Les mesures visant à ralentir la propagation de la pandémie du COVID-19 ont eu un impact visible sur les villes dans le monde entier, en général, et sur les villes tunisiennes en particulier. Ceci s’est traduit par l’absence de touristes, les fermetures de magasins et la sous-utilisation des transports en commun, voire par des images de villes complètement désertes et sans aucune présence humaine. Ceci restera gravé à jamais dans nos mémoires.
Cet épisode a conduit à se poser de nombreuses questions : comment faire fonctionner les villes de manière optimale en situation de crise (surtout sanitaire) ? Comment approvisionner les villes dans un contexte de fermeture totale ? Comment assurer un revenu à l’ensemble de la population? Comment limiter la propagation des virus par le système de recyclage des eaux ?
Les mesures prises lors de la gestion de la crise du COVID-19 par nos autorités vont amener à repenser l’urbanisme, l’utilisation des espaces publics, la gestion des modes de transport, la gestion des sources de consommation d’énergie et le mode de travail. La crise du COVID-19 peut être considérée comme une opportunité de renouveler notre vision et nos manières de penser nos villes pour les insérer dans le chemin de la durabilité. De nouvelles stratégies pour la gestion des espaces urbains et des villes verront le jour et romperont avec l’ancien mode de pensée
Nous proposons ici de détailler les cinq ruptures majeures de notre point de vue. D’autres ruptures sont également en cours et nous les détaillerons dans un article complémentaire.
BÂTIR DES INFRASTRUCTURES RÉSILIENTES AU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET AUX CRISES SANITAIRES
Le COVID-19 a montré de manière catégorique l’importance des infrastructures sanitaires d’une ville. La crise n’a pas touché toutes les villes avec la même intensité. Car pour certaines, la capacité hospitalière a été au rendez-vous et pour d’autres cette capacité est largement sous-dimensionnée. Ceci est inégalitaire et la carte sanitaire devrait être revue dans les futurs plans de développement des villes. Plus largement la question des infrastructures se pose au-delà de la question sanitaire (routes, écoles, culture, santé, espaces verts, espaces de loisirs…). La relation du citoyen à sa ville est à repenser compte tenu de la crise sanitaire et les infrastructures de base sont fondamentales dans ce rapport. Le COVID-19 a permis de mieux explorer la relation entre la pandémie et les infrastructures de santé urbaine, la résilience climatique et la planification urbaine afin de mettre en œuvre des stratégies pour atténuer les risques des futures crises sanitaires. Il s’agira de bâtir un minimum de gros équipements qu’une ville devrait disposer pour faire face aux crises et être résiliente. Ce panier d’infrastructures a fortement changé. Les infrastructures numériques sont par exemple au cœur des nouvelles stratégies. Les pistes cyclables, les commerces de proximité…Plus généralement, les infrastructures devraient être capables de résister et de fonctionner en présence d’événements naturels extrêmes (dont l’occurrence et l’intensité devraient être revues à la hausse).
VERDIR LES VILLES EST UNE QUESTION DE SURVIE
La crise du COVID-19 a montré l’importance des pratiques vertes et durables au sein des villes. Il faut tenir compte du fait que les villes produisent 70 pour cent des émissions mondiales de gaz à effet de serre et sont particulièrement vulnérables aux chocs climatiques et aux catastrophes naturelles. Sur cette base, les plans de relance et de reconstruction des villes du COVID-19 doivent s’efforcer de s’attaquer aux vulnérabilités de longue date et aller au-delà de la lutte contre les impacts sur la santé du COVID-19 pour lutter contre les inégalités persistantes auxquelles les pauvres et les vulnérables doivent faire face. Les espaces verts, les forêts urbaines, l’agriculture urbaine, l’introduction de la biodiversité dans les villes permettent de mieux composer avec les crises et surtout d’assurer une meilleure santé aux citoyens. Lorsque les restrictions de déplacements ont été décrétées dans le monde chacun a été confiné dans un environnement local et a pu mesurer l’importance de la nature dans les villes. Mais chacun a également pu mesurer la capacité de la nature à revenir au cœur des villes, dès lors que les activités humaines ont été réduites.
Le verdissement des villes est fondamental pour assurer des conditions de vie normales et limiter le réchauffement climatique. En effet, les températures dans les zones urbaines sont de 3 à 5°C plus élevées que dans les espaces ruraux. Ceci accentue les effets du changement climatique et accroît la demande d’énergie. Une rupture devrait avoir lieu pour mettre au cœur des villes la nature.
Plus le COVID-19 dure, plus la question du lieu où nous vivons, de ce que nous faisons au quotidien, de notre impact sur l’environnement avec nos activités et notre planification urbaine devient importante. Le post covid-19 offre aux villes la possibilité de reprendre l’espace public des voitures – avec des trottoirs plus larges, des pistes cyclables et des routes moins encombrées.
