Le sentiment prédominant chez les couples qui n’ont pas pu avoir d’enfants, c’est la gêne, pour ne pas dire la honte lorsqu’on évoque le sujet avec eux… Un sentiment généré au fil du temps par la famille et l’entourage pour qui le mariage signifie automatiquement la procréation et « Youyous » de joie. Mais lorsque l’enfant tarde à venir, il devient difficile de résister à la pression des proches.
Se pose alors la question essentielle : un couple peut-il
survivre sans enfants et résister à la pression sociale ? Découverte d’un univers discret, pour ne pas dire secret…
L’infertilité est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « une incapacité du couple à procréer ou à mener une grossesse à terme au bout d’une année ou plus de rapports réguliers. » La même source affirme que « plus de 80 millions de personnes sont infertiles à travers le monde ».
Le premier couple que nous avons rencontré est uni depuis dix ans, sans enfants, mais toujours solide. D’une même voix, les deux partenaires disent «espérer encore un miracle. » Ils appartiennent à un milieu aisé et ils ont vu tous les spécialistes, tenté toutes les solutions, même les plus pointues. Mais rien, pas de grossesse à l’horizon… L’époux nous avoué ressentir « un sentiment de culpabilité chaque fois que les médecins nous annonçaient un échec, car le problème vient de moi. Un problème de mobilité des spermatozoïdes, à ce qu’on m’a dit… ».
Il semble d’ailleurs que la stérilité masculine soit celle qui crée le plus de gêne, comme si la virilité de l’homme était en cause, alors qu’il n’en est rien. La jeune dame témoigne : « mon mari et moi avons des relations sexuelles très satisfaisantes, mais c’est la qualité de son sperme qui laisse à désirer d’après les médecins. Il faut dire qu’il manipule des produits chimiques depuis des années, ce qui aurait un impact sur sa fertilité… ».
Culpabilité
Un gynécologue spécialisé dans la fécondation in vitro nous a assuré : « selon mon expérience, les cas de stérilité semblent augmenter énormément depuis quelques années pour diverses raisons et c’est d’autant plus problématique que les Tunisiens se marient pour avoir des enfants. Ils sont souvent surveillés de près par la grande famille et les proches».
Ce spécialiste parle de deux situations bien distinctes : « l’hypofertilité d’une part et l’infertilité totale d’autre part, que l’on qualifie aussi de stérilité. Les chiffres sont importants, puisque certaines études montrent qu’il y aurait actuellement jusqu’à 15% de couples ayant des problèmes d’hypofertilité et un à 2% d’infertilité totale ».
Pour Amira, 32 ans, tout a commencé comme dans un rêve. Puis les nuages se sont accumulés. Elle se rappelle : « les mois passaient et je ne tombais toujours pas enceinte. J’ai commencé à m’inquiéter, à ne plus penser qu’à ça. Alors mon mari et moi, on est allé voir plusieurs médecins et faire des dizaines d’examens : prises de sang, radiographies des trompes, de l’utérus pour moi et spermogramme pour lui. Parfois les médecins avaient une explication, mais souvent ils ne trouvaient rien. Lorsque le diagnostic d’infertilité est tombé, le couple a vacillé. Imaginez notre détresse. On se disait pourquoi moi, pourquoi nous ? ».
Ce sentiment de culpabilité est fréquent, reconnaît leur médecin. Mais « il faut savoir le repousser en se disant que c’est un problème de santé publique comme un autre, même si c’est l’essence de la vie qui est en jeu. Je vois souvent des hommes et des femmes tristes, qui se sentent coupables après de multiples échecs. Il y a même des cas où chacun des deux partenaires pourrait avoir des enfants avec un autre, mais ensemble ça ne marche pas… ».
Nous avons également rencontré un couple heureux qui a vécu plus de vingt ans sans enfants, avant d’avoir une petite fille, belle comme le jour et pleine d’énergie… Sa maman se confie : « quand on a posé ma fille sur ma poitrine, j’ai éprouvé une émotion intense, J’étais maman, enfin. Mon ventre n’était plus cette terre argileuse et craquelée qui ne produit rien. »
Dans ce cas, c’est la femme qui avait des problèmes de tension et qui n’arrivait pas à mener sa grossesse à terme. « C’est grâce aux progrès de la science et aux compétences des médecins tunisiens que nous avons réussi à avoir notre enfant et nous voulons ici les remercier pour leur patience et leurs encouragements… ».
Ce que nos interlocuteurs n’abordent jamais, c’est l’aspect financier de tous ces essais, de toutes ces manipulations, comme si cette question n’avait aucune importance et que seule la naissance d’un enfant comptait. Les médecins restent aux aussi assez évasifs sur la question du coût global, se contentant d’un laconique « cela dépend du type de problèmes rencontrés et de la durée des soins… » Mais certaines sources ont parlé d’un marché juteux de plusieurs milliers de dinars…
Doutes et déchirements
Le cas de stérilité le plus touchant que nous avons rencontré c’est celui de cette dame qui était enceinte et qui a fait une chute dans l’escalier de sa maison avec plusieurs fractures. Elle a perdu son bébé et a beaucoup souffert sur le plan psychologique puisque cette chute l’a rendue définitivement stérile. Depuis elle tente de se refaire une santé psychologique en adoptant des animaux de compagnie, sur lesquels elle a reporté sa tendresse…
Mais les choses ne se passent pas toujours aussi bien. On nous a rapporté de nombreux cas où la stérilité a été la cause principale de divorce. C’est évidemment moins grave que ce qui se passait autrefois, lorsque l’infertilité entraînait la répudiation de la femme. Cela provoque des sentiments de culpabilité, d’infériorité et d’amputation d’une partie de soi qui peuvent être soutenus. A cause de la stérilité, on interrompt la chaîne de la transmission des générations. On peut avoir l’impression de ne pas devenir utile, normal.
Un psychologue analyse l’absence d’enfants en ces termes : « les couples sans enfants et leurs familles vont vivre la stérilité comme une malédiction, un handicap, avec parfois un sentiment d’exclusion de la société, de rejet de la part de l’entourage. Certains en arrivent à ne plus inviter ces couples, comme s’ils étaient maudits ».
Dans d’autres cas selon notre psy, la stérilité s’accompagne d’une « perte de confiance en soi, de bouffées d’angoisses, de cauchemars et de détérioration de la qualité de vie du couple. Jusqu’au désir qui s’émousse, avec une baisse importante de la libido. La meilleure solution dans ce cas, c’est de consulter un spécialiste en affaires familiales qui saura trouver les mots qui apaisent les angoisses… C’est que l’infertilité n’est pas une épreuve facile à supporter car elle touche le couple tant sur le plan physique que psychologique. Il faut éviter de s’isoler, de s’enfermer et en parler autour de soi, dialoguer avec son partenaire… ».
Il faut aussi se dire qu’une vie sans enfant n’est pas forcément une vie ratée. Certes le bonheur que donnent les enfants est sans égal, mais il y a les enfants de la famille, des neveux et nièces, qui sont la chair et le sang de la famille. Il y a enfin la solution de l’adoption, qui permet aux couples de donner du bonheur à des enfants qui n’ont pas de parents. Cela demande beaucoup de générosité et d’amour aux deux partenaires, mais grâce à cette solution ils auront un objectif dans la vie et le sentiment d’avoir été utiles dans ce monde…
Yasser Maârouf