De l’alternance pacifique au pouvoir

 

Un moment d’une extrême solennité, d’une forte symbolique, la passation des pouvoirs, le vendredi 6 février 2015, à Carthage. Le hasard du calendrier a voulu que cet événement survienne le même jour de la commémoration de l’assassinat de Chokri Belaid, Secrétaire général du parti des patriotes démocrates unifiés. Un assassinat politique qui a failli ébranler la Tunisie, et dont les nouveaux Président et Chef de gouvernement ont réitéré leur promesse de dévoiler toute la vérité sur ses commanditaires.

A l’évidence, la démocratie est tel un édifice, elle se construit lentement, mais sûrement, ne supportant pas les faux calculs et, encore moins, les pas malencontreux. Malgré les déboires et les vicissitudes nés d’une transition politique longue et éprouvante et une crise aiguë, la Tunisie est parvenue à faire ses premières marches en toute sérénité et confiance, non sans sacrifices, ni douleurs.

Depuis la Révolution, c’est la cinquième fois qu’un Chef de gouvernement, pour une raison ou une autre, remet le témoin à son successeur pacifiquement. C’est pour la première fois, en tout cas,  que cette alternance pacifique au pouvoir s’opère après un processus électoral démocratique et libre,  salué unanimement du reste par toute la communauté internationale. Ce qui s’est passé en Tunisie a mis, une fois pour toute,  un terme à un dogme rendant démocratie et pays arabes incompatibles.

Il ne faut pas pour autant  crier vite victoire et dormir sur ses lauriers. La jeune démocratie tunisienne reste fragile et continue à courir de grands risques par ceux-là même qui la refusent comme mode d’organisation sociale et continuent à nier la légitimité  de l’Etat civil et des institutions républicaines.

Ce fut, également, un moment de fierté,  même si la peur continue à nous habiter et le doute perturbe toujours notre sommeil. Quelle image offre  notre pays dans une région où les incertitudes, la violence, le désespoir et l’anarchie sont devenus le lot quotidien des citoyens un peu partout ?  Assurément une image valorisante et valeureuse qu’il importe de savoir préserver, un argument mobilisateur pour renforcer sa sécurité et sa stabilité et un outil marketing de taille pour impulser son développement sur des bases à la fois pérennes et solides.

Pour que cet événement ne reste pas un accident de l’histoire voire un acte isolé, les nouvelles autorités ont une responsabilité historique, celle de consolider les progrès démocratiques, de relever les  défis socio-économiques tout en assurant  la sécurité de tous les Tunisiens.

Manifestement, pour pouvoir engager des réformes qui changeraient, de fond en comble,  le vécu des Tunisiens, le gouvernement Essid sera dans l’obligation de poursuivre cette guerre harassante contre le terrorisme, dont les cellules se sont démultipliées, quittant de plus en plus les régions montagneuses pour s’incruster dans les villes et menacer les intérêts stratégiques du pays.

Renforcer la démocratie exige aussi de poursuivre la mise en place des institutions constitutionnelles, préserver les libertés et raffermir le rôle de la société civile, vraie gardienne de la Révolution tunisienne, empêchant chaque fois son dérapage vers des sentiers peu sûrs.

Ce préalable requiert, enfin, de repenser le modèle de développement en jetant les fondements d’une société inclusive, réhabilitant l’effort, le travail et le mérité. C’est par ce moyen, et seulement ce moyen, que la confiance pourrait être restaurée et que l’espoir finira par chasser le désenchantement ambiant chez une jeunesse restée sans repères et des régions intérieures,  longtemps exclues du développement.

Les engagements pris par le gouvernement Essid d’agir dans l’urgence, de donner, dans cent jours, des gages  de sa volonté de faire bouger les choses et de gagner la confiance des citoyens sont lourds de conséquences. C’est du choc positif qu’ils sont censés créer, dans un contexte national difficile et complexe, que se jouera la crédibilité de ce gouvernement et sa  survie. Les cent dix mesures promises pour la première période d’entrée en activité de la nouvelle équipe gouvernementale revêtiront assurément une importance cruciale et donneront le bon tempo. Elles devraient, en même temps, être soutenues par une vision cohérente du développement et la mise en œuvre de stratégies qui suscitent l’adhésion des Tunisiens et, surtout, leur mobilisation.

La voie est maintenant balisée.  Il importe de ne pas se tromper de choix ou de priorités.  Car,  au-delà des bonnes intentions,  ce dont les Tunisiens ont le plus besoin, ce sont des réalisations physiques et des preuves tangibles de la cohérence de l’action publique avec leurs attentes et aspirations.

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