LES VILLES CIRCULAIRES AU COEUR DU NOUVEAU PARADIGME ÉCONOMIQUE
La gestion des déchets sanitaires et non sanitaires a été un important défi pour les villes durant le COVID-19. Ceci a permis de pointer le doigt sur la question des limites du modèle linéaire de développement des villes. On ne peut plus se permettre de rejeter de telles quantités de déchets. Il faut limiter les déchets à la source et les exploiter en tant que ressources. Les villes doivent être pensées de manière circulaire. Les initiatives pour promouvoir de nouvelles formes de collaboration locales pour transformer les villes en villes circulaires prospères sont à inventer. Les villes circulaires peuvent contribuer à réduire le chômage en créant, par le biais de boucles fermées et régénératrices, de nouvelles opportunités commerciales, en soutenant la cohésion sociale avec un accès partagé aux biens et services et en créant des chaînes d’approvisionnement plus courtes et moins complexes, moins sensibles aux chocs externes. L’économie circulaire est distributive et diversifiée par nature contribue à construire une ville plus résistante aux chocs et au stress.
La promotion de l’économie circulaire au sein des espaces urbains améliorerait l’usage des ressources, diminuerait les transports des marchandises et créerait des emplois locaux. Les flux des ressources diminueraient avec la pleine récupération des matériaux, une diminution des déchets et des pollutions.
PROMOUVOIR LES FORMES DE MOBILITÉS DOUCES PAR TOUS LES MOYENS
Au cours des 20 dernières années, la mobilité électrique a connu un développement technologique important qui a non seulement abaissé son coût, mais l’a également rendue plus efficace. Les véhicules électriques n’émettent pas de gaz d’échappement, émettent moins de chaleur et produisent moins de bruit que les véhicules conventionnels. L’utilisation d’un véhicule électrique aiderait à maintenir les améliorations de la qualité de l’air et à réduire les risques pour la santé dans les collectivités. Ces avantages peuvent être encore améliorés en utilisant des véhicules électriques pour améliorer l’intégration des énergies renouvelables (par exemple, l’énergie solaire produite pendant la journée peut être stockée dans des véhicules électriques et utilisée plus tard en la revendant au réseau).
Le COVID-19 a repensé le transport urbain. La distanciation sociale imposée par la crise sanitaire a conduit de nombreuses communes à proposer à leurs citoyens de nouvelles voies de déplacement pour éviter les rassemblements dans les transports publics ainsi qu’une utilisation excessive de la voiture particulière. Cela s’est souvent traduit par l’introduction de nouvelles pistes cyclables et de zones à 30 km / h pour réduire la vitesse du trafic routier et stimuler la mobilité dite douce.
Les villes doivent encourager les nouvelles formes de mobilité douce comme la marche à pied, l’usage des vélos, l’usage des scooters, l’utilisation des vélos électriques, l’utilisation des trottinettes électriques…. La mobilité douce présente de multiples avantages : elle fait gagner du temps, souvent de l’argent, et réduit évidemment l’impact environnemental global. De nombreuses villes et collectivités encouragent ces nouveaux modes de transport en vue de réduire les émissions et de dégager les routes principales de la congestion routière.
ADOPTER DES PLANS AMBITIEUX D’ÉNERGIES RENOUVELABLES ET D’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE AAU CŒUR DES VILLES
L’horizon 2050 impose d’avoir des villes à énergie positive (sans émissions de gaz à effet serre).L’utilisation des énergies renouvelables dans les environnements urbains en tant que future option d’énergie durable est d’une grande importance. Au début des années 90, les villes utilisaient moins de la moitié de l’approvisionnement énergétique mondial. Aujourd’hui, les villes utilisent près des deux tiers de l’énergie mondiale (IRENA, 2020). La mise en place de stratégies d’utilisation des énergies renouvelables dans les zones urbaines contribuera à la fois à répondre à la demande croissante d’énergie urbaine et à réduire les émissions. À mesure que la technologie progresse, les énergies renouvelables deviendront toujours plus efficaces, conviviales, rentables, accessibles et durables.
Alimenter les villes avec des énergies renouvelables réduira non seulement la dépendance aux combustibles fossiles, mais apportera également d’autres avantages majeurs. Les énergies renouvelables sont finalement abordables, meilleures pour la santé publique et peuvent ajouter des emplois indispensables à l’économie. Le refroidissement par eau, élément nécessaire à la production de combustibles fossiles, n’est pas nécessaire pour la plupart des autres sources d’énergie. Ainsi, les énergies renouvelables peuvent contribuer à réduire la consommation d’eau, ce qui est extrêmement important pour la Tunisie qui fait face à une sécheresse de plus en plus fréquente.
Alors que les menaces sont globales, les réponses seront de plus en plus locales. C’est au cœur des villes que se joue le futur sanitaire, économique et climatique ! Pour relever de tels défis, il faut oser les ruptures là où d’autres nous amènent à une continuité. La nouvelle stratégie nationale urbaine en Tunisie ou encore les nouvelles stratégies de développement des villes comme la ville de Tunis oseront-elles de tels paris? Tel est notre souhait et nous continuerons d’argumenter dans ce sens dans la suite de cet article.
Par Adel Ben Youssef, Professeur Université Côte d’Azur et UFTAM, affiliée au GREDEG-CNRS (Nice), GLO (Bonn) & ERF (Le Caire)