À l’heure où le pays concentre tous les ingrédients qui alimentent les bouleversements, pauvreté chronique d’une grande partie de la population, mépris social, clientélisme, népotisme et corruption, État inefficace et partial, les responsables au pouvoir font de plus en plus penser aux morts-vivants des films d’horreur ! Les «rires» affreux des prédateurs couvrent les appels à la raison. Gâcher une opportunité «révolutionnaire», une aspiration populaire, un processus démocratique et le tour est joué. C’est si facile… Le réussir est, en revanche, une entreprise plus exigeante. Que sommes-nous en train de faire de notre pays ? N’est-il pas temps, à ce stade de décrépitude, de changer de cap ? Malheureusement, nos gouvernants sont tombés, petits, dans une gigantesque entreprise de détestation mutuelle. Ils renient les notions de l’État et piétinent ses valeurs. Obsédés par les petits arrangements de «partage du gâteau» depuis la chute de l’ancien régime, les voici désormais encloués dans la cagoterie. C’est bien la preuve qu’ils ont les têtes à l’envers! Dans cette collectivisation de la prédation, dans cette institutionnalisation de la malversation, dans cette démocratisation de la violence, dans ce permis de profiter qui dit à chacun : «venez, approchez, participez, vous serez tous des profiteurs, vous avez, non seulement le droit mais le devoir d’avoir votre part du gâteau », se disputer les prérogatives au sommet de l’État est un «jeu du poulet», une foucade, le «gag» du clown pianiste qui, pour se rapprocher du clavier, va pousser à grande peine le piano vers son tabouret… plutôt que son tabouret vers le piano. Alors tout sonne faux, outré, c’est bidon, comme on dit, on va de caricature en caricature. Ces querelles sont des usines à bêtises. Un processus démocratique est raté dès lors qu’un débordement incontrôlé le ruinait, de même qu’un barrage rompu ruine l’irrigation. Mais avant que ne s’y rétablisse le minimum exigible de bonne volonté, il coulera encore beaucoup d’eau sous nos ponts. Le mystère de la faillite morale de la classe politique… il n’existe pas deux manières de l’aborder : nous devons le nier et en conclure que sous tant d’infortunes, il ne reste qu’à cultiver son jardin ou l’assumer tel qu’il se manifeste en le situant au sein des processus politiques, éthiques, sociologiques, économiques et juridiques que l’ont fait passer du monde des idées à celui, plus inquiétant, de la triste réalité. En fait, il faut que l’élite intellectuelle trouve sa vraie place, ni servante ni maîtresse, dans le nouvel âge de la démocratie. Il lui faut établir avec la société civile une relation féconde. Car la société civile sert légitimement l’action de l’élite. Il faut, enfin et surtout, que l’élite intellectuelle résiste à l’intimidation d’un pouvoir politique encore agressif, acide envers les intellectuels. Entre les extrêmes, entre le radicalisme islamiste, l’outrecuidance des populistes et l’inhibition des angoisses de la population, il appartient aux intellectuels d’ouvrir des voies nouvelles, d’installer raison et réflexion dans le pandémonium des foucades de la classe politique, chauffées à blanc par le troupeau de quelques médias mystérieusement vulnérables aux théories du complot et aux «fake news». Il faut compter sur la conversion progressive des esprits. Sur le réalisme de jeunes moins passéistes que leurs aînés. Sur le progrès de l’intelligence artificielle qui, sans cesse, nous instruit sur ce qui réussit ou échoue. Sur la brusquerie de ceux qui, devant une évidence, comme celle de l’effondrement de la «méritocratie politique», refusent de se mettre la tête dans le sable, bravent les muets du sérail et basculent le mandarinat du statu quo. Reste d’observer que l’explication devait être recherchée non dans l’absence de maîtres à penser, mais dans l’impossibilité qu’il y en eût un !
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