De la condition humaine*

Avant de vous parler de ce quatrième tome justement, il me faut vous parler de l’expérience qu’a représentée la lecture de Blast, étalée sur plusieurs années. Annoncée d’emblée comme le nouveau chef d’œuvre d’un auteur qui n’avait plus grand chose à prouver, Blast fait partie de ces rares séries qui font l’unanimité critique et publique. Aucune raison donc de ne pas se lancer, et de ne pas vérifier par moi-même ce qui se cache derrière ce nom pour le moins accrocheur quoique nébuleux. D’emblée, le ton y est dur, on y fait la connaissance de Polza, de ses folles aventures au parfum de vraie France et de ses influx particuliers et pourtant connus de tous : les Blasts. Prenant la forme de l’apparition d’une statue Maoï (ces statues que l’on trouve sur l’île de Pâques et qui restent un mystère pour beaucoup aujourd’hui encore), ces Blast ne se déclenchent que dans des situations extrêmes et/ou lorsque notre héros consomme de la drogue. Élément-clé de la narration de Manu Larcenet, ce pan entier de sa BD n’en est pourtant pas le poumon. Tout le sel de la série se trouve dans l’authenticité des aventures vécues par «Grasse Carcasse», de son passé que l’on découvre au travers de délicates couches de flash-back, de l’histoire qui l’a amenée face à deux curieux enquêteurs et de son inéluctable futur.

Trois tomes, dévorés une première fois en train puis relus dans le calme le plus complet chez moi et autant d’histoires plus tard, Larcenet nous avait laissé pour compte avec un cliffhanger en forme de hâchoir lors de la dernière page du Tome 3, en Octobre 2012. 14 mois passés à relire, à gamberger, à interpréter les dires d’un personnage qui peine à se livrer.

Pourvu que les Bouddhistes se trompent : une énième maxime cinglante et un étau qui se resserre pour Polza et Carole, nos deux Bonnie et Clyde à qui l’on aurait enlevé le glamour. Ajoutez à cela le personnage de Roland, rencontré dans le 3e tome et amené à être développé comme peu de protagonistes avant lui (et qui nous rappelle, sans mal, Jacky, prophète punk et désabusé, croisé au cœur de ce long périple), et vous obtenez un cocktail détonant : la voie royale vers l’abysse.

Je ne vous gâcherai évidemment pas l’intrigue qui se cache dans ces pages, que je vous invite à découvrir au plus vite, et préfèrerais revenir sur la performance d’un Manu Larcenet qui est parvenu à boucler son drame de la plus juste des manières, toujours aussi écorché vif autant dans son dessin que dans ses dialogues. Nombreuses étaient les façons de conclure le récit, et l’auteur affronte ici la (dure) réalité, comme il l’a fait depuis 2008 et  la première page de Blast.

Tout y est criant de vérité et de cruauté et l’odyssée vécue par Polza amènera l’ensemble des lecteurs à réfléchir sur la condition humaine et les jugements infondés.  D’un point de vue plus pragmatique, les strips de Jasper, l’ours bipolaire, la représentation des Blasts et les collages de Roland sont autant de nouvelles trouvailles visuelles qui confèrent à Blast ce supplément d’âme et d’intelligence fabuleux, pour mieux renforcer l’atmosphère noire et crasseuse du quotidien vécu par ces trois âmes ô combien particulières. Et comme si son œuvre n’était pas suffisamment touchante, Larcenet parvient à nous conter avec brio l’histoire d’amour de ses personnages, qui les mènera jusqu’au bout, et jusqu’à la magnifique conclusion de ce quatrième volume, forte d’un dernier Blast subtile suivi d’un épilogue tout en justesse.

*Blast, Auteur et dessinateur : Manuel Larcenet, Ed. Dargaud

F.B

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