Il s’est marié avec orchestre, chanteurs, embrassades et youyous. Parents et amis l’ont félicité, avec les plaisanteries de circonstance et les clins d’œil complices. Puis tout ce beau monde a commencé à vider les lieux et il est monté avec sa femme, fraîchement légitimée par le maire, dans la voiture luxueuse prêtée par un ami de la famille, pour intégrer leur nouveau domicile.
Dans un moment de lucidité et de clairvoyance, il a commencé à ressentir cette angoisse terrible qui ne le quittera plus jamais. Il venait de s’apercevoir qu’il entamait là un voyage qui le mènerait très loin, que ce voyage là, c’était pour la vie ! Terrible moment de solitude.
Plongée dans l’univers étrange du couple moderne…
En fait, la notion de couple est assez récente : elle date des années soixante. Auparavant, il était intégré au sein de la grande famille, occupant une partie de la maison dans les médinas et une bâtisse en terre battue dans les campagnes. Et lorsque ce couple a commencé à occuper un appartement indépendant, les problèmes se sont accumulés, allant de la garde des enfants, à l’obligation de tout faire soi-même…
De nos jours, les couples mariés semblent s’user de plus en plus vite et se détériorer en quelques mois à peine. Paradoxalement, ils continuent à vivre ensemble.
Karima, trente ans, est une femme mariée et heureuse de l’être : « les hauts et les bas font le charme du mariage… Mon mari représente la sécurité et c’est le plus important pour une femme : la stabilité avant tout ! Et puis être célibataire, c’est finir seul ! »
Devoir conjugal
Ce à quoi une jeune demoiselle très libérée répond de manière vindicative : « c’est une façon bien assise, bien installée, bien bourgeoise de voir les choses, car comme dans la chanson de Pierre Perret, moi j’ouvre toujours la porte de la cage aux oiseaux pour qu’ils s’envolent… Plutôt vivre seul que mal accompagné ! »
Le couple classique va mal et même très mal selon la plupart des spécialistes à qui nous avons posé la question. Il n’y a qu’à regarder les nombreuses émissions de télévision ou à lire les pages des faits divers des journaux pour s’en convaincre. C’est le cas de deux jeunes mariés qui se sont juré fidélité l’été dernier et se retrouvent aujourd’hui dans une impasse. Plus d’amour, plus de tendresse, pas de dialogue et encore moins d’entente cordiale. Et pourtant ils continuent à vivre ensemble, à se supporter. J’ai posé la question qui fâche, celle qui dérange et ils m’ont répondu qu’ils restaient ensemble « pour des raisons de commodités, d’intérêts communs… » Ils font chambre commune et rêvent à part !
Le jeune marié affirme sa déception en ces termes : « l’amour est la plus belle chose au monde et le vivre avec la personne que l’on aime est un plaisir inégalable… Mais ce sentiment prend un tout autre sens quand on se marie, puisqu’il devient un « devoir conjugal ! ». Il ajoute : « sous cette dénomination, tout le charme s’évapore et s’envole, pour ne laisser que des devoirs et des droits, des textes de lois, des contrats et des obligations. L’amour ne doit pas être enfermé dans des codes, sinon il dépérit. L’amour est liberté, tendresse, spontanéité… »
Certaines situations sont simplement loufoques, comme l’histoire de cette jeune fille qui s’est mariée avec un homme plus âgé qu’elle, parce qu’il était riche, alors qu’elle appartient à une famille modeste. Jolie, légèrement éduquée et surtout très ambitieuse, elle a réussi à l’embobiner et à l’amener devant M. le maire pour prononcer le fatidique « Oui ».
Depuis, lorsqu’il veut avoir des relations légitimes avec elle, elle s’arrange pour lui faire un chantage incroyable : « si tu veux obtenir mes faveurs, tu commences par m’acheter telle robe, tel sac, telles chaussures. » Cela parait irréel, mais c’est elle-même qui nous l’a rapporté avec force détails ! Lorsqu’on entend des histoires comme ça, on se dit que rester célibataire devrait être obligatoire…
Déceptions en chaîne
Il est vrai que le taux de divorce chez les couples d’aujourd’hui est nettement plus élevé que chez leurs parents. On estime que seuls quatre couples sur dix se maintiennent actuellement, sans compter les ruptures des fiançailles qui sont devenues monnaie courante et qui ne sont pas prises en considération dans les statistiques, malgré le choc psychologique qu’elles provoquent.
Un psychologue explique que « les facteurs à l’origine de l’augmentation du taux de divorce sont multiples : la méconnaissance des règles de la vie à deux, puisque le couple ne commence à se connaître vraiment qu’après le mariage, l’émergence d’une majorité de femmes financièrement indépendantes, l’espérance de vie qui augmente régulièrement entrainant des séparations tardives… »
L’émancipation financière des femmes est décriée par cet homme de plus de cinquante ans, car elle serait selon lui l’élément majeur de l’augmentation du taux de divorces. « Nos aïeuls vivaient en bonne entente et dans le respect mutuel… Mais les femmes d’aujourd’hui n’acceptent plus de vivre des situations que leurs grands-mères supportaient sans problèmes. » Une époque que notre homme regrette avec beaucoup de nostalgie. Marié, mais vivant toujours en conflit avec sa femme, il s’énerve lorsque celle-ci lui sort son argument massue : « si elles vous supportaient, c’est parce qu’elles n’avaient pas d’autres choix, à cause de leur dépendance financière. »
Pour les couples plus jeunes, le divorce arrive souvent lorsqu’on est déçu par l’autre. Une vision assez récente des choses qui résulte de la philosophie du « moi », de la culture du « ici et maintenant », de la recherche des loisirs à tout prix, de la société de consommation et du « jeter après usage » qui ont profondément modifié la vie du couple.
Cette jeune et charmante épouse nous le confie comme un secret : « je ne me sens pas heureuse en mariage parce que je ne réussis pas à m’épanouir au plan personnel. J’ai l’impression qu’il ne me voit même pas, la sensation de faire partie des meubles. Il ne fait aucun effort pour m’aider, il n’a que des désirs que je dois satisfaire du matin au soir. »
Alors que son mari, plutôt classique, reconnait : « je me suis marié pour me stabiliser et avoir une vie tranquille après avoir mené une vie dissolue durant de longues années. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression d’étouffer, car ma femme se plaint tout le temps. Elle n’est pas satisfaite par cette vie stable et même confortable que je lui offre au quotidien. »
Pour notre psychologue, « former un couple solide ou même viable, exige une attirance physique, le respect du partenaire, mais aussi de l’amour mais sans trop de passion, car celle-ci crée des conflits et finit par s’émousser avec le temps. Il faut donc concevoir un plan de vie qui permet de satisfaire les nombreux besoins sans oublier un élément essentiel : le dialogue régulier pour éviter l’accumulation des frustrations. Le silence c’est l’ennemi… »
Comme le note un sociologue : « vieillir ensemble ne semble même plus être un objectif viable. On s’embarque dans l’aventure du mariage avec un certain détachement en se disant que de toutes les façons, si ça ne marche pas, il y a toujours la solution du divorce, même si c’est un aveu d’échec. » Ce qu’il faut également noter, c’est qu’aujourd’hui, le mariage n’est plus un objectif en soit, il ne sert qu’à la procréation. Ce qui lie le couple c’est le projet d’avoir des enfants. Nous allons, comme le note un humoriste vers un CDD, « couples à durée déterminée. »
Tout un programme !
Yasser Maârouf