catalogue de mesures devant assurer pour chacune un rendement fiscal permettant d’atteindre l’objectif du déficit budgétaire,  l’utilisation manifeste d’un dispositif statique et non intégré de l’économie, avec absence de prise en compte des interactions des acteurs et des activités: en effet, une mesure fiscale peut modifier le comportement des agents et la transformation d’activités, aboutissant in fine au contraire du résultat escompté.
Le dédain persistant des outils adaptés aux évaluations et aux simulations (modèles d’équilibre général, macro- économétrique ou calculable)
Dès lors, comment évaluer la pertinence et la crédibilité d’une politique budgétaire avec uniquement le rendement fiscal des mesures comme jauge apparente de réussite ?
Cette défaillance rejaillit naturellement sur les mesures supposées « phares » du programme gouvernemental et questionne leur opportunité et la nature de leurs impacts:
– relance des investissements des entreprises (impôt sur les sociétés à 13,5 %, modes de comptabilisation des amortissements, prise en charge de l’impôt et des cotisations employeurs de certaines activités, Banque des régions, etc.)
– renforcement du contrôle fiscal
– voitures « populaires », avec l’annulation des droits de consommation et la réduction de leur TVA à  7 %
En effet, de quelle manière ces mesures budgétaires contribuent-elles à la réalisation des objectifs annoncés : relance de l’économie (croissance du PIB ?), développement des régions, et même stabilisation macroéconomique ?

4-Finalement, recherchant « une politique budgétaire de l’Etat », on rencontre plutôt une continuité dans la démarche de « colmatage des brèches » et d’assemblage pressant et pressé de mesures destinées à couvrir les dépenses incompressibles grandissantes : salaires des fonctionnaires, service de la dette, déficits des établissements publics, compensation, etc., avec la permanence du recours important à l’endettement.

* Ancien élève de l’Ecole Polytechnique et de l’ENSAE, Paris
Professeur de l’enseignement supérieur

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