Par Hatem Bourial
La Conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique vient de se dérouler avec succès à Tunis.
Outre la participation de plusieurs gouvernements africains, la Ticad 8 a permis de rassembler de nombreuses entreprises japonaises de premier plan aux côtés des représentants des pouvoirs publics nippons et tunisiens.
Quelles premières leçons tirer de cet important événement qui a eu lieu les 27 et 28 août pour nous projeter sur les trois prochaines années ?
La tenue de la Conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique (Ticad 8) à Tunis, a nécessité un important travail en amont et une mobilisation sans faille de plusieurs intervenants tunisiens et japonais.
En effet, une coordination générale tunisienne a joint ses efforts à un secrétariat spécial du gouvernement japonais pour défricher le terrain à cette importante manifestation qui a réuni plusieurs chefs d’État et de gouvernement africains dans l’objectif de définir de nouvelles stratégies de développement.
Appropriation, partenariat, triangularité
Les maîtres-mots à retenir dans la démarche générale de la Ticad sont au nombre de trois et définissent bien la doctrine de coopération du Japon aujourd’hui. Le premier terme est celui d’appropriation et se réfère à la prise en charge par les Africains de leur développement. En second lieu, la notion de partenariat est un élément fondamental car elle implique alors une coopération basée sur des synergies et non pas sur une simple aide au développement.
Le troisième terme est celui de triangulation et définit fortement cette huitième Ticad qui vient de se dérouler à Tunis. En effet, le pays hôte c’est à dire la Tunisie, est appelé à promouvoir une coopération triangulaire avec les autres pays de la région. Autrement dit, la dynamique générale de la Ticad consiste à placer notre pays en position de plateforme pour un développement harmonieux, durable et coopératif déployé sur toute l’Afrique.
Ainsi, après la Ticad de Nairobi en 2016 puis celle de Yokohama en 2019, les assises de Tunis vont permettre de poursuivre le développement de l’initiative pour un espace Indo-Pacifique libre et ouvert, socle de la démarche japonaise en direction de l’Afrique.
La Ticad de Tunis s’affirme ainsi comme un succès éclatant à plusieurs niveaux. En premier lieu, la trame d’une coopération triangulaire Japon-Tunisie-Afrique a été clairement posée. Par exemple, des accords-cadre entre la Tunisie et la Guinée Bissau ou le Cap Vert ont été signés et devraient bénéficier du soutien du Japon. En second lieu, plusieurs mémorandums et conventions ont vu le jour et concernent plusieurs domaines. Dans ce cas, la Tunisie est le bénéficiaire direct et peut ainsi promouvoir plusieurs pans innovants de son économie. Enfin, le succès était également au rendez-vous en termes d’organisation avec beaucoup de savoir-faire de la part de la partie tunisienne qui a mis en œuvre une logistique remarquable.
Au-delà, la Ticad a ouvert de nombreuses nouvelles perspectives. Il s’agit maintenant de mûrir la réflexion, bien assimiler le mécanisme de développement pensé par le Japon et tirer les leçons qu’il faut pour passer à la vitesse supérieure. En effet, si la Ticad est par essence un mécanisme multilatéral, le succès de la conférence de Tunis rejaillit aussi sur la qualité de notre coopération bilatérale avec le Japon.
De fait, les plus hauts responsables japonais du gouvernement, de la diplomatie, du commerce extérieur et de la coopération ont fait le déplacement de Tunis et pleinement contribué au succès de l’événement. Même retenu à Tokyo, le premier ministre japonais, M. Fumio Kishida, a participé à pratiquement toutes les sessions de la Ticad 8. De même, sur un autre plan, la présence active de Macky Sall, président du Sénégal et président en exercice de l’Union africaine, a constitué l’un des atouts de cette édition et un gage patent pour la triangularité à venir.
Cinq leçons à méditer après la Conférence de Tunis
Quelles leçons tirer de cette conférence qui a débouché sur l’adoption d’une déclaration de Tunis ? Quelles approches privilégier désormais dans l’implémentation des résolutions de cette conférence ? Enfin, qu’a apporté la Ticad à la Tunisie en termes de méthodologie de la coopération et du développement ?
1. La plateforme tunisienne et le vecteur japonais
Après la Ticad, la Tunisie se doit d’endosser son identité de hub dans la stratégie triangulaire du Japon en direction de l’Afrique. Ainsi, notre pays aura la dimension d’une plateforme dont les atouts en termes d’expertise et de positionnement sont nombreux.
En ce sens, la Tunisie aura une chance inouïe de rénover son regard sur l’Afrique dans son ensemble. Plusieurs entreprises et agences gouvernementales tunisiennes sont déjà sur le terrain et il faudra certainement capitaliser sur cette expérience pour s’insérer dans l’option triangulaire préconisée par le partenaire japonais.
À titre d›exemple, le Centre tunisien de promotion des exportations possède cinq agences dans différentes régions de l›Afrique. De même, en Afrique de l’Ouest, de nombreux opérateurs tunisiens sont présents dans le domaine économique ou universitaire.
Dans cette optique, la Ticad donnera certainement un nouvel élan à ces entreprises tunisiennes qui pourront aussi s’inscrire dans la dynamique générale de la coopération triangulaire pour ouvrir de nouveaux marchés. De la sorte, la Ticad apparaît comme un soutien à l’investissement dans de nombreux pays qui plus est avec le know-how japonais et les moyens financiers des grandes entreprises nippones.
Entre le hub tunisien et le vecteur japonais, les synergies bien comprises pourraient ainsi générer de nouvelles opportunités et la consolidation des acquis.
