La destitution de la Présidente brésilienne Dilma Rousseff est venue mettre fin à une période historique de domination et de succès pour la gauche en Amérique latine. Une fin sans gloire après qu’un grand nombre de dirigeants de cette gauche et des responsables, et non des moindres, ont cédé devant les sirènes de la corruption et des mafias locales. Une déroute sans précédent après les grands succès électoraux des années 1990 et du début du siècle qui ont fait des dirigeants de la gauche dans cette région, et particulièrement de l’ancien Président brésilien Lula, un leader global de la gauche alternative au niveau global. Or, aujourd’hui nous vivons les lendemains qui déchantent avec des défaites historiques dans les élections de nombreux pays de la région. Mais, plus que la défaite politique, la défaite morale est beaucoup plus forte avec l’implication d’un grand nombre de dirigeants dans de grands scandales financiers avec dans bon nombre de cas un enrichissement personnel.
Pourtant, cette ère de domination de la gauche latino-américaine a commencé sous de bons auspices avec l’arrivée au pouvoir dès février 1999 de Hugo Chavez au Venezuela qui va entamer une grande révolution bolivarienne dans la grande tradition populiste latino-américaine avec une grande redistribution de la rente pétrolière pour faire face à la pauvreté et à la marginalité sociale qui prévalent dans le pays. Ce premier succès électoral sera conforté par d’autres succès comme l’arrivée du dirigeant mythique du Parti du Travail Lula au pouvoir en 2003 après trois échecs successifs. La même année, le péroniste Nestor Kirchner gagnera les élections en Argentine et sera remplacé après sa disparition en 2007 par son épouse Cristina qui restera au pouvoir jusqu’à la fin de l’année dernière. La Bolivie connaîtra aussi la même expérience avec la victoire d’Ivo Morales en 2006 qui sera le premier indien qui accédera au pouvoir dans toute l’histoire de l’Amérique latine. Au Chili, c’est la dirigeante socialiste qui sera portée au pouvoir et sera réélue en 2010. L’Equateur va s’inscrire dans la même trajectoire politique avec l’élection du dirigeant de gauche Raphael Correa en 2007.
Et, les victoires de la gauche vont continuer en Amérique latine avec celle de l’ami de Lula, Fernando Lugo dans les élections de 2008 au Paraguay. L’Uruguay ne sera pas en reste avec l’arrivée au pouvoir en 2010 du vieux guérillero José Mujica qui en a étonné plus d’un en refusant de s’installer dans le palais présidentiel et de gouverner le pays à partir de sa ferme. Une attitude qui n’a fait que renforcer l’aura de la gauche latino-américaine avec son attitude critique vis-à-vis des symboles du pouvoir et de l’Etat.
Ainsi, les quinze dernières années ont été une période marquante pour l’histoire de la gauche non seulement en Amérique latine mais aussi dans le monde. En effet, les crises économiques à rebondissement dans beaucoup de pays et la montée des inégalités et de la marginalité ont été à l’origine de la défaite des partis politiques classiques et la montée des gauches radicales et populistes dans beaucoup de pays. Ainsi, en Amérique latine, huit pays sur douze ont été gouvernés par des dirigeants de gauche.
Cette période sera marquée par une grande inventivité sociale et politique dans l’ensemble de ces pays afin de faire face aux inégalités sociales criantes et de venir en aide à la marginalité sociale qui a dévasté ces pays et qui est à l’origine de l’explosion du grand banditisme, de la violence et de la criminalité. Il s’agit d’une nouvelle étape dans l’histoire de la gauche réformiste après la réforme initiée par Tony Blair inspirée par les réflexions du sociologue Anthony Giddens sur la troisième voie entre un libéralisme sauvage et une social-démocratie en crise et incapable de prendre en considération l’évolution du monde après la chute du mur de Berlin. Cette première tentative de réforme au sein de la gauche mettra l’accent sur les réformes économiques et mettra en place une plus grande dose de libéralisation dans le domaine économique avec les réformes financières, l’ouverture des frontières en faveur de la globalisation. Or, ces réformes seront remises en cause dans la mesure où elles seront à l’origine de la grande instabilité financière qui a conduit à la crise financière des années 2008-09 et d’une grande montée des inégalités sociales.
La gauche latino-américaine va tenter une nouvelle expérience et entamer un nouveau saut dans le réformisme en mettant l’accent sur la lutte contre les inégalités et la marginalisation. C’est dans ce contexte que l’on connaîtra la mise en œuvre d’un grand nombre d’initiatives dans les différents pays et d’une grande inventivité et d’expérimentation qui vont faire de ces pays le grand laboratoire de la lutte contre les inégalités. Ces politiques vont contribuer à une baisse de la pauvreté et de la marginalité sociale et à un élargissement des classes moyennes. Ces avancées sociales expliquent les succès politiques des gauches latino-américaines et son influence grandissante sur les mouvements sociaux dans le monde et l’idée de la possibilité d’une autre politique qui rompt avec les politiques et les choix rationnels.
Cependant, ces politiques vont connaître leurs limites dès la fin de l’année dernière avec la destitution de Dilma Rousseff et surtout le retour de la droite dans un grand nombre de pays notamment en Argentine et au Venezuela. Deux raisons expliquent ces échecs et ce crépuscule de la gauche dans cette région. Le premier est lié à la crise économique avec la chute des cours de matières premières et la réduction drastique des recettes de l’Etat, ce qui a remis en cause les grands programmes sociaux mis en place au cours des quinze dernières années. La seconde raison est liée à la montée de la corruption sur une échelle très large. Or, une nouvelle prise de conscience est en train de se développer auprès de la société civile latino-américaine pour refuser et s’opposer à la corruption quelle que soit sa provenance.
La crise économique et les difficultés des modèles d’inclusion basés sur les ressources de l’Etat et le refus de la corruption sont à l’origine de la fermeture de cette phase historique marquée par la prédominance de la gauche en Amérique latine. Une évolution qui, en dépit de ses spécificités montre que le réformisme social et la lutte contre les inégalités et en faveur de l’inclusion, doivent prendre en considération de nouvelles préoccupations et particulièrement des exigences citoyennes de transparence et de rejet de la corruption et de toutes les formes de népotisme et qui donnent à la démocratie, parallèlement aux idées de justice et de liberté, sa dimension éthique.