Vacciner plus de personnes quitte à ce que ce soit moins efficace. Cette stratégie a été choisie par plusieurs pays. Ainsi, face aux stocks limités, le Danemark a annoncé lundi espacer jusqu’à six semaines les deux injections du vaccin ; quant au Royaume-Uni, il laisse s’écouler jusqu’à douze semaines. « De cette manière, nous pourrons vacciner plus de monde dès maintenant », a justifié le chef de l’Agence nationale danoise de la Santé, Soren Brostrom, en précisant que ce choix se fondait sur la documentation présentée par les laboratoires qui fait état d’une seconde dose reçue « entre 19 et 42 jours » après la première.
Etant donnée l’urgence d’une vaccination la plus large possible, « une approche pragmatique est nécessaire à court terme », a de son côté estimé la Société britannique d’immunologie pour justifier la décision d’espacer les doses. Lors d’une conférence de presse, les experts scientifiques avaient expliqué que le vaccin AstraZeneca/Oxford offrait une protection à partir du 22e jour suivant la première injection, et pour au moins trois mois. « Cela nous permettra de vacciner plus de gens, et aussi de les vacciner plus vite », s’était alors félicité Boris Johnson.
*De trois à six semaines en France
Selon l’AFP, l’Allemagne s’interroge également : le ministère de la Santé a demandé aux autorités sanitaires d’évaluer les options concernant un allongement de ce délai. En France, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a annoncé jeudi lors d’une conférence de presse qu’il est « possible sans risque et sans perte d’efficacité de différer la deuxième injection du vaccin » Pfizer-BioNTech « jusqu’à six semaines au lieu de trois ». Cette recommandation provient d’un avis que l’Agence du médicament (ANSM) vient de mettre en ligne jeudi sur son site internet. et qui met en avant « des circonstances actuelles spécifiques ». « Cela nous permet de disposer de davantage de doses disponibles tout de suite » pour réaliser la première injection du vaccin chez plus de patients, a poursuivi Olivier Véran.
Cela ne correspond pas aux recommandations initiales. Les vaccins de Pfizer/BioNTech, AstraZeneca/Oxford et Moderna ont été conçus pour que leurs deux doses soient administrées à 3 semaines d’intervalle pour le premier et 4 pour les deux autres.
*L’efficacité et la sécurité du vaccin n’ont pas été évaluées pour d’autres calendriers de dosage
« L’efficacité et la sécurité du vaccin n’ont pas été évaluées pour d’autres calendriers de dosage » que les deux injections espacées de 21 jours, a réagi mardi le laboratoire BioNTech. « Même si des données démontrent qu’il existe une protection partielle dès 12 jours après la première dose, il n’y a pas de données qui démontrent que la protection reste en place au-delà de 21 jours », a expliqué une porte-parole, ajoutant qu’une « deuxième injection est nécessaire pour procurer la protection maximale contre la maladie ». Selon une étude parue le 31 décembre dans le New England Journal of Medicine, l’efficacité observée du vaccin Pfizer-BioNTech était de 52% après la première dose et de 95% après l’administration de la seconde dose, trois semaines plus tard.
« On sait qu’après une dose de vaccin, le taux de protection dans la période qui suit est bonne, mais on ne sait pas combien de temps ça va durer. La deuxième dose est là pour protéger plus longtemps. Tant que l’on n’en sait pas plus (…), on ne peut pas recommander cette stratégie », a déclaré lundi sur France Inter Elisabeth Bouvet, infectiologue à l’Hôpital Bichat à Paris.
*Pas plus de six semaines d’écart, dit l’OMS
Mais si elle dit « recommander l’administration de deux doses du vaccin Pfizer-BioNTech dans un délai de 21 à 28 jours », l’Organisation mondiale de la Santé a indiqué mardi qu’il était possible de retarder l’administration de la deuxième injection de quelques semaines « dans des circonstances exceptionnelles de contextes épidémiologiques et de contraintes d’approvisionnement ». Cela permettra « de maximiser le nombre de personnes bénéficiant d’une première dose », a expliqué Alejandro Cravioto, le président du Groupe stratégique consultatif d’experts (SAGE) sur la vaccination de l’OMS. Au cours de cette même conférence de presse, Kate O’Brien, directrice du département immunisation et vaccins à l’OMS, a averti que le délai ne pouvait pas excéder six semaines.
De son côté, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a mis en garde contre toute précipitation. Selon elle, si la question peut en effet se poser, cela doit être fait dans le cadre d’essais cliniques. « Sans données appropriées soutenant ces changements dans l’administration des vaccins, nous courons un risque important de mettre la santé publique en danger, sapant les efforts de vaccination historiques pour protéger la population contre le Covid-19 », écrit-elle dans un communiqué daté du 4 janvier. « Nous continuons de recommander vivement aux fournisseurs de soins de santé de suivre le calendrier de dosage autorisé par la FDA pour chaque vaccin », poursuit-elle.
*Un million de doses en France
La France dispose aujourd’hui d’un million de doses du vaccin Pfizer/BioNTech. Mais avec un million de résidents et de personnels de santé concernés dans les Ehpad, quelque 5 millions de personnes âgées de plus de 75 ans, et en comptant deux injections par personne, les doses attendues suffiront-elles dans l’immédiat? Aux 500.000 doses hebdomadaires du vaccin Pfizer/BioNTech, devraient s’ajouter 200.000 doses « le premier mois », puis « 500.000 par mois » du vaccin de l’Américain Moderna, validé mercredi par l’Agence européenne des médicaments (EMA) et la Commission européenne, et qui attend maintenant le feu vert de la Haute autorité de santé (HAS).