L’été enfin arrivé, le ciel de Tunisie prenait sa couleur azurée, c’est alors que deux coups de tonnerre y ont éclaté : la démission-surprise du Général Rachid Ammar et la fronde des élus de l’Assemblée nationale constituante. On doit aussi y ajouter la situation en Égypte.
Lorsque, il y a quelque temps, le constituant Mohamed Abbou a “conseillé” au Général Rachid Ammar de démissionner de son poste de chef d’etat-major des Armées, ce dernier a répondu “Je parlerai aux Tunisiens”, et le mardi 25 juin, sur un plateau de la chaîne Ettounsia, en direct, la “Grande muette” a parlé par sa voix.
J’ai été très déçu par cette décision, subite pour nous, mais évidemment longuement réfléchie, car pour moi cet officier toujours discret et serein était la garantie de la neutralité de notre armée. Dès le déclenchement de la Révolution, il a su prendre une position nette de non-intervention et de protection de l’État. On l’a vu parmi les sit-ineurs de la Casbah, les calmant, on l’a vu apportant sa caution au “Comité des Sages” qui a entouré Hamadi Jebali lors de sa démission (surprise, elle aussi) pour la préparation du changement de gouvernement qui a vu enfin la nomination de technocrates non politiques à la tête des départements régaliens.
On a senti que Rachid Ammar était ému lors de ses adieux aux Tunisiens, sans révéler de “secret défense”. Il a traité de la situation sécuritaire, tout d’abord au djebel Chaambi, sans cacher qu’à son avis il y a longtemps que les terroristes ont migré vers les montagnes environnantes — ne laissant que des mines pour retarder les opérations — et d’ailleurs si l’armée a découvert des caches et des armes, il n’y a jamais eu d’engagements. D’après l’intervention du Général, nous avons senti sa désillusion devant le manque d’appui du gouvernement : les moyens matériels dont dispose l’armée pour éliminer le terrorisme djihadiste sont insuffisants ou vétustes, alors qu’elle doit accomplir de multiples missions tant aux frontières qu’à l’intérieur du territoire. Les services de renseignements, supprimés dans l’euphorie de la Révolution, font cruellement défaut aux forces de l’ordre (Armée, Garde nationale, Police) et cette lacune permet aux djihadistes de se déplacer à leur aise et de s’entrainer dans les régions montagneuses. Cela fait des mois que des bruits courent de zones d’entrainement, mais cela a toujours été nié avec force par les autorités, permettant même à un responsable gouvernemental de déclarer “il n’y a pas de terroristes, ce sont des scouts” ! Certains citoyens vigilants ont parfois signalé des anomalies, mais les forces de l’ordre ne peuvent pas faire un travail efficace sans de “grandes oreilles” qui les aident, et cela bien sûr sans tomber dans l’espionnite et la délation.
Je pense que c’est ce manque d’appui qui a amené Rachid Ammar à jeter l’éponge, même si cette décision lui a coûté. En attendant la Tunisie est orpheline, même si l’intéressé lui-même et l’un de ses compagnons de la “promotion Bouguiba”, le colonel Ben Kraïem, nous ont affirmé que l’Armée tunisienne compte des officiers supérieurs capables d’assurer la relève. Espérons-le en souhaitant que son remplaçant ait lui aussi la fibre républicaine !
Le second coup de tonnerre a eu lieu à l’ANC, le 1er juillet, quand les Constituants devaient s’exprimer sur le projet de Constitution en général. Cent-soixante élus avaient demandé la parole pour cette séance qui devait être solennelle, avec présence d’invités tels que Foued Mbazaa, Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah, Mustapha Filali, Rachid Sfar, Iyadh Ben Achour. Après le discours d’ouverture de Mustapha Ben Jaafar, Habib Khedher se préparait à présenter le “Rapport général sur la Constitution” quant l’élu Mohamed Brahim a tenté de présenter une motion, ce qui lui a été refusé par le président. C’est alors qu’un concert de protestations s’est élevé, qui s’est rapidement transformé en un chahut des membres de l’opposition. Le rapporteur a tenté de lire son texte, mais n’a pas pu continuer et la séance a dû être levée dans un désordre indescriptible (chants, cris, hymne national), pour “raccompagner les invités”, choqués. Reprise dans l’après-midi, la séance a vu le rapporteur général, épaulé par deux membres de sa commission, s’égosiller à la lecture du rapport tandis que l’hémicycle résonnait du chahut des opposants.
La calme est revenu les deux jours suivants et de nombreux élus ont pu donner leurs avis (très différents) sur le texte. La visite du président Hollande a interrompu les journées réservées à ceux qui n’ont pas pu s’exprimer. Ce n’est que partie remise et la lecture et le vote “article par article” est encore retardé par cette maladresse. Car nul ne doute que le dernier draft de la Constitution a été modifié, mais il reste le vote article par article pour essayer de le remettre en forme.
La rue égyptienne s’est soulevée, c’est cela le troisième coup de tonnerre. Exprimant leur ras-le-bol après une année passée sous la férule des “Frères”, des millions de citoyens ont déferlé dans les rues en conspuant Morsi et demandant sa démission. Des heurts meurtriers ont eu lieu entre anti et pro-Morsi, amenant l’armée égyptienne à s’interposer, puis, après un ultimatum de 48 h, à reprendre le pouvoir. On reviendra sur cette situation. Mais pour l’instant, l’essentiel est d’éviter la contagion à la Tunisie. La situation dans le pays n’est pas la même, l’opposition doit se préparer à une alternance par la voie électorale, car l’armée tunisienne ne protègerait pas les éventuels “rebelles” de l’association “Tamarrod” !
Raouf Bahri