Croisons les doigts

Plusieurs indices nous laissent oser espérer que le pire est peut-être derrière nous. 
Lançons-nous, le rêve est toujours permis. Sauf imprévus, la saison touristique s’annonce exceptionnelle. Les chiffres sont éloquents : au 10 mai 2023, les recettes en devises ont grimpé de près de 60% (1423 MDT) par rapport à la même période de 2022 et les prévisions de juin à septembre tablent sur le même score. Une belle éclaircie en ces temps de disette financière. Sauf imprévus, parce que les lacunes sont nombreuses et les risques de déconfiture réels, à commencer par l’hygiène urbaine, une composante non négociable qui commande l’intransigeance des municipalités sur la propreté de l’espace public ainsi que la vigilance des citoyens. Nous sommes tous concernés par ce volet essentiel de la qualité de l’accueil des touristes étrangers dans notre pays, aucun relâchement ne doit être toléré. Il est temps que la Tunisie retrouve son aura d’antan et sa joie de vivre légendaire.  Mais il n’y a pas que le tourisme. 
Les transferts des TRE font aussi parler d’eux en bien. Au 20 mai dernier, ils ont enregistré une augmentation de 6% à 3 milliards de dinars en comparaison avec la même période de 2022. Le phosphate, de son côté, refait surface avec une amélioration nette de sa production et réapparaît sur les radars des exportations vers l’Europe et l’Asie. L’exploitation de cette précieuse ressource n’a, certes, pas encore atteint les niveaux de son âge d’or (2010), en raison de blocages dus à des problèmes sociaux, à la mauvaise gestion et à la corruption, mais le retour du phosphate est irréversible et les autorités, avec à leur tête Kaïs Saïed, sont tenues de résoudre tous ces problèmes avec la plus grande fermeté afin de réparer cette injustice que subit tout un peuple.
Du côté du palais de Carthage, aussi, des signaux positifs. La donne économique semble enfin intéresser Kaïs Saïed puisqu’elle a fait l’objet, récemment, d’une large consultation avec un panel d’universitaires, qui ont été appelés à réfléchir sur des solutions tuniso-tunisiennes et sur des mécanismes d’application. Ce procédé rappelle celui réservé en 2022 à la question politique avec la mise en place de la commission de consultation sur le projet de Constitution. Contrairement aux universitaires et doyens des facultés de droit qui avaient, à l’époque, refusé d’emblée de participer à la consultation et de mettre à profit leurs compétences, les économistes, eux, ont répondu favorablement à l’invitation du chef de l’Etat et la réunion de concertation a duré cinq heures non-stop. Les échos donnés à ce brainstorming laissent penser que les échanges ont été intenses et que le président, constitutionnaliste de formation, n’était pas venu à ce rendez-vous économique la tête vide, puisqu’il a suggéré une idée originale devant, selon lui, aider à trouver une issue à l’impasse de la compensation. Il aurait proposé une taxe redevable par les plus riches sans toucher au principe de la compensation pour tous, une sorte de « taxe de solidarité », pour financer la caisse de compensation. Une chose est sûre, on n’aura pas entendu de salves de critiques sur les plateaux de radios et de télévisions autour de cette suggestion. C’est peut-être le signe que cette idée, nouvelle, mérite d’être étudiée de manière impartiale, par les économistes, en attendant l’avis du FMI.
La note positive viendra du professeur d’économie, Ridha Chkondali, un des universitaires reçus à Carthage, qui a assuré sur les ondes d’une radio privée que cette suggestion est plus facile à concrétiser, du moment que la population qui doit bénéficier de la compensation s’est élargie jusqu’à englober la classe moyenne à cause de la crise économique, et qu’il est devenu quasiment impossible d’identifier toutes ces personnes. Ce qui signifie que l’une des plus difficiles réformes exigées par le FMI, en l’occurrence celle de la compensation, pourrait être engagée sans que la paix sociale soit mise en danger. Les experts du FMI sauront sans doute apprécier les efforts consentis pour trouver des solutions « tuniso-tunisiennes » à la crise économique, des solutions qui ne figurent pas dans le lexique du FMI mais qui tiennent compte de la réalité tunisienne et de ses contraintes.
Un autre domaine dans lequel la Tunisie est en train de peser de tout son poids, celui de la migration clandestine. Après avoir été traitée de pays raciste envers les migrants africains subsahariens dans une campagne internationale ciblant Kaïs Saïed, la Tunisie est aujourd’hui le principal pays avec lequel les dirigeants européens, notamment italiens et français, négocient pour mettre en place une stratégie qui freine les flux de migrants africains vers la rive nord de la Méditerranée. Il est, désormais, clair que la Tunisie ne fera pas le guet ni ne sera le gendarme au service de l’Europe, alors qu’elle n’en a pas les moyens et que les jeunes Tunisiens eux-mêmes se jettent à l’eau pour fuir une situation économique difficile. 
Les Italiens et les Français l’ont compris. Avec la Cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, qui presse le FMI d’aider financièrement la Tunisie et qui vient d’effectuer une visite de travail dans notre pays, les discussions avaient porté, entre autres, sur les moyens de stabiliser les jeunes Tunisiens dans leur propre pays en renforçant la formation professionnelle et les financements nécessaires pour s’implanter dans le tissu économique.
Avec le président français, Emmanuel Macron, lors d’un entretien téléphonique, Kaïs Saïed a appelé à l’organisation d’un sommet sur la migration rassemblant les pays des deux rives de la Méditerranée, pour que la question de la migration clandestine soit examinée dans sa globalité et dans la transparence. 
De ces signaux lumineux jaillira-t-elle la lumière ? Rien n’est moins sûr.  Beaucoup de chemin reste à faire. Lorsque les libertés individuelles sont menacées, à chaque instant, à chaque parole, il devient difficile d’entreprendre et d’espérer. Certes, la vie politique avait besoin de moralité et de moralisation après la décennie de toutes les dérives, mais la reddition des comptes a trop duré sans que les Tunisiens soient rassurés sur l’avenir des libertés et sur l’avenir de leur propre pays. 

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