Les conclusions contenues dans le 2e rapport annuel de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), au titre de l’année 2017, publié récemment, n’ont pas beaucoup surpris, elles ont tout simplement confirmé un a priori qui habite les Tunisiens.
Les données et les cas évoqués donnent la pleine mesure sur la prolifération surprenante de la corruption en Tunisie et son étendue , huit ans après la chute du régime de Ben Ali, censé être à l’origine du fléau.
La guerre contre la corruption n’est pas uniquement l’affaire de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC), elle est une responsabilité que doivent assumer respectivement le président de la République, le chef du gouvernement et le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), la société civile, le système judiciaire et tous les citoyens. En dépit de la mise en place de l’INLUCC et d’une batterie de lois luttant contre la corruption, ce fléau dévastateur n’a fait que gagner en ampleur et, telle une pieuvre, ses tentacules se sont étendus partout et son rayon d’action concerne désormais tout le territoire national et toutes les activités.
Au regard de la gravité du phénomène, de sa propagation dans la société et de l’ampleur qu’il est en train de prendre, le second rapport annuel de l’Instance pour l’année 2017 présente un ensemble de résultats, de recommandations adressés aux différents pouvoirs et aux parties concernées par la gouvernance et la lutte contre la corruption, ainsi que de données sur les moyens pour rendre plus efficace la lutte contre la corruption.
Le rapport comporte les normes techniques relatives à l’analyse des aspects social, historique, législatif et institutionnel de la lutte anti-corruption, outre un certain nombre de dossiers soumis à la justice.
163 recommandations ont été formulées prévoyant notamment d’accélérer le processus de traitement en justice des affaires de corruption et de porter un intérêt accru aux questions disciplinaires qui relèvent de la compétence du Chef du gouvernement et des ministres. Il s’agit également, de renforcer les efforts de la justice, des médias et de la société civile qui ont adhéré pleinement à la guerre contre cette hydre.
Manifestement, la corruption la plus palpable réside surtout, dans les pots-de-vin ou la suspicion de détournements de fonds publics. Elle est devenue le slogan pour dénoncer tous les maux dont souffre le pays, le déficit d’action des politiques face à la recrudescence des problèmes économiques.
Une corruption généralisée
La corruption est l’un des facteurs majeurs à l’origine du blocage de la croissance ou tout au moins de son faible rythme. En effet, au regard de plusieurs experts, en l’absence de corruption et de népotisme en Tunisie, la croissance aurait pu atteindre les 6%.
En tout état de cause, le pouvoir exécutif semble faire de la lutte contre la corruption, une priorité absolue. La guerre déclarée il y a plus d’un an, soutient à plusieurs reprises le Chef du gouvernement, se poursuivra sans relâche et n’épargnera aucune partie. Dans cette perspective, le rapport de l’INLUCC met à nu l’étendue de la corruption dans le pays. Un phénomène qui touche l’ensemble des secteurs. Le volumineux rapport de l’INLUCC (500 pages), recense plus de 9189 plaintes déposées auprès de l’Instance, dont 245 seulement ont été transférées à la Justice.
Il ressort qu’environ 35% des plaintes déposées auprès de l’INLUCC proviennent des régions où le gouvernorat de Tunis occupe la première place avec environ 15%, et celui de Kairouan, occupe la dernière place, avec 3,86%. Par ailleurs, 30,85% des plaintes concernent des affaires de corruption financière et administrative, et 2,32% sont relatives aux appels d’offres publics et ce, en dépit de l’adoption d’une législation moderne conforme à des normes bien précises.
Hauts cadres impliqués et entreprises publiques touchées
Il y a lieu de noter que 25,11% des dossiers de corruption concernent divers ministères et départements et la palme revient sans conteste au ministère de l’Intérieur avec 5,75%. Les principales affaires se rapportent à la spoliation de biens publics, à la corruption administrative et financière au niveau des municipalités, aux dépassements dans le secteur de la santé, à la contrebande et aux recrutements.
Le phénomène s’est étendu à des dossiers se rapportant à des projets de développement, des affaires de blanchiment d’argent impliquant des sociétés privées et des banques, y compris publiques, qui ont reçu des virements provenant de sociétés étrangères, inscrites sur les listes des paradis fiscaux.
Des suspicions de corruption ont été, également, constatées au niveau des ports de Radès et de la Goulette. Des affaires qui concernent de hauts responsables qui ont usé de leur influence auprès de sociétés privées pour leur attribuer certains marchés. Des dossiers similaires impliquant la Douane sont signalés, auxquels il faut ajouter des suspicions de corruption dans des entreprises publiques à l’instar de la Transtu, de l’AFH, de la RNTA, de l’ONAS, ou encore de l’INS. Dans tous ces dossiers, on recense des cas de détournements de fonds et de malversations touchant de hauts cadres.