2. Un soutien stratégique de la Jica
La Jica est l’Agence japonaise de coopération internationale. Présente en Tunisie depuis 1975, elle est désormais appelée à jouer un rôle majeur pour les trois prochaines années. En effet, lors de sa participation à la Ticad, Akihiko Tanaka, président de la Jica, a mis en exergue le fait que les projets de coopération annoncés par le Japon lors de la conférence, seront mis en œuvre par la Jica, organe d’exécution sur le terrain des politiques de coopération du Japon.
Ainsi, la Jica sera avec l’ambassade du Japon en Tunisie, l’épicentre local du déploiement des résolutions de la Ticad. Cela donne au bureau de Tunis de cette agence, une nouvelle dimension et une mission stratégique pour les prochaines années.
3. Accélération et vision à long terme
La Ticad induit indéniablement une accélération en matière d’investissement et de coopération. La Tunisie pourra se servir de ce puissant levier pour aller plus vite, plus loin, plus fort. Cela n’a pas été suffisamment relevé : la Ticad peut permettre à la Tunisie de rattraper le temps perdu ces dernières années et contribuer à la remise à niveau de l’économie tunisienne en la redirigeant vers le continent africain.
Bien sûr, cette accélération encore embryonnaire implique deux éléments essentiels. En premier lieu, la volonté politique et son corollaire en termes de réformes systémiques. Ensuite, c’est à une redéfinition de la valeur travail que l’accélération que va générer la Ticad, nous invite.
D’autre part, même si la dynamique engagée la semaine dernière à Tunis concerne surtout les trois prochaines années, elle nous place dans une vision à long terme. Un agenda 2063 a été clairement évoqué à Tunis ainsi qu’une coïncidence souhaitée avec les objectifs des Nations unies pour le développement durable.
D’ailleurs, le fait que le système des Nations unies, la Banque mondiale et la Commission de l’Union africaine soient co-organisateurs de la Ticad 8 consolide cette vision à long terme qui manque souvent à nos stratégies de développement.
4. Réseaux existants et potentiels en friche
La tenue de la Ticad 8 dans nos murs nous a en quelque sorte révélé à nous-mêmes. En effet, cette conférence a permis en amont de faire l’état des lieux en Tunisie sur plusieurs points et nous faire découvrir que la Tunisie ne va pas aussi mal qu’on pourrait le penser.
De nombreux réseaux sont actifs en Afrique et aussi au Japon où les partenariats donnent d’excellents résultats dans plusieurs domaines. Les flux humains et financiers entre nos deux pays sont constants et en progrès. Ils soulignent une capillarité impressionnante puisque les échanges se développent à plusieurs niveaux.
Dès lors, la Ticad a agi comme un révélateur sur ce potentiel peu connu par l’opinion publique et qui constitue un autre socle de la relation tuniso-japonaise. De même, la Ticad 8 a été l›occasion pour la Tunisie de dresser des listes de tous les projets innovants qui pourraient voir le jour si des financements existaient. Le secteur public a par exemple recensé 46 projets potentiels de partenariat alors que le secteur privé en a présenté 81 grâce au travail anticipateur de la Chambre tuniso-japonaise de commerce et d’industrie. C’est dire le besoin de financement mais aussi la capacité de régénération de l’économie tunisienne qui attend un déclic heureux pour que s’ouvrent les nouveaux chantiers du possible.
5. Gros plan sur la Tunisie qui bouge
La cinquième leçon à tirer de la Ticad est relative à l’enthousiasme et à l’engagement des Tunisiens de tous horizons qui étaient impliqués dans les travaux. Les plaidoyers passionnés des uns et des autres, jeunes et moins jeunes, nous plaçaient devant une Tunisie qui bouge dans le bon sens du terme.
Nous étions lors de la Ticad à mille lieues des querelles et autres pugilats vécus ces dernières années au sein de l’Assemblée des représentants du peuple dissoute. De véritables forces vives, des collèges d’experts et des activistes de la société civile démontraient que la Tunisie était sur le bon chemin : celui de la sortie progressive de la crise politique qui a plombé l’essor du pays durant une décennie. La prise de conscience du potentiel et des atouts dont nous disposons place la Tunisie dans une courbe ascendante que des mécanismes similaires à la Ticad ne peuvent qu’accompagner et consolider.
Un révélateur du dynamisme tunisien
La Ticad sera-t-elle à l’origine d’un sursaut salvateur, d’un déclic opérationnel qui puisse remettre la Tunisie au travail tout en l’ouvrant sur des perspectives africaines et asiatiques ? Cette impression prévalait à la fin des travaux de la Ticad.
Les uns évoquaient la résilience tunisienne et la capacité à se transcender d’un peuple. Les autres soulignaient la méthode gagnant-gagnant à laquelle le Japon nous invite à adhérer. D’autres encore louaient les possibles conjonctions entre les atouts géographiques de la Tunisie et la vision stratégique du Japon.
Le dynamisme tunisien était ainsi au cœur de toutes les conversations et l’élan des intervenants était amplement perceptible.
Reste maintenant à engager le travail dans la bonne compréhension du levier de la Ticad qui au-delà de l’appui bilatéral qui est apporté à la Tunisie, reste un mécanisme triangulaire d’ouverture et d’investissement vers l’Afrique dans son ensemble. À nous désormais de conjuguer le pragmatisme tunisien au remarquable volontarisme japonais. Trois années de travail et de concertation commencent cette semaine.
À la Tunisie de relever le défi pour que la Ticad 2025 puisse se déployer sur un nouveau socle.