Salim Sellami est un jeune musicien qui compte percer dans le domaine de la musique. Son chemin vers la professionnalisation est tortueux entre l’ancien système de l’enseignement supérieur et le système LMD. Tantôt, il tente de pénétrer dans le domaine professionnel de la musique, tantôt il revient vers les études après des périodes d’essai et des tentatives de mise en place d’un projet dans son domaine de prédilection : la composition musicale et les concerts. Il incarne cette jeunesse en mal de trouver sa place dans une société traversée par des tiraillements multiples aux rythmes des élections et des compétitions qui font oublier le sens de la citoyenneté. Celle-ci se définit à premier égard comme une capacité de rêver et à faire rêver.
Salim est un jeune pianiste. Il effectue actuellement, et ce depuis 2010, un master de recherche en musicologie ; non pas parce qu’il est passionné par cette science mais pour espérer trouver un jour des opportunités dans le domaine de l’art et rompre avec l’incertitude marquant profondément l’avenir des métiers de la culture et de la création. Il est à son deuxième master après avoir effectué un « Master en management des arts de spectacle » et après avoir passé par le système d’enseignement supérieur de maitrise qu’il avait effectué entre 2003 et 2007.
En quête d’une première opportunité qui dure
Salim Sellami est né en novembre 1984 dans une famille amatrice de musique et plus particulièrement de musique orientale. C’est dans ce milieu qu’il a développé son amour pour le jeu des instruments et même la composition. Il disait « ma mère et mon oncle sont les premières personnes qui ont cru en mes capacités à réussir, mon oncle surtout m’a appuyé pour pénétrer dans cette profession. Cet appui a été une réelle motivation pour moi, même si aujourd’hui, je suis encore en quête d’une première opportunité ». Il a commencé dès l’âge de 7 ans à jouer au clavier en produisant des chansons qu’il avait l’occasion d’écouter dans le milieu domestique ou encore à la radio. C’est dans ces années précisément qu’il a construit une passion particulière pour l’orgue oriental. Penchant qu’il nourrissait jusqu’à ses 16 ans. À l’âge de 18, il rentre à l’Institut Supérieur de Musique où il a réussi un enseignement plus professionnalisant par le biais de la « méthode rose ». En effet, c’est une méthode se résumant en un livre pédagogique qui constitue la bible des professionnels de la musique.
Dès son enfance, il a été au conservatoire régional de la ville de Sfax. Cette ville a souvent été le berceau des grands chanteurs et musiciens, notamment le chanteur le plus en vogue depuis quelques années à savoir Saber Rebai ou encore le grand compositeur Mohamed Triki qui est originaire de cette région même s’il a grandi à Tunis.
Salim Sellami a une grande gratitude envers les professeurs de musique à Sfax qui lui ont appris dès le collège le b.a.-ba du jeu sur le piano. Il cite en particulier son professeur Fayçal Bouaziz qu’il a poussé a participé au festival de l’enfant musicien en juin 1997. Festival au cours duquel il obtint le premier prix pour le jeu instrument en solo. Lors de ce festival, il avait joué la mélodie Mahla Layali Echbilia. Le prix qu’il avait obtenu au festival de l’enfant musicien en 1997 a été un tremplin pour aller participer au festival aux Emirats Arabes Unis en mars 1998.
Un petit passage par les mariages populaires
Il fût tenté au départ de faire des Arabins (des contrats à la sauvette) c’est-à-dire les fêtes populaires lors des mariages ou des fiançailles. Mais il dit qu’il s’est enfuit à partir du quatrième. Car, il y avait, à ses yeux, un hiatus entre ce qu’il cherche et la demande du public de ces fêtes. Celui-ci demande surtout du Bou Mzioud (entendez du Mizoued[1] avec un excès de la surchauffe). Or, il cherche, lui, à produire de la musique savante dans la quelle il y a une petite recherche sur le maqâm arabe ou encore le Tebouu tounsi. Dans cette perspective, il parle d’un fossé entre le goût du musicien et le goût du public. Selon lui, le public est habitué à un environnement où on consomme la musique en faisant autre chose. En d’autres termes, alors que le musicien recherche la « musique de la tête », le public plus particulièrement en période estivale recherche plus la musique du ventre et le divertissement.
Déménagement vers Tunis et essai de composition
L’idée de devenir musicien a bien mûri dans la tête de Salim à partir de son déménagement à Tunis pour approfondir ses connaissances du monde de la musique. Salim n’est pas arrivé tout seul, il a déménagé de Sfax avec sa famille quand il avait 16 ans. La famille s’installe alors à l’Ariana. Il est le plus jeune dans sa famille, ses trois frères ont été les premiers à se déplacer vers la capitale, qui centralise tout. Il a une seule sœur qui étudie à l’école de la santé. Sa mère est enseignante et son père est à la retraite. Notre jeune musicien a reçu une formation principalement focalisée sur l’apprentissage du Malouf – qui représente l’héritage andalou de notre répertoire chanté – mais aussi sur l’apprentissage de la musique classique occidentale. Ainsi, cette formation a permis au jeune Salim de s’essayer à l’univers de la composition. Il sort donc un prélude en hommage à la première Entifada El Aksa durant l’année 2000. Il intitule cette première pièce El Aksa en hommage aux émeutes qui avaient secoué la Palestine à ce moment là. Cette pièce qui dure deux minutes est entièrement jouée au piano et rentre dans l’univers de la musique classique avec des mélodies et des accompagnements très simples. Selon lui, le travail de composition ne demande par beaucoup de temps au moment de la mise en œuvre. À cet effet, « une composition peut prendre simplement une heure » à ses dires. En revanche, le travail le plus tenace, selon lui, demeure à la fois relatif à l’aspect social c’est-à-dire à l’environnement social de l’artiste et à la psychologie de l’artiste notamment quand il s’agit de la recherche de l’inspiration.
Dans ses propres compositions se trouve à la fois un métissage entre l’univers classique et l’univers andalou. De l’univers du Malouf, Salim mentionne des Assafars qui marquent l’identité de la musique maghrébine. Il exprime une passion pour la chanson par exemple de Lay Gillah Sidi Khouya. Il dit vouloir principalement s’exprimer librement via la musique, la mélodie et la composition.
Le jeune musicien n’est pas assez outillé
Notre interlocuteur invoque le fait que les études au conservatoire ainsi que dans les instituts de musique ne préparent pas assez les musiciens dans la mesure où une matière principale comme « l’harmonie » n’est pas assez approfondie. Encore, une matière qui s’appelle « contrepoint » n’est pas assez étudiée selon lui. Aussi, il n’y a pas, à le croire, des enseignements en matière d’orchestration. C’est le néant total à ses dires en ce qui concerne celle-ci. Il constate l’arabisation croissante de l’enseignement de la musique. Cette tendance n’ouvre pas assez de portes pour connaitre la musique du monde et apprendre les ficelles de l’universalisme musical. Cette fermeture de la structure mentale fait que le musicien se trouve en difficulté quand il est envahi par la mondialisation de la musique et ce qu’elle impose comme savoir.
« Je me suis sacrifié pour la musique »
« Je veux m’affirmer comme étant un vrai compositeur. Je veux fonder un nouveau courant de composition musicale » dit-t-il avec conviction. Ses influences proviennent de l’époque romantique notamment de la génération du début du 19e siècle. À ce titre, il cite Chopin, Hector Berlioz, l’auteur de la Symphonie fantastique, est l’une des plus grandes personnalités de l’air romantique ainsi que Mendelssohn, l’immense compositeur et chef d’orchestre allemand. « Ce courant me passionne, dit-t-il, car il donne une grande importance à l’instrument piano ». En effet, à côté du violon, le piano est l’instrument du compositeur par excellence. Salim Sellami signale le fait qu’il a commencé le piano depuis 1997. En revanche, il déplore la multiplicité des professeurs et le manque de continuité pédagogique entre les différents enseignements en ce qui concerne cet instrument majeur de la musique international. Malgré cette discontinuité, deux enseignants de Piano ont marqué son parcours: Mehdi Trabelsi et Foussoune Regueyeg. Cette dernière l’a eu durant son premier accès à l’Institut Supérieur de Musique en 2003 et l’a accompagné les années suivantes.
La « révolution » a plombé la création
Depuis les événements de 2011, la situation de manque de repères a plombé la création et l’enseignement de la mélodie. Les musiciens et les compositeurs, à ses dires, sont « les premières victimes du chaos dans lequel plonge le pays ». La situation depuis 2011 pour la jeunesse, notamment celle qui a un projet créatif comme Salim Sellami, n’est pas favorable à la culture. « Cette instabilité permanente et ce manque de cohérence ont bloqué mon élan créateur » affirme-t-il. De plus, la musique contemporaine est marquée par la domination de la percussion et le rythme. Ainsi Salim Sellami me dit que l’on ne peut pas réellement qualifier cela de musique. En d’autres termes, « quand on enlève « la boite à rythme, disait-il, la musique devient meilleure ».
Orientation vers l’enseignement de la musique
« J’ai passé deux fois le Capes », explique-t-il. C’est un concours national pour l’acceptation des enseignants dans l’enseignement primaire et secondaire. Mais il a échoué pour maintes raisons. La deuxième fois, il y avait des erreurs dans les questions posées. « Il y avait des imprécisions dans le qcm » assurait-il. Présentement, il fait des vacations dans l’enseignement supérieur notamment à Sidi Thabet. Tout cela demeure précaire même si il a donné quelques cours de piano à la prestigieuse Rachidia ainsi qu’au Conservatoire national où il a enseigné l’année dernière « la théorie du solfège rythmique ». Son emploi du temps est désormais marqué par les vacations qu’il arrive à avoir dans plusieurs endroits mais qui ne lui permettent pas de mener une vie constructive ; lui qui a maintenant 33 ans.
Se mettre à son propre compte
« Maintenant, j’essaye de monter mon propre conservatoire », se projette-t-il. Mais ce n’est pas une chose facile car il faut préparer plusieurs justificatifs et avoir un fond propre. « En 2016, je me suis inscris dans une formation qui s’appelle Céfé. Cependant, mon dossier n’a pas été accepté. Après ce refus, je me suis dit, je ne suis pas trop dans l’économie, dans les affaires disons, je suis un simple artiste ». « C’est une formation qui dure 20 jours, ajoute-t-il, elle est intensive. Je n’ai pas réussi à la choper ». Il dit avoir trouvé un endroit à Tunis intramuros pour monter son propre conservatoire. Il pense à la banque tunisienne de solidarité, la BTS, pour avoir le matériel et rêve d’une banque qui lui prête de l’argent pour acheter le local ; mais en vain.
Finalement, après la grande publicité entourant la cité de la culture, notre interlocuteur dit ne pas avoir sa carte professionnelle et ne pas détenir les moyens pour concrétiser les compositions qu’il a en tête et qu’il a envie de donner en concert face à un public ou des publics. Quand est-ce que sera donnée la chance aux jeunes ? Quand est ce que le paradigme politique perd de sa vigueur pour laisser la place à la liberté et à la culture ? Sommes-nous au moins sur le bon chemin ?
Mohamed Ali Elhaou
[1] Nous n’avons rien contre cette musique.