Avant 2011 la CPG alimentait chaque année le budget de l’État à concurrence de 2 milliards de dinars en moyenne et exportait pour 4 milliards de dinars par an. Elle comptait alors 5000 salariés.
Aujourd’hui elle en compte 27.000 mais se trouve totalement paralysée et en détresse financière : ni production ni exportation.
Comment et pourquoi en est on arrivé là ? Qui est responsable ? Peut-on éviter la faillite ? Des questions qui cherchent réponses.
Il y a lieu de reconnaître à l’heure où nous mettons sous presse que toutes les carrières d’extraction du phosphate brut dans tous les sites du bassin minier de Gafsa : Redeyef, Mdhilla, Metlaoui Kef Eddour et Oum Laraïes sont fermés, ainsi, d’ailleurs, que les usines de lavage de phosphate de Mdhilla et d’ailleurs.
Il en est de même pour les activités de transport du phosphate des carrières et des usines de lavage vers les usines de transformation.
Plus grave encore : les usines du Groupe chimique implantées à Sfax, Gabès et l’usine Tifert de La Skhira qui n’ont plus de matière première ont dû interrompre leurs activités.
Les pertes engendrées par ces différentes interruptions de travail sont considérables et se chiffrent à plusieurs millions de dinars . Pour le seul Groupe chimique :c’est 750.000 dinars/jour de pertes qui seront supportées tôt ou tard – ils le sont déjà depuis le 14/01/2011 – par la collectivité nationale.
Les répercussions sur d’autres secteurs d’activité et sur l’environnement économique et social du phosphate sont incalculables. A titre d’exemple, s’il n’y a pas d’amonitre utilisé comme engrais pour les céréales, la récolte va s’en ressentir de façon sensible.
S’il n’y a pas d’exportation de phosphate ou d’acide phosphorique, la balance commerciale du pays et les réserves en devises à la BCT vont souffrir terriblement de cette situation.
Les activités portuaires à Gabès accusent le coup et les opérateurs sont contraints de mettre leur personnel au chômage technique.
Il faut dire que les revendications des salariés et des sans-emplois dans la région dépassent tout entendement et relèvent de l’inconscience et de l’irresponsabilité. Autrement, comment peut-on réclamer une prime de production relative à 2012 et 2013 lorsque celle-ci n’est plus que de 30 à 40% de ce qu’elle était en 2010 ?
Il faut croire qu’il y a une volonté délibérée d’exploiter la faiblesse de l’autorité de l’État pour obtenir l’impossible et mettre à genoux une compagnie qui, au bout de quatre ans de perturbations économiques et de troubles sociaux, est déjà en situation de faillite virtuelle.
L’État de tension qui règne dans toute la région, que ce soit chez les cadres de la CPG, les autorités régionales, les responsables syndicaux ou les cadres du ministère de tutelle, est à son plus haut niveau.
Il y a une sorte de stupeur qui a frappé tout le monde du fait de la complexité inextricable de la crise qui a rendu la solution encore plus difficile.
En effet, les négociations qui ont eu lieu au ministère des Affaires sociales les 19 et 20 janvier et au cours desquelles le ministère a proposé d’octroyer 50% de la prime, soit 500 D au lieu des 1000 D exigés par les employés de la CPG contre la reprise immédiate du travail en attendant la poursuite des négociations, a essuyé un rejet net tellement la position des ouvriers est restée intransigeante. Il faut dire qu’ils sont soutenus par leur Centrale syndicale qui maintient un bras de fer inacceptable avec les autorités de tutelle. Et pour compliquer encore plus la situation, les salariés de la filiale transport réclament leur intégration dans la CPG
Un lourd passif historique et stratégique
Depuis toujours, l’État n’a pas cessé de commettre des erreurs stratégiques graves qui ont provoqué l’insurrection du bassin minier de Gafsa du premier semestre 2008, réprimée dans le sang par le régime déchu puis les perturbations sociales et sécuritaires vécues par la région depuis quatre ans qui ont engendré des répercussions économiques graves à notre pays : un déficit de croissance du PIB évalué à 3,5% pour les années 2011-2012 et 2013 et 0,7% pour 2014 selon le ministère de l’Industrie.
Ces erreurs stratégiques ont consisté à ne pas investir dans les industries chimiques de transformation du phosphate sur place dans la région pour créer des emplois et distribuer du pouvoir d’achat sur place comme cela se fait actuellement à Mdhilla II.
La population locale, minée par des rivalités tribales ancestrales, a la vive impression d’avoir été exploitée par la CPG, c’est à dire l’État, marginalisée durant plusieurs générations, a trouvé l’opportunité après le 14 janvier 2011 de prendre sa revanche.
Il faut dire que ni l’État, indirectement, ni la CPG directement n’ont réinvesti dans la région une partie même modeste (20%) des bénéfices retirés de l’exploitation du phosphate. Il s’agit de diversifier et d’animer la vie économique régionale, de créer des emplois : le chômage a atteint des taux intolérables 40% pour l’ensemble de la population et 28% pour les diplômés. En effet, l’État aurait pu investir dans la densité et la qualité des infrastructures de base, de quoi attirer les investisseurs privés tunisiens et étrangers. Protection de l’environnement, routes, barrages, zones industrielles, sondages profonds pour exploiter l’eau, logements populaires, stations d’épuration d’eaux usées,… auraient dû être parmi les préoccupations des autorités pour la région.
L’État aurait dû investir également dans les services socio-collectifs : hôpitaux bien équipés, services sociaux, universités,… La CPG se doit de mettre à la disposition des jeunes promoteurs de la région un fonds d’investissement pour financer des projets destinés à prendre en charge l’externalisation de certains services nécessaires à la bonne marche de la compagnie comme la maintenance, le gardiennage ou la sécurité,… les équipements de loisirs et de culture.
