De l’arche de Noé à Disneyland

Par Peter Cross (de Londres pour Réalités)

Disneyland Paris marque son vingtième anniversaire, apprend-on grâce à The Guardian, avec un accord de refinancement, des pertes beaucoup moins élevées que prévues (seulement 89,1 millions d’euros, une bagatelle …) et un bon gros scandale de flicage illégal des candidats à l’embauche chez Mickey. D’autres titres de la presse britannique, par contre, s’enthousiasment sans retenue pour le célèbre parc d’attractions. Selon The Daily Star : « De la magie pure. Une expérience que mon fils et moi n’oublierons jamais ». Et pour Female First, c’est carrément « un endroit magique où tous vos rêves se réaliseront ». Bigre ! 

Il faut dire que, du point de vue britannique, Disneyland Paris offre l’avantage certain de se trouver … à l’étranger. Car d’une manière générale, les Anglais et les parcs à thèmes, ça fait deux, allez savoir pourquoi. Regardez ce qui se passe (ou plutôt ce qui ne se passe pas) à Nottingham, ville du bandit légendaire Robin Hood. Selon le site de BBC News :

Discover Robin Hood, un nouveau parc d’attractions dont le coût initial est estimé à 13 millions de livres [15,3 millions d’euros], se fera malgré les retards, a promis le promoteur du projet.

Des inquiétudes ont été exprimées çà et là au sujet de la faisabilité du nouveau parc à thème médiévale dans la forêt de Sherwood.

[…] Jeudi dernier, une demande de financement par la loterie nationale a été rejetée […] alors que, selon le Conseil régional du Nottinghamshire, qui participe à la gestion du projet, les négociations avaient pris plus de temps que prévu parce que le nouveau site se trouve dans une « zone d’intérêt scientifique particulier ».

[…]

« Nous avons une excellente équipe qui travaille sur ce dossier. Certes, il y a eu quelques retards, mais nous allons ouvrir nos portes à la date prévue, a déclaré Rob Gray, directeur du marketing de Discovery Attractions, promoteur du projet. […] Ça va être un succès extraordinaire et la malédiction qui semble avoir frappé toutes les autres attractions autour de Robin Hood sera brisée une fois pour toutes. »

Le pauvre, on sent que le cœur n’y est qu’à moitié. Et il en faut bien plus pour fabriquer un monde merveilleux de rêves. Sous d’autres cieux, pourtant, on sait faire. Même en Corée du Nord. D’après The Daily Telegraph :

Les Nord-Coréens pourront bientôt goûter au charmes de la vie londonienne grâce à une réplique de Big Ben, l’horloge emblématique du parlement britannique, actuellement en construction dans un parc d’attractions qui ouvrira ses portes cette année à Pyongyang. Le parc, qui s’appellera « Le Monde en Miniature », sera également doté d’une réplique de la Tour Eiffel de Paris.

Si le paradis des travailleurs s’applique à reproduire la manière la plus fidèle possible les monuments du monde extérieur – ce qui représente, on en conviendra, une solution aussi élégante que moderne pour le peuple nord-coréen, soumis à une interdiction totale de voyager à l’étranger – l’Inde capitaliste se permet d’avantage de fantaisies. Selon le Financial Times :

Création du magnat de Bollywood Manmohan Shetty, Imagica Adlabs est le premier parc à thème de l’Inde, et presque certainement le premier au monde à se vanter d’une attraction centrée sur un gigantesque dieu hindou animatronique à six bras, debout à califourchon sur trois béliers qui soufflent le feu.

[…] Situé entre Mumbai et Pune, […] le parc doit accueillir jusqu’à 3 millions de  visiteurs par an qui pourront profiter de plus d’une vingtaine d’attractions [parmi lesquelles] « Aventure sur la rivière du Rajasaurus » (une promenade en bateau à la recherche du puissant rajasaure, une espèce indienne de dinosaure animatronique jusque-là peu connue, mais qui serait «plus puissant que le tyrannosaure»), « La Colère des Dieux » (où un archéologue met au jour des ruines, intactes depuis des siècles, mais doit se confronter aux dieux colériques du feu, de l’eau et de la terre qui y résident), ou encore « Prince des Eaux Sombres » (un voyage sous-marin projeté sur un écran hémisphérique de 290 mètres carrés, qui dévoile des sirènes animées, des baleines et, enfin, le secret du « prince noir » lui-même). 

Pendant ce temps, nous informe The National, à Dubaï (forcément à Dubaï…) on construit « le plus grand parc à thème couvert du monde » :

Les frères Ilyas et Mustafa Galadari comptent inaugurer IMG Worlds of Adventure en décembre – avec un peu d’aide de Spider-Man, Hulk et Ben10. […] La plupart de ses attractions seront inspirées par les superhéros de Marvel ou par des personnages des dessins animés de Cartoon Network.

[…]

Cela donnera un coup de pouce à un projet plus vaste, initialement connu sous le nom de City of Arabia [et aujourd’hui renommé Dubailand], qui avait été mis en veilleuse pendant plusieurs années. City of Arabia, dont l’ouverture était prévue pour 2011, devait comprendre le plus grand centre commercial du monde ainsi qu’un parc à thème centré sur les dinosaures.

Ah, les incontournables dinosaures. Ça fascine, ça fait frissonner, ça attire les foules. Il y en aura aussi dans un nouveau parc d’attractions qui est en projet dans le Kentucky – mais pas tout à fait dans le contexte habituel. Le Financial Times explique :

D’après la Bible, Noé a voulu construire à la fois un bateau de sauvetage et une sorte de zoo après que Dieu l’eut discrètement prévenu qu’il prévoyait de déclencher des inondations catastrophiques pour « détruire toute chair » : un châtiment qui répondait aux mauvais comportements des humains. Les créationnistes les plus stricts, pour qui ces événements ont eu lieu il y a environ 4.000 ans, affirment que les fossiles correspondent exclusivement à des animaux qui sont morts pendant le Déluge, qui n’a épargné que la famille de Noé – huit personnes – et les animaux qu’il avait mis en sécurité sur l’arche. 

L’un de ces croyants, Patrick Marsh, est un homme émacié aux certitudes inébranlables et à la voix rauque. […] Il persiste à dire que les évolutionnistes […] racontent n’importe quoi. Et pour le prouver, il construit une réplique de l’arche longue de 155 mètres. Ce navire en bois sera la pièce maîtresse d’un parc d’attractions consacré à la Bible, qui s’appellera Ark Encounter [Rencontre avec l’arche] et dont il est le principal ingénieur. 

[…]

Sa carrière a été longue : il était le directeur artistique des célébrations organisées pour le centenaire de la statue de la Liberté à New York en 1986, il a conçu les attractions tirées des films King Kong et Les Dents de la mer au parc Universal Studios en Floride, puis il est parti au Japon travailler sur les parcs Fuji-Q [ensemble de montagnes russes au pied du mont Fuji, le mont sacré des Japonais] et Sanrio Puroland [qui célèbre Hello Kitty]. […] Le voici ingénieur de l’interprétation littérale de la Bible.

[…]

Il y aura des dinosaures, qui, selon Answers in Genesis [le groupe évangélique qui pilote le projet], ont vécu en même temps que les humains. Answers in Genesis les appelle « lézards missionnaires ».

[…]

Aux alentours de l’arche et dans tout le parc, des acteurs déguisés en personnages bibliques ou en animaux joueront des saynètes et des tableaux « comme dans la comédie musicale Le Roi Lion ».

[…]

Patrick Marsh […] a observé que les humains « sont devenus de plus en plus sensuels, dangereux et égoïstes » – exactement comme dans la société licencieuse punie par le Déluge.

Pour rappeler cela aux visiteurs du parc, on leur fera traverser une « cité du vice » en stuc, où seront représentés tous les maux de la société d’avant le Déluge, et notamment la prostitution, la torture et les combats en cage. Un peu plus loin, il y aura une tour de Babel et une attraction sur le thème des plaies infligées à l’Egypte, dont une rivière de sang et des essaims de sauterelles.

Des rivières de sang ? La torture ? Des lézards missionnaires ? Je ne sais pas pour vous, mais ce n’est pas vraiment l’idée que je me fais d’une agréable journée de détente en famille. Mais ça doit être parce que je suis Anglais … 

P.C.

 

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