Crise de confiance, économie et contrat social

Notre pays vit sur le rythme de crises à répétition qui ont largement contribué au recul de l’espérance collective créée par les révolutions des printemps arabes, et à l’avènement d’une ambiance morose. Ces crises à répétition ont également joué un rôle majeur dans le recul de la confiance en notre capacité à réussir notre transition démocratique.
Parmi ces crises, il y a d’abord la crise politique avec l’effritement du paysage politique et le recul de la confiance des citoyens dans les partis. Parmi les manifestations de cette crise, on peut mentionner les luttes intestines et les batailles sans fin que sont en train de se livrer les différents partis et les différents groupes parlementaires depuis les élections de 2019. Par ailleurs, l’instabilité gouvernementale avec la formation de deux gouvernements et leurs échecs en l’espace de quelques mois est également un signe de cette crise.
Cette crise politique sans précédent au cœur des débats, suscite l’intérêt de tous les acteurs et de la société civile avec un large consensus sur la nécessité de revoir le système électoral et le régime politique.
De plus, les crises ne se sont pas arrêtées aux aspects politiques, mais ont touché la sphère économique. En effet, notre pays traverse la crise la plus aiguë de son histoire contemporaine. La crise économique a touché les aspects structurels pour mettre à l’ordre du jour la nécessité de changer le modèle de développement mis en place depuis le milieu des années 1970. Elle s’est ensuite étendue aux grands équilibres macroéconomiques dans les années post-révolution. Ces années ont connu une forte détérioration des finances publiques avec une augmentation rapide des dépenses de l’Etat, entraînant une dérive du déficit. Cette dérive ne s’est pas limitée aux équilibres internes mais a touché les équilibres externes. Ainsi, notre pays a enregistré un déficit historique dans la balance de paiement avec une explosion de la dette de notre pays.
Ensuite, la pandémie de la Covid-19 a renforcé cette crise économique, plongeant notre pays dans la plus grande dépression de son histoire récente.
Ces crises ont touché également les aspects sociaux avec l’augmentation rapide du chômage et de la marginalité. Ces crises sociales ont été un des facteurs clés dans l’embrasement des révolutions des printemps arabes en 2011. Mais, les choix économiques et les politiques publiques post-révolution n’ont pas réussi à apporter les réponses nécessaires à ces défis et à réduire la détresse sociale. Au contraire, la faiblesse de la croissance et sa fragilité ont été à l’origine d’une montée rapide du chômage qui a atteint des niveaux historiques.
Parallèlement à ces crises que nous pouvons entrevoir à travers les chiffres et les différentes données, notre pays connaît une crise de confiance. Cette perte de confiance apparaît à différents niveaux, dont probablement, le plus immédiat et le plus important concerne les rapports entre les citoyens et les institutions de l’Etat. La croyance dans la justice et l’action déterminée de l’Etat en faveur de l’intérêt public sont en train de s’éroder.
Cette crise de confiance apparaît également dans les rapports entre les citoyens et la classe politique, notamment à travers un rejet des partis politiques qui ont connu un fort recul dans leur attractivité, et l’action citoyenne en général.
Une autre dimension importante concerne les rapports entre le secteur privé, l’Etat et les citoyens. Les rumeurs qui ont circulé sur les réseaux sociaux quant à une liste d’hommes d’affaires qui seraient dans la ligne de mire du pouvoir, ont ravivé cette méfiance et la crise de confiance entre le secteur privé et l’Etat. Cette crise a été à l’origine de l’attentisme du secteur privé, du recul des investissements et de la prise de risque.
Cette crise de confiance a également touché la perception des citoyens quant au secteur privé, sa contribution et son rôle dans le développement de notre pays. On peut également voir la même crispation entre le secteur privé et notre Administration avec les échanges de critiques entre ces deux acteurs clés de notre système économique. D’un côté, le secteur privé ne cesse de critiquer la bureaucratie outrancière de l’Administration et son inefficacité qui constituent un frein majeur à l’investissement et à la croissance. De l’autre, les responsables de l’Administration ne cessent de critiquer la tentation du secteur privé à éviter les règles et ne pas respecter ses obligations, notamment à travers l’évasion fiscale.