Effondrement de la production
La CPG produisait en 2010, 8 millions de tonnes de phosphates par an.
Depuis le 14 janvier 2011 la vague ininterrompue de grèves et de sit-in des ouvriers de la CPG et les cessations de travail provoquées par les chômeurs de la région qui ont empêché l’accès des employés à leurs lieux de travail a engendré une baisse vertigineuse de la production. En effet, la production de trois années : 2011-2012 et 2013 n’a pas atteint 8 MT soit la production d’une seule année.
La Tunisie, qui était 4e producteur mondial, ne figure plus dans le classement mondial.
Le Groupe chimique a perdu ses meilleurs clients à l’export vu qu’il n’est plus en mesure d’honorer ses engagements de livraison vis-à-vis de clients prestigieux.
Tout cela s’est passé alors que le prix du phosphate atteint des sommets sur les marchés mondiaux soit 16 à 180 dollars, cela signifie que les pertes subies par la CPG sont énormes. Il s’agit de grèves illégales qui coûtent très cher à la collectivité nationale. La CPG qui alimentait le budget de l’État sera dorénavant subventionnée par l’État vu son lourd déficit, accumulé depuis quatre ans.
En 2014, il y a eu un sursaut de la part de la CPG pour relancer la production mais les obstacles n’ont pas manqué : toujours les mêmes perturbations sociales qui empêchent l’extraction, barrages sur la voie ferrée pour empêcher le transport du phosphate, manifestations des sans-emploi relatives à leur recrutement alors que la CPG n’a pas besoin de recourir à leurs services et que leurs compétences ne coïncident pas avec les profils demandés.
L’ampleur des revendications a mis à genoux la CPG
En, 2010, l’effectif de la CPG y compris le Groupe chimique était de 5000 salariés. Certes, les sous-traitants qui prenaient en charge le transport ainsi que d’autres activités annexes comme la maintenance et la sécurité employaient plusieurs centaines d’ouvriers, souvent exploités et sans couverture sociale.
Fin 2014, l’ensemble des effectifs de la CPG, du Groupe chimique et des sociétés filiales créées pour assurer le transport et la protection de l’environnement comptent près de 27.000 salariés.
Il y a là un alourdissement exceptionnel des charges financières, impossible à assumer par la CPG, car il représente une inflation trop importante et sans commune mesure avec les recettes, ce qui met en cause la rentabilité et la pérennité de la CPG.
En effet, il faut savoir que le salaire moyen à la CPG est de 27.000 D par an alors qu’il est de 12.000 dinars dans la fonction publique, c’est pourquoi le rêve et l’ambition de tous les jeunes et les moins jeunes de la région est de devenir fonctionnaires à la CPG : une rente à vie, “mousmar fi hit” dit-on. Or lorsque le mur s’effondre il emporte avec lui tous les clous.
En effet, au lendemain du 14 janvier 2011 la multiplication des perturbations a exercé tellement de pression sur la CPG, sur les autorités régionales et même sur les différents ministres qui se sont succédé à la tête de la tutelle, le ministère de l’Industrie et de l’énergie, au point d’obtenir différentes revendications.
Plusieurs augmentations de salaires ont été accordées, des milliers de recrutements ont été faits, il y a eu l’abolition de la sous-traitance et la création de filiales de la CPG.
Le transport pris en otage par les camionneurs
Dans la chaîne de valeur qui se déroule tout au long du processus qui va depuis l’extraction du phosphate brut jusqu’au produit chimique élaboré vendu à l’export ou l’engrais très recherché par l’agriculture, le transport constitue un maillon fort et vital. En effet, il y a le transport du phosphate brut entre les centres d’extraction et les laveries : tapis transporteur et camions. Ensuite il faut alimenter les usines de transformation qui fabriquent les produits chimiques et qui sont implantées à Gabès, Sfax et La Skhira (Tifert), d’où le recours à la voie ferrée pour des raisons de coût et de volume.
En période normale de fonctionnement de la CPG en 2010, la SNCFT mobilisait jusqu’à 10 trains de plusieurs dizaines de wagons (spéciaux pour le transport de phosphate) par jour sur le trajet vers Gabès puis Sfax.
Les recettes de la SNCFT qui se sont souvent évaporées dans la nature depuis début 2011 étaient de l’ordre de 40 millions par an à raison de 5D,400 la tonne.
Un groupe de transporteurs privés, qui se compte sur les doigts d’une seule main s’est organisé pour proposer à la CPG, une solution de rechange à la paralysie du transport par voie ferrée, bloquée en 2011 par les demandeurs d’emplois, qui contestaient les résultats des concours de recrutement organisés par la CPG sous l’égide du ministère de l’Emploi.
Ce groupe a acquis en leasing 200 camions à benne basculante et imposé son tarif à la CPG qui n’avait pas le choix : 20,600 D la tonne soit 4 fois plus cher que la SNCFT. Un tarif unique pour éviter toute surenchère ou favoritisme. Afin de leur donner le temps d’amortir leurs investissements lourds et de faire durer ce commerce lucratif pour tout le monde, sauf pour l’intérêt supérieur de la nation, les transporteurs ont peut-être incité les sit-innteurs à poursuivre leur tâche harassante, le blocage de la voie ferrée. Pour les uns, ce sont “les barons” du transport par camions qui ont profité de la situation. Pour les autres ce sont des notables locaux, qui sont venus au secours d’une compagnie nationale en difficulté.
Ridha Lahmar