Par Mohamed Ben Naceur
Plusieurs questions économiques occupent le débat actuellement en Tunisie. Il y a eu d’abord les chiffres alarmants de la croissance qui indiquent une récession économique. Avec seulement 0.4% de croissance, l’économie tunisienne fonctionne avec des rendements négatifs. Un niveau très en dessous du 0.9% attendu par le gouvernement.
La croissance ne sera pas de 2,1% cette année comme le prévoyait le budget de 2024 ; elle est bien partie pour être au même niveau que celui de 2023, voire plus faible et ce, malgré l’espoir d’une reprise de l’activité agricole.
La seconde question est arrivée avec le changement du Gouverneur et elle concerne les orientations du dinar après le remboursement d’une échéance de la dette extérieure et la baisse des avoirs extérieurs de 850 M €. Ceci est en lien aussi avec la nouvelle loi autorisant la Banque centrale à financer directement le budget. Mais c’est aussi la conséquence de cette faible croissance et donc la faiblesse des revenus fiscaux.
En termes d’analyse économique, beaucoup a été dit avec une grande confusion. Pour de nombreux Tunisiens, la baisse des avoirs extérieurs signifie mécaniquement une dépréciation du dinar. C’est archi-faux. Il faut d’abord rappeler que le remboursement de la dette extérieure est un point positif qu’il est important d’appuyer. En effet, cela est considéré comme un bon signe quant à la capacité du gouvernement à honorer ses engagements. Un défaut et/ou un retard de remboursement pourrait créer un phénomène de panique chez les prêteurs à même de déclencher un phénomène de spéculation sur les titres de la dette tunisienne. C’est pour cette simple raison qu’il est nécessaire de continuer à honorer nos engagements.
S’agissant de la baisse des avoir extérieurs due au remboursement d’un engagement extérieur, cela n’aura pas d’impact immédiat sur la valeur du dinar dans la mesure où les réserves de change se situent à 106 jours, soit un niveau très au-dessus de la norme hypothétique des trois mois d’importation. Historiquement, en Tunisie, le phénomène de spéculation se déclenche dès que les réserves baissent en dessous de 70 jours. La BCT devrait chercher à maintenir les réserves au-dessus de ce niveau, autrement la dépréciation devient inévitable. D’ailleurs, les taux à terme affichés par la BCT pour l’euro sont à 3,43 dans 3 mois et 3,49 dans 6 mois.
Tout dépendra de la saison touristique et des transferts des TRE
La valeur future du dinar va dépendre des flux entrants en devise. Nous pouvons lister cinq sources génératrices d’avoir extérieurs :
- Les exportations : C’est la source la plus importante des devises. Cependant, elles risquent de subir l’effet du ralentissement européen. Faut-il encore que la machine de production tunisienne reprenne, car les statistiques du PIB de 2023 indiquent un recul de toute l’industrie manufacturière tunisienne.
- Les IDE ont beaucoup baissé depuis 2015 et leur niveau est devenu trop faible. Le site tunisien n’est plus attractif depuis plusieurs années et fait face à une très grande concurrence à l’échelle mondiale. Un effort plus important de notre diplomatie économique est très souhaitable dans ce sens.
- Les emprunts extérieurs sont devenus trop coûteux. En effet, la hausse de la dette extérieure et la dégradation de la note de l’économie tunisienne ont rendu l’accès aux marchés internationaux extrêmement coûteux, surtout en l’absence d’un programme avec le FMI. Mis à part quelques emprunts bilatéraux, cette source ne figurait pas comme une alternative dans le schéma de financement de la balance des paiements.
- Les recettes touristiques qui dépendent beaucoup de la saison touristique et aussi de notre effort à bien commercialiser la destination Tunisie. Dans ce registre, les marges de manœuvre sont assez importantes surtout avec la dépréciation du dinar. Une mobilisation de tous les acteurs tunisiens est plus que nécessaire pour garantir le succès à une saison touristique qui s’annonce prometteuse.
- Les transferts des TRE sont devenus l’une des sources les plus importantes dépassant les recettes touristiques. Là aussi, les marges d’augmentation de ces transferts sont importantes à condition de leur offrir des services plus rapides, moins coûteux et pourquoi pas ne pas leur proposer des opportunités d’investissement dans le pays.
Rationnement des produits importés
L’une des mesures à entreprendre durant les temps difficiles, c’est de recourir à des actions de rationnement. Ces dernières doivent être bien étudiées car actuellement, les produits rares sont ceux dont l’Etat dispose du monopole d’importation comme les médicaments, les hydrocarbures, le sucre, le blé, le café, etc.
Dans ce cadre, si la réduction de 20% des importations de voitures est salutaire malgré les conséquences que peut avoir cette décision sur les prix des voitures d’occasion, il faut rester vigilant quant à la disponibilité des autres produits et surtout les médicaments et les carburants. En effet, bien que la Banque centrale ait le plein droit de garder un niveau de réserve relativement adéquat, cela ne doit pas se faire au détriment de la santé du Tunisien (médicaments) et de ses déplacements (carburant). Une gestion prudente et étudiée des importations durant les mois à venir est de mise. Il est important que les autorités rassurent le citoyen quant à la disponibilité de ces produits dans toutes les régions du pays.
Pour conclure, le traitement de la crise économique et sociale actuelle nécessite la formulation d’un plan de sauvetage économique et social qui doit faire un large consensus et une appropriation par tous les acteurs. En effet, une nouvelle baisse du dinar n’apparaît actuellement que comme un coût ressenti douloureusement par la population sous forme d’inflation importée. Il est donc indispensable de chercher à en saisir l’opportunité pour renforcer nos exportations. Pour y parvenir, il faut l’accompagner de mesures de déblocage puis de stimulation de l’offre afin de finir par en estomper les coûts et augmenter les opportunités.