Comme al-Qaïda, Ansar al-charia, Jabhat an-Nosra et la liste est loin d’être close, l’État islamique (Daech) n’est pas une création de l’Occident. C’est, justement, ce type d’attitude, qui consiste à expliquer nos malheurs par la malfaisance machiavélique des «Autres», qui offre le terrain le plus fertile à l’éclosion de nos «germes» autodestructeurs.
Loin de vouloir absoudre «l’Occident» de toute responsabilité dans le raffermissement de ce phénomène – notamment par ses aventures militaires ravageuses, ses inconséquences lorsqu’il s’allie avec les plus rétrogrades des régimes arabes pour «instaurer la démocratie», sa partialité quand il s’aligne sur le déni israélien des droits palestiniens, etc. –, Daech est en Nous. Il est la somme de nos échecs, de nos défaillances individuelles et collectives, de notre indigence politique, économique, culturelle et religieuse.
L’extrémisme religieux, minoritaire sous d’autres cieux, dispose maintenant, en contexte arabo-musulman, d’un « État » et d’un «Calife». Il occupe des territoires immenses, dispose de richesses colossales et d’une véritable armée, en plein essor, qui séduit des dizaines de milliers de nos jeunes, au point que les plus puissantes des armées mondiales jugent nécessaire de s’allier entre elles pour l’affronter et prévoient de nombreuses années de guerre avant de le juguler.
Pire encore, nous sommes face à des sociétés, pour la plupart, apathiques, quasiment sans voix, au point où nous sommes perçus par le reste du monde comme si Daech et ses semblables étaient nos porte-paroles et les défenseurs exclusifs de nos causes. Comment en est-on arrivé là ? Quels itinéraires ont-ils conduit l’Islam à se faire otage de l’islamisme ? Comment le djihadisme est-il parvenu à cette démesure ? Comment expliquer les guerres confessionnelles qui sévissent dans nos contrés, l’indifférence au sort dramatique réservé à des millions d’êtres humains en Irak, en Syrie, au Yémen, en Libye et ailleurs, les meurtres de masse et les décapitations, y compris d’étrangers, dont le plus récent est celui d’Hervé Gourdel en Algérie ?
Il va sans dire que l’extrémisme religieux n’est que l’envers du despotisme. En combattant l’esprit critique, la liberté de penser, de créer, les dictatures ont désertifié la vie culturelle et politique et rompu les liens de civilité et du vivre ensemble. Ajoutés à la corruption, érigée en système, et leurs échecs en matière économique, sociale et éducative, elles ont aménagé le terrain propice aux conduites irrationnelles, aux attentes messianiques et aux doctrines extrémistes.
Daech est aussi le produit du discours religieux dominant véhiculé aussi bien par des États que par des acteurs politiques. D’Ibn Taymiyya à Qaradhaoui, en passant par Mohamed Ibn abd al-Wahab, Hassan al-Banna, Saïd Qotb, Mawdoudi, et sans oublier les innombrables prédicateurs qui sévissent sur les chaînes TV satellitaires, cet islam se fait guerrier, djihadiste et takfiriste. Il véhicule des concepts surannés, inadaptés aussi bien au vivre ensemble dans des sociétés plurielles, qu’au sein de la communauté des nations.
C’est pour cela que le combat face à Daech «en Nous» commence impérativement par une nécessaire et urgente réforme des discours politique et, surtout, religieux.