Le rapport souligne, par ailleurs, que le nombre de ministères qui ont été coopératifs avec l’INLUCC pour le transfert des dossiers de corruption à la justice, a évolué et ce, grâce aux conventions de coopération signées entre l’Instance et un grand nombre de ministères. Néanmoins, trois ministères se sont montrés réticents. Il s’agit du ministère des Affaires religieuses, de la Justice et du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale.
Concernant le secteur des médias, le rapport précise que 33 affaires ont été portées devant la Justice. Elles concernent essentiellement, la publication de statuts et d’articles portant atteinte à des fonctionnaires de l’Etat. L’INLUCC, à elle seule, a porté sur quelque 70 plaintes contre des sites électroniques et des statuts sur les réseaux sociaux portant atteinte à l’Instance et son président, soit 26,12% du total des dossiers déférés devant la Justice.
Ce dernier chiffre, assez conséquent, laisse dubitatif, puisque, si ces statuts sont de simples critiques, on serait devant une atteinte à la liberté d’expression, a contrario, ces cas peuvent être assimilés à des diffamations devant relever de l’ordre du droit public, non une partie intégrante de la lutte contre la corruption.
Des plaintes sous le sceau de l’anonymat
Le rapport de l’INLUCC a également révélé que la grande partie des plaintes que reçoit l’INLUCC, portent le sceau de l’anonymat, représentant environ 40% et renseignant fort sur la peur des représailles des dénonciateurs. Pourtant, l’ARP avait adopté une loi qui constitue le signal le plus important dans l’engagement du gouvernement dans la lutte réelle contre un fléau qui ne cesse de gangrener l’économie du pays, à savoir la corruption. Il s’agit de la loi organique relative à la dénonciation de la corruption et à la protection de ses dénonciateurs. Partant, si la majeure partie des plaintes sont déposées anonymement, c’est que le manque de confiance règne encore. D’ailleurs, le lancement d’alertes comporte souvent des problématiques qui entravent son utilisation, notamment le manque de confiance des dénonciateurs potentiels dans l’appareil d’Etat, leur crainte des représailles. D’où toute l’importance que revêt l’adoption de la loi organique relative à la dénonciation de la corruption et à la protection de ses dénonciateurs. Un cadre qui marque l’accomplissement d’une avancée décisive dans la mise en place de la politique globale de lutte contre la corruption.
Certes, la dénonciation est un pas important et capital dans la lutte contre la corruption. Néanmoins, en plus de la dénonciation, il faut que les gouvernants donnent l’exemple. Car, le système de corruption gangrène jusqu’au plus haut sommet de l’État.
Ce qui dérange le plus, c’est la persistance de l’impunité qui enfonce le pays dans une sorte de cercle vicieux et banalise la corruption. La corruption reste, dans tous les cas de figure, un phénomène fortement enraciné dans la société tunisienne et dans tous les rouages de la vie publique. En effet, selon le dernier indice de perception de la corruption, publié par l’organisation « Transparency International », la Tunisie occupe la 74e position sur un total de 180 pays.
Un classement peu honorable qui renseigne sur la persistance de beaucoup de failles et d’insuffisances dans le dispositif global de lutte contre la corruption au niveau national. L’absence de mesures à même de permettre une mise en œuvre effective des lois, qu’elles soient en rapport avec la prévention de la corruption ou celles relatives à l’aspect répressif, a pour conséquence directe, l’affaiblissement de la confiance des citoyens dans les pouvoirs publics et des efforts qu’ils déploient dans ce domaine.
Toutefois, il ne fait point de doute que notre pays est capable de progresser davantage, à condition de conjuguer les efforts de toutes les parties prenantes pour démanteler le système de corruption et renforcer les initiatives inscrites dans le plan d’action de la stratégie nationale de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, notamment les îlots d’intégrité dans les secteurs de la Douane, la Santé, la Sécurité et les collectivités locales.
L’Instance nationale de lutte contre la corruption, insiste d’ailleurs sur la nécessité d’agir, en vue de mettre en place les organes constitutionnels tels que la Cour constitutionnelle, ainsi que sur l’impératif de doter les institutions en charge de la lutte contre la corruption, telles que les organes de contrôle, la Cour des comptes, le Pôle judiciaire économique et financier et l’Instance nationale de lutte contre la corruption, de tous les moyens financiers et humains nécessaires à leur bon fonctionnement.
N.F