Cette crise de confiance entre les acteurs économiques et les institutions de l’Etat a eu des conséquences immédiates sur la situation économique et a largement contribué au recul des investissements et de la croissance.
Parallèlement à ces aspects politiques et économiques dans le recul de la confiance, on peut mentionner d’autres aspects en rapport avec le contexte historique que connaît notre pays, notamment notre capacité à mener cette transition démocratique à son terme. Cette confiance a reculé au cours des dernières années et c’est la frustration qui tend à dominer l’espace public.
L’ensemble de ces commentaires et remarques à propos de l’importance de la crise de confiance que nous traversons depuis quelques années contribue largement à la fermeture de l’espace public.
Or, si les autres crises, notamment économiques, politiques ou sociales, ont fait l’objet d’un grand nombre d’études, de réflexions et de travaux, la crise de confiance n’a pas connu le même intérêt en dépit de son importance et de son caractère crucial dans la réussite de notre expérience de transition.
Dans cette contribution, nous chercherons à apporter quelques éléments de réflexion sur la question de la confiance et de ses effets politiques, économiques et sociaux.
La première question concerne la notion de confiance qui, même si elle a été beaucoup étudiée, ne fait pas l’objet de définition claire. A ce niveau, plusieurs études mettent l’accent dans la définition de cette notion sur la confiance que nous accordons dans la fiabilité des comportements humains. La première dimension dans la notion de confiance réside dans la dimension personnelle se différenciant largement des notions de croyance.
Mais, la confiance ne se limite pas à la dimension personnelle mais concerne également la dimensions collective pour se situer au centre des rapprts sociaux. A ce niveau, la confiance passe de la conviction personnelle aux institutions qui cherchent à construire la confiance collective. Cette construction passe par les institutions politiques comme le Parlement, le gouvernement et l’ensemble des institutions politiques économiques de l’Etat. Ces institutions intègrent également les lois et l’ensemble des règles qui régissent les relations sociales et définissent leurs fondements.
La confiance joue ainsi un rôle majeur dans les sociétés humaines et particulièrement dans les sociétés démocratiques, et constitue la base de la construction des rapports sociaux.
Cette importance de la confiance explique son rôle central dans l’économie. Les économistes lui ont accordé une place prépondérante dans leurs analyses et dans son impact sur le fonctionnement des économies modernes. Ainsi, le maître de Cambridge, John Maynard Keynes, a fait de la confiance le déterminant essentiel de l’investissement et de la prise de risque dans le domaine économique.
Par ailleurs, les études et les travaux de recherche ont mis l’accent sur les effets immédiats de la confiance dans le domaine économique. La présence d’institutions fortes et efficaces a un impact positif sur l’investissement et le développement. Par ailleurs, les règles et les lois claires et justes contribuent à l’amélioration de l’environnement des affaires et participe à la croissance de l’investissement.
Les institutions monétaires et financières jouent également un rôle majeur dans la confiance dans le système économique. Une crise de confiance se traduit toujours par une défiance vis-à-vis des institutions bancaires et des paniques qui remettent en cause la solidité de ces institutions et peuvent entraîner leur faillite.
Ces éléments montrent le rôle essentiel de la confiance dans la stabilité du régime politique et dans la croissance économique et le développement des pays. Le recul de la confiance et la crise générale que nous traversons aujourd’hui sont à l’origine du recul de l’investissement et de la croissance.
Pour sortir de cette crise multiforme, nous devons reconstruire la confiance. Ce processus, parallèlement aux institutions et aux lois, exige la construction d’un projet collectif et commun qui passe par la mise en place d’un nouveau contrat social pour la nouvelle République.

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana