De l’efficience de l’économie de marché, démocratique et solidaire

Par Nouri Zorgati

La principale préoccupation de l’homme depuis qu’il existe sur terre, a consisté à assurer sa survie en recherchant à satisfaire ses besoins alimentaires, de s’abriter et de se défendre. Seul, en famille ou en tribu, il subvenait à son alimentation par la cueillette, la chasse et la pêche. Avec la découverte de l’agriculture, il a pu mieux maîtriser son alimentation et améliorer son niveau de vie. La sédentarisation progressive des populations, favorisée par le développement de l’agriculture, a conduit  à l’apparition puis à la multiplication des opérations d’échanges de biens et de services entre les individus. Ces échanges s’opéraient à l’origine par le biais du troc donc l’échange d’un bien ou d’un ensemble de biens contre un bien ou un ensemble de biens.

Le troc freinait la fluidité des échanges car il faut à chaque fois trouver le partenaire de l’échange et le bon rapport de l’échange. L’utilisation de valeurs d’échange sous différentes formes dont notamment l’or et l’argent puis sous la forme de papier-monnaie, a permis  de surmonter cette difficulté et de passer à la vente et à l’achat des produits sur le marché. Ainsi l’activité économique est née sous la forme d’économie de marché caractérisée par la division du travail, la répartition des rôles, l’arbitrage par les prix et le pilotage automatique par les mécanismes du marché.

 

Une division du travail efficace

L’économie de marché permet à chacun de se consacrer à l’activité dans laquelle il est le plus utile à la communauté. Il met sur le marché sa production ou ses prestations qui, par le biais de la loi de l’offre et de la demande, trouvent un preneur à un prix d’équilibre. Il acquiert sur le marché les biens et les services dont il a besoin. L’économie de marché favorise la spécialisation et améliore  la productivité. Elle permet de libérer le talent et de promouvoir l’esprit d’initiative. Elle met la recherche de l’intérêt individuel exercé dans le respect de la légalité au service de l’intérêt général, en vertu de la métaphore de « la main invisible ».

L’économie de marché libère l’esprit d’entreprise et d’innovation, favorise le progrès technique et engage un processus de « création destructrice» qui tout en détruisant certaines activités, crée d’autres activités qui offrent de plus larges perspectives de progrès. Malgré son apparente dureté, cette réalité est incontournable car l’on ne peut maintenir des activités non viables sans compromettre l’efficience économique. Celle-ci est indispensable à une solidarité effective qui ne peut s’exercer que par l’État à travers la redistribution obligatoire des revenus d’une part et par l’action volontaire des organisations non gouvernementales d’autre part.

 

Une répartition des rôles rationnelle

Dans l’économie de marché, les rôles sont répartis entre l’État et les différents acteurs de la société. L’État dans son rôle de puissance publique, veille à la souveraineté du pays et à sa sécurité. Il  doit assurer une bonne gouvernance, la justice, l’enseignement et la formation, la mise en œuvre de l’infrastructure ainsi que toute action qui concourt à la promotion des activités relevant des acteurs de la société. Ces derniers exercent leur rôle dans la production marchande des biens et services et de la création des emplois et des revenus.

L’ingérence de l’État dans le secteur de la production marchande est source de concurrence déloyale, d’inefficacité économique et de déficits pour les finances publiques. Certes au lendemain de l’Indépendance, l’État était dans l’obligation d’assurer la relève de l’économie coloniale en créant des entreprises publiques dans les divers secteurs de l’activité. Avec le temps ces entreprises sont devenues un lourd fardeau et le désengagement de l’État a été long et difficile. Après la Révolution, l’État s’est trouvé hériter d’un ensemble d’entreprises dont il faut se dégager avant qu’elles ne deviennent une charge pour les finances publiques.

La répartition des rôles  entre le secteur public et le secteur privé, n’exclut pas le partenariat public-privé qui associe les moyens du secteur public à la pertinence de la gestion commerciale privée. Cette pratique existe sous la forme de concession par la location moyennant un cahier des charges, des carrières appartenant au domaine public ou des terres agricoles domaniales. Elle peut s’étendre à de multiples autres activités telles que la production pour le compte du secteur public de l’énergie renouvelable utilisant les spécificités des différentes régions.

Un arbitrage permanent par les prix

Dans l’économie de marché les prix assurent l’équilibre entre l’offre et la demande. Ils constituent des indicateurs de l’état de santé des différentes activités. La fixation administrative des prix dans le cas de perturbation des prix, est un acte antiéconomique, un geste antidémocratique et un aveu d’échec des autorités dans la recherche et l’identification des causes du dysfonctionnement de l’économie. La liberté des prix est une nécessité absolue, car les prix sont des indicateurs du fonctionnement de l’économie. En cassant les prix, on casse les indicateurs de l’économie. Certes la maîtrise de l’inflation est une préoccupation majeure pour assurer la stabilité économique et financière et la sauvegarde du pouvoir d’achat des catégories modestes et moyennes de la population. Mais ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on fait baisser la fièvre du malade.

 Ainsi le recours à la fixation des prix des produits agricoles pour contrecarrer le passage de l’indice des prix à la consommation à un niveau de 6% par an depuis la Révolution contre un maximum de 4% par an auparavant, a causé à l’agriculture un préjudice sans commune mesure avec le soulagement que peut apporter aux consommateurs la réduction de quelques millimes sur quelques produits sans effet significatif sur le niveau général des prix. Le vrai problème provient de l’exportation par la contrebande des produits agricoles. La vraie solution consiste à organiser ces exportations sans les interdire, car c’est une opportunité pour les agriculteurs et pour le développement de l’agriculture. Le prélèvement de la contrepartie en devises des exportations une fois organisées, permet d’effectuer les importations nécessaires à la régularisation des prix sur le marché intérieur.

Par ailleurs, la pratique de la fixation des prix des produits de base constitue une véritable bombe à retardement pour les finances publiques. Pour désarmer cette bombe avec le moindre dégât, il est urgent de ne pas augmenter ces prix dans un premier temps mais de remplacer la procédure de fixation des prix de ces produits par la fixation de la subvention unitaire à ces produits. Cette façon de procéder présente un double avantage. Elle permet en premier lieu de figer le montant de la subvention dans le Budget de l’État et en second lieu de laisser leurs prix obéir aux exigences du bon fonctionnement de l’économie.

 

Un pilotage automatique de l’économie

Nul ne peut mieux que le marché assurer le bon fonctionnement de l’économie et l’allocation optimale des ressources. L’efficacité du marché est d’autant plus effective qu’il s’exerce dans le cadre de la libre concurrence qui exige la multiplicité des intervenants, l’indépendance des demandeurs et des offrants ainsi que la libre circulation de l’information. Cela est aussi vrai pour le marché des biens et des services de consommation, que pour le marché des actifs et le marché du travail.

Sur le marché des biens et services de consommation, la demande diminue quand le prix augmente et inversement. L’offre augmente quand le prix augmente et inversement. Les quantités demandées et les quantités offertes s’égalisent au niveau d’un prix d’équilibre dans le cadre de la loi de l’offre et de la demande. L’offre dépend de la capacité de production tandis que la demande dépend de la saturation des consommateurs. Elles sont donc indépendantes l’une de l’autre. La libre confrontation de l’offre et de la demande exige la libre concurrence et exclut les cartels, les concentrations, les abus de position dominante, la contrefaçon et toutes sortes de pratiques déloyales.

Sur le marché des actifs, la loi de l’offre et de la demande ne s’applique pas nécessairement comme sur le marché des biens et services de consommation. En effet, lorsque le prix d’un actif augmente, c’est un patrimoine qui se valorise. La demande peut augmenter dans le cas d’une anticipation à la hausse du prix de l’actif. Contrairement aux produits de consommation, l’offre et la demande d’actifs ne sont pas indépendantes car elles sont fonctions de l’anticipation de l’évolution de leur prix.

Sur le marché du travail, l’offre et la demande se caractérisent par une grande asymétrie de l’information et dépendent du rapport de force entre employeurs et employés. Les relations entre les deux parties conduisent à des conflits sociaux portant sur les rémunérations, la durée du travail, la protection sociale et les conditions du travail en général. Les autorités sont amenées à instaurer des réglementations du droit du travail différent d’un pays à l’autre et correspondant à un équilibre remis chaque fois en cause par la recherche de la flexibilité de l’emploi par les employeurs préoccupés par les aléas économiques et la recherche de la sécurité de l’emploi par les salariés.

Contrairement au dogme libéral de l’efficience absolue du marché, celui-ci peut subir des dysfonctionnements en raison des nombreux aléas qui peuvent perturber l’activité économique. Les autorités doivent prévoir les dispositions préventives et prendre les mesures nécessaires pour le rétablissement des mécanismes du marché dans le cadre du respect des droits et des devoirs.

 

Une solidarité effective entre les individus et les régions

L’engagement dans la voie de l’économie de marché doit être net et sans ambages. Des signaux clairs doivent être adressés tant en direction de l’intérieur que de l’extérieur du pays.

Sur le plan extérieur, le message consiste à présenter le pays comme le partenaire sérieux et crédible de toujours, loin de toute mentalité de mendicité et d’assistance. L’objectif consiste à  rechercher les voies et moyens de pallier aux déficits des échanges extérieurs avec les différents pays, déficits qui constituent un préjudice à la croissance et à l’emploi. A cet effet, il convient d’organiser des rencontres avec les partenaires concernés en vue de concrétiser les engagements du G8 avec ses différents membres, de décider des mesures pour la relance du tourisme, de mettre au point un programme de coopération pour le renforcement de la formation professionnelle et de promouvoir les investissements directs étrangers.

Sur le plan intérieur, il importe de lancer un programme d’actions pour préparer la reprise et la diffusion de la croissance dans les régions. Ce programme doit permettre la promotion des petites, moyennes et micro entreprises, le renforcement de la formation professionnelle, la mise en œuvre du rééquilibrage des infrastructures régionales et la mise à niveau des secteurs d’activité mis à mal par les années de corruption.

Cependant l’effet de ces mesures sur l’emploi n’est significatif qu’à moyen et long termes. Or avec plus de 600.000 chômeurs, un taux de chômage de l’ordre de 20% dans le nord-ouest, de 24% dans le centre-ouest et 26% dans le sud, le chômage constitue la première urgence. Ce problème ne peut attendre le retour de la croissance. Ce n’est ni en un an, ni en cinq ans, ni même en dix ans que l’économie pourra créer des emplois à la hauteur des besoins. Il faut atteindre un taux de croissance de 6% par an rien que pour absorber la population active additionnelle de 70.000 personnes qui vient chaque année sur le marché du travail. Il est inacceptable et insupportable de laisser perdurer cette situation explosive. Le traitement du chômage passe nécessairement par la solidarité nationale.

Il importe  de mettre en œuvre à titre transitoire, des travaux d’utilité  publique. Il s’agit de travaux de protection de l’environnement, nécessaires et urgents. Il concernent la lutte contre l’érosion et la désertification, la conservation des eaux et des sols, le curage des oueds et la protection contre les inondations et autres catastrophes naturelles. Les programmes relatifs à ces actions sont disponibles dans les bureaux de l’Administration. Ils concernent particulièrement les régions de l’ouest du pays, de l’extrême nord à l’extrême sud, donc des régions qui n’ont pas  bénéficié des fruits de la croissance dans le passé et qui méritent donc une attention particulière.

Les travaux à réaliser pour le compte des collectivités locales avec le financement de l’État, doivent  être répartis par lots et attribués par voie d’adjudication à l’entreprise et ne doivent pas être  exécutés en régie pour éviter toute confusion avec des emplois publics. A ces travaux peuvent s’ajouter les travaux  de propreté et de lutte contre l’insalubrité grandissante des villes et des campagnes.  La création de 125.000 emplois transitoires coûterait 0,5 milliard de dinars par an. Comparé au Budget de l’État de plus de 28 milliards de dinars et au revenu national de l’ordre de 60 milliards de dinars par an, le coût annuel du programme est loin d’être insupportable même si cela doit nécessiter une certaine révision des priorités budgétaires, une contribution nationale particulière et des financements extérieurs appropriés. Les emplois transitoires doivent être réduits au fur et à mesure de la création des emplois stables par l’économie.

L’occupation dans des emplois transitoires, de centaines de milliers de jeunes sans emploi, exclus, déçus, ulcérés, et livrés à eux-mêmes et aux recruteurs de tout bord au service des mauvaises causes telles que le vol, l’agression, la drogue, le vandalisme, l’émigration clandestine et les actes terroristes, est la seule mesure salutaire à effet immédiat, qui sauve le présent  sans  compromettre l’avenir.

C’est aussi le seul moyen de déminer une source de nuisance et d’anarchie qui est en voie de déstabiliser et de saper les fondements de l’État.

 nzorgati@gmail.com     

Related posts

Affaire du complot contre la sûreté de l’État : Unimed réagit au jugement contre Ridha Charfeddine

Sousse accueille une croisière française avec 165 passagers à bord

Rencontre avec le metteur en scène Moez Gdiri :  « L’adaptation du théâtre européen nous a éloignés de notre réalité tunisienne