À quelques semaines de l’élection présidentielle, le président de la République Kaïs Saïed a limogé le Chef du gouvernement Ahmed Hachani (nommé le 1er août 2023) et l’a remplacé par le ministre des Affaires sociales Kamel Madouri. En politique comme en physique, toute action suscite une réaction, surtout lorsqu’elle est brutale. Pourquoi un chef du gouvernement s’en va très vite ? La réponse est simple : il n’a pas les armes, précisément comme Ahmed Hachani et avant lui, Elyes Fakhfakh et Hichem Mechichi, qui se sont jetés dans la mare sans savoir nager. Car ce haut poste devient vite un enfer pour qui n’est pas de la partie, ne maîtrise pas l’art de changer de ton, d’allure, de méthode, de politique, de stratégie même. La responsabilité d’un chef du gouvernement est un métier qui s’apprend. Plus un haut responsable est compétent et expérimenté, meilleur il sera. C’est une vieille règle historique. Sinon, le bleu fera son stage aux frais du contribuable en tombant dans tous les pièges dressés sous ses pas. Surtout, il se laissera griser par les feux du pouvoir. «On ne joue pas du violon sans l’avoir appris. Qu’on ne prétende plus tirer du plaisir d’une femme neuve sans avoir appris à en jouer», disait Léon Blum. Plusieurs de nos chefs du gouvernement sont punis par là où ils ont péché. Ils ont payé une incapacité à régler des problèmes économiques et sociaux qui, sur le papier, ne sont pas insurmontables. Ce ne sont pas les solutions qui manquent mais la compétence et le savoir-faire. Leurs deux principaux problèmes sont le «que fait-on» et le « comment fait-on»! Ils n’avaient pas compris que les crises dans notre pays avaient une dimension sociologique, j’allais dire existentielle. Il fallait être bien déconnecté des réalités de la Tunisie d’en bas pour ne pas comprendre le sentiment d’injustice qu’éprouvent les «gens de peu» ou «de rien». En ignorant certains principes de base, dont un consensus social minimal, nécessaire pour diriger un gouvernement, ils se sont obstinés dans une escalade qui n’a réglé aucun des problèmes du pays. Voilà d’ailleurs, l’une des caractéristiques les plus affligeantes de la plupart des chefs du gouvernement depuis 2011. Avec la nomination d’un nouveau chef du gouvernement, Kamel Madouri, nous sommes invités à rien de moins qu’un grand ménage intérieur, indispensable préalable à toute pensée constructive. Les compétences nationales dans tous les domaines pourraient se faire les guides de celles et ceux qui entendent, souhaitent décamper, fuir pour de bon hors des mythologies personnelles, des idéologies isolationnistes mortifères, du brouillard des illusions. Ce qu’il nous faudrait, n’en doutons pas, c’est une boussole qui indiquerait le Nord salutaire. Un Nord qui exige de nous autre chose que la navigation à vue. C’est de lucidité dont nous avons besoin et de rien d’autre. Sinon, paradoxalement, les promesses deviennent folles et ne servent qu’à gérer l’impuissance et l’échec. On dit que le nouveau Chef du gouvernement est très impliqué dans les questions sociales, et qu’il a estimé, depuis plusieurs années, pressante la nécessité de restaurer tout le système établi depuis l’indépendance en privilégiant les réformes argumentées et limpides. L’heure n’est donc plus aux rafistolages, aux petits ravalements de façade. On attend de Monsieur Kamel Madouri de redéfinir l’architecture de la politique sociale et économique, sa doctrine, son fonctionnement, bref la réinventer en incarnant un ardent désir d’attirer les compétents pour y arriver et affronter une situation d’une complexité sans précédent.