Culturel et cultuel

Your browser does not support the audio element.

Une différence distingue le musulman par la croyance coranique et le musulman par son appartenance à la culture islamique.
Un décès vient d’illustrer la différenciation énoncée. Un collègue bon vivant, amateur de plusieurs liqueurs, baâthiste notoire et athée, vient de s’en aller. J’ai eu l’occasion de participer avec lui à des séminaires tenus en Irak et en Syrie. En agréable compagnie de trois épris de conviviales beuveries, cet ami de longue date s’adonnait à son plaisir préféré, chaque vendredi, au bar Paul, situé non loin de l’ancien CERES. Je lui posai la question redoutée : « Pourquoi juste vendredi, jour de prière collective et chargé de sacralité ? »  Il me répondit : « Autant ne pas faire les choses à moitié ». Une immense culture académique et politique l’habitait. Pour les veillées ramadanesques, il peaufinait des séries télévisées. Au moment où, pour les condoléances, j’allais voir sa famille, son fils aîné m’apprit ces détails passionnants à étudier. J’écoute au moment où la psalmodie du Coran imbibe l’ambiant de l’habitation. Le rendez-vous est pris pour le passage du corps à la mosquée avant le départ du convoi mortuaire au cimetière, l’ultime demeure. En attendant, parents, amis et voisins occupent les chaises alignées sur les allées du jardin. Soudain, l’épouse de mon ami défunt, Espagnole, anti-fasciste et chrétienne, dit à leur ancienne employée de maison qui venait d’arriver « Allah Ghalib. Incha Allah yarhmou ».
Rien ne distingue le rituel cérémoniel réservé au décédé fût-il croyant ou athée. Alors, à mon insu, la mainmise de l’analyse, de la cogitation et de l’investigation l’emporte sur celle de l’émotion.
A l’évidence, le champ culturel surplombe et englobe l’univers culturel. N’en déplaise à l’option personnelle, fruit de l’itinéraire individuel, chaque société inculque, dès le plus jeune âge, les composantes linguistiques, éthiques et symboliques de la personne et de son entourage, la part de moi-même, socialisée durant la prime enfance, ira donc au paradis et l’autre portion subira les affres de l’enfer, dirait l’universitaire maintenant sous terre.
Religieux ou non, l’entourage « adhère au jeu religieux », écrit Bourdieu, quelle est donc la raison de cette adhésion ? A leur point de jonction, le culturel et le cultuel revigorent un effort socialisateur de la mort. Au moment où celle-ci intervient, il n’y a plus rien. Alors, le cérémonial mortuaire procure l’illusion salutaire. Le disparu demeure encore là d’une certaine manière puisque les uns lavent et les autres adressent des louanges à Dieu pour accueillir le valeureux.
La vie n’est donc pas finie. Les séquences de l’existence, rieuses ou pleureuses, ensoleillées ou pluvieuses clignent vers l’aubaine de l’investigation nietzschéenne : « Un œil exercé afin de savoir lire nettement le passé dans l’écriture aux couches superposées des expressions et des gestes humains ».
Pourtant, deux moments cruciaux lèvent le voile sur l’intuition de l’insoutenable disparition. Le cri jaillit quand le corps franchit le seuil de la maison.
Puis, des pleurs inondent les cœurs lorsque les fossoyeurs couvrent le cadavre de terre mortuaire. Guillaume Apollinaire, lui, refuse de rompre les amarres et tient à maintenir des liens avec la vie après l’inéluctable décès : « Si je mourais là-bas sur le front de l’armée / Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée / … Souvenir oublié vivant dans toutes choses / Je rougirais le bout de tes jolis seins roses / je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants / Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses / Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants »

Related posts

Les Arabes dans l’abîme

Ces adeptes de la couverture étrangère !

Israël : un Etat sûr de lui-même  et dominateur mais assiégé ad eaternum