Crise de confiance

Une logique de l’absurde guide ces derniers temps l’action du gouvernement, celle des partis politiques et des organisations professionnelles. Le remaniement ministériel décidé la semaine dernière par Youssef Chahed, Chef du gouvernement, a vite provoqué un tollé et une profonde indignation. D’abord de l’UGTT, qui a pourtant réaffirmé publiquement, à maintes reprises, son total désintérêt de toute participation directe aux affaires publiques. Malgré cela, le départ du gouvernement d’Abid Briki, l’une de ses anciennes figures, a été perçu comme une trahison, un acte de guerre. La réaction de Sami Tahri, Secrétaire général adjoint de l’UGTT a vite donné le la.  En témoigne le post dont il est l’auteur : « Serrez les rangs… unissez-vous…préparez-vous… le message est clair », donnant l’impression que le pays va entrer dans une confrontation.
L’autre grande aile du gouvernement d’union nationale, en l’occurrence Ennahdha, n’a pas fait mieux. Ce parti qui cherche par tous les moyens de réinvestir la vie politique et accaparer les postes de responsabilité, a rapidement fait d’exprimer sa surprise, son étonnement et le caractère non constitutionnel du remaniement opéré par le Chef du gouvernement.
Hormis cet épisode, l’autre guerre déclenchée par le syndicat de l’enseignement secondaire pour la destitution du ministre de l’Education nationale, Néji Jalloul, n’offusque pas la classe politique, ni les organisations nationales qui ont tendance à se délecter du cercle vicieux dans lequel Youssef Chahed et son équipe sont pris. Face à la grave tournure que connaît ce dossier, aucun parti n’a daigné réagir pour dénoncer cette grave dérive syndicale qui, sous des visées politiques claires, discrédite l’école publique, victime des errements incessants et incontrôlables d’un Lassaad Yaacoubi.
Dans le premier cas, comme dans  le second, le  diagnostic établi pousse à un questionnement lancinant. L’immobilisme qui perdure, le blocage des réformes et la persistance du malaise et des tensions, montrent l’incapacité totale du gouvernement à dissiper l’épais nuage qui rend caduque toute visibilité politique économique et sociale?
Peut-on dans un tel contexte restaurer la confiance des Tunisiens au moment où tout semble s’entremêler et cafouiller ?
En l’absence d’un gouvernement fort, solidaire, capable d’anticiper, de présenter des alternatives sérieuses et de faire prévaloir la primauté de la loi, le doute est en train de céder la place à une sorte de résignation.
Alors qu’on ne cesse d’attendre le déclic salvateur, notamment depuis la conférence internationale Tunisia 2020, le flou politique, les difficultés économiques, la crise des finances publiques, le regain de la contestation sociale n’ont pas donné lieu à un discours franc, ni à des réponses fortes. Les premiers responsables du pays paraissent  impuissants, incapables de dire la vérité aux Tunisiens, de les mobiliser, d’assumer jusqu’au bout les choix qu’ils décident. Bien au contraire, il semble de plus en plus que les rôles ont tendance à s’inverser. Pour faire bouger les choses, prouver l’intérêt qu’on accorde aux préoccupations des Tunisiens, l’initiative vient de plus en plus de Carthage et non de la Kasbah.
Même si au gouvernement on prend des mesures, on les défend mal et on s’aperçoit, souvent, qu’elles sont mal étudiées, inopportunes ou nécessitant des réaménagements profonds. Tel fut le cas de la loi sur le premier logement qui a exigé de douloureuses remises en question après son adoption et de critiques acerbes contre un membre du gouvernement. Quelle crédibilité peut avoir le gouvernement, quand il se trouve sommé de revoir un décret qu’il vient juste de publier en révisant les conditions d’éligibilité de fond en comble ? Il en est de même pour la circulaire n°4 publiée à la hâte. Face au tollé général suscité et considérant la mesure comme une entrave à l’accès aux sources d’information, le gouvernement s’est trouvé empêtré dans une situation fort inconfortable se traduisant par des  réactions contradictoires des ministres en charge de ce dossier et un jeu d’improvisation mal conçu. Dysfonctionnement, incohérence et absence de réponses, ne peuvent dans le contexte actuel que nourrir le doute, exacerber les tensions et les appréhensions des opérateurs économiques qui attendent un signal fort pour qu’ils donnent le bon déclic à l’appareil de production, à la relance de l’investissement et à la création de nouveaux emplois.
Manifestement, gouvernement et acteurs politiques et sociaux, sont aujourd’hui responsables des déboires que connait le pays ? En tournant le dos à une réalité grave et complexe, en s’investissant à fond pour créer le chaos et en refusant obstinément à tout mettre sur la table pour chercher les voies qui évitent au pays et aux Tunisiens bien de tourments, ils assument une grande responsabilité dans la crise de confiance qui prévaut.
Peut-on restaurer la confiance, quand nos hommes politiques sont en guerre permanente, que notre parlement est devenu une arène pour des règlements de compte entre rivaux et que notre principale organisation syndicale s’érige en un pouvoir absolu ?

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