Coronavirus : des chercheurs tunisiens conçoivent un respirateur à imprimer en 3D

Des membres du Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) en tenue de protection contre le coronavirus, à Tunis, le 6 avril 2020

Etats et particuliers pourront s’emparer gratuitement de cette technologie en « open source » pour fabriquer leurs propres ventilateurs, notamment en Afrique où les hôpitaux en manquent cruellement.
Les doigts d’une main ou deux suffisent parfois pour les compter. Les hôpitaux africains manquent cruellement de respirateurs pour aider les personnes atteintes par le Covid-19 en détresse respiratoire. Début avril, dans un effort parfois confus pour recenser les besoins en matériels médicaux, on en dénombrait un à N’Djamena, trois à Bangui, dix à Yaoundé, entre dix et une soixantaine à Bamako, de 70 à 80 pour l’ensemble des hôpitaux ivoiriens.
Au regard de l’Europe, des Etats-Unis ou de l’Asie, les 54 pays africains sont encore peu touchés, même si les chiffres de contamination par le nouveau coronavirus ont doublé en quelques jours au début du mois. Jeudi 16 avril, 18 033 malades et 951 morts étaient officiellement recensés pour l’ensemble du continent, l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie et le Maroc totalisant à eux seuls plus de la moitié des cas et 80 % des décès. On est donc encore loin de la grande vague épidémique annoncée, et il est encore temps pour l’Afrique de s’y préparer.
C’est ce qui a poussé un groupe d’universitaires du réseau panafricain Honoris United Universities à agir en concevant un ventilateur non invasif (VNI) à imprimer en 3D. Sur l’ensemble des malades hospitalisés, environ 15 % ont besoin d’une aide extérieure pour respirer, tandis que 5 % nécessitent d’être intubés.
*Moins de 400 euros pièce
L’idée est de proposer sur Internet, sans avoir à payer de droit d’accès à un brevet, un logiciel téléchargeable accompagné d’un manuel de fabrication, de recommandations de matières premières et d’imprimantes 3D, ainsi qu’un mode d’emploi complet pour une utilisation aussi bien à domicile qu’à l’hôpital. Les matériaux ont été choisis pour leur fiabilité mais aussi pour leur facilité d’accès. A l’arrivée, le défi est de permettre à n’importe qui, particulier ou Etat, de fabriquer rapidement des respirateurs pour moins de 400 euros pièce.
« C’est grâce au télétravail et au confinement que l’idée a émergé », raconte l’initiateur et chef du projet, le Tunisien Nidhal Rezg, docteur en automatique industrielle qui enseigne à l’Ecole polytechnique de Tunis et à l’Université de Lorraine, à Metz : « Entre collègues, on s’est rapidement dit qu’il fallait faire quelque chose pour contribuer à sauver des vies. » Les échanges à distance aboutissent en quelques jours. Fin mars, un consortium est mis sur pied et une équipe de médecins tunisiens du réseau Honoris est sollicitée pour l’élaboration du prototype.
« C’était intéressant d’être à la croisée de deux mondes : l’industriel et le médical », raconte le chirurgien Chedly Dziri, qui a créé et dirige le Centre de simulation médical de Tunis et a participé au projet avec l’anesthésiste et réanimateur Maâmoun Ben Cheikh : « En tant que médecins, nous savions exactement ce que nous voulions, mais nous ne savions pas ce que les ingénieurs pouvaient réaliser. En fait, nous sommes tous des techniciens : nous avons passé des heures à échanger par mails et visioconférence. Et en quatre jours, c’était plié ! »
Des accords sont passés avec deux entreprises spécialisées en robotique et conception industrielle, Level 1 à Tunis et Tech3D à Niderviller, en Moselle, pour fabriquer deux prototypes, actuellement en phase de test. « Nous nous donnons encore un peu plus de deux semaines, explique Nidhal Rezg. Pour que, au 4 mai, nous ayons obtenu l’homologation des autorités de santé en France et en Tunisie et que notre logiciel soit mis en ligne. »

Schéma des trois options du ventilateur non invasif (VNI) dont le logiciel de fabrication en impression 3D doit être disponible en accès libre sur Internet à partir du 4 mai 2020. Le prototype, en cours de test, a été développé par les ingénieurs et les médecins du réseau panafricain Honoris United Universities de Tunis et de l’Université de Lorraine, à Metz. Honoris/Ecole Polytechnique de Tunis/Université de Lorraine/Ditex

*« Nous sommes en guerre »
La conception du VNI est d’autant plus intéressante qu’elle comporte trois options de fabrication. La première consiste en un masque lavable en silicone avec filtre, qui permet de se protéger de la contamination. Les deux autres options ajoutent les éléments nécessaires à la respiration assistée simple avec un venturi, section qui permet de calibrer le débit d’oxygène, et un presseur qui actionne le ballon insufflateur en cas de motorisation du dispositif.
« Bien sûr, il s’agit d’une version simplifiée par rapport aux modèles industriels sophistiqués, mais nous sommes en guerre contre ce virus et la pénurie de respirateurs nous oblige à proposer des solutions rapides et fiables, poursuit Nidhal Rezg. Tout est imprimable en 3D, sauf le moteur et la partie électronique, très faciles à trouver sur le marché. »
De premières séries seront imprimées par Tech3D et Level 1. Il revient ensuite aux Etats du continent, et au-delà, de s’emparer de cette technologie pour fabriquer leurs propres respirateurs.
La Tunisie, si elle est assez peu touchée par la pandémie, est confrontée, comme partout dans le monde, aux ruptures de stocks des industriels. La crise sanitaire a donc aussi précipité le débat, à Tunis comme à Paris, sur la dépendance des systèmes de santé aux importations pour assurer leurs approvisionnements en matériels médicaux de base. « Avant le Covid-19, abonde le professeur Chedly Dziri, nous parlions déjà de la nécessité de devenir producteurs de nos propres matériels. Cette situation nous offre l’opportunité de passer à l’action. »
*Un réseau qui rassemble 45 000 étudiants africains
Honoris United Universities est un réseau panafricain d’enseignement supérieur privé, créé en juillet 2017, qui délivre des diplômes aux normes internationales dans dix disciplines : santé, ingénierie, informatique et télécommunications, sciences politiques, droit, commerce, éducation, architecture, arts et design, médias.
En tout, 45 000 étudiants africains planchent au sein de 60 campus répartis dans 32 villes de dix pays du continent sur des enseignements délivrés de manière physique et en ligne. L’ambition du réseau, comme le précise le site d’Honoris, est de « former la nouvelle génération de leaders et de professionnels africains capables d’avoir un impact sur leur société et leur économie dans un monde globalisé ».
Pour ce faire, le réseau dirigé par Luis Lopez s’est tissé en investissant dans le capital de prestigieuses écoles privées du continent ou en les rachetant, comme en 2017 et 2018, avec cinq établissements au Maroc, en Afrique du Sud et sur l’île Maurice. De nombreux partenariats ont aussi été noués avec une soixantaine d’universités européennes et américaines, qui permettent aux jeunes futurs diplômés africains des échanges intercontinentaux.
(Le Monde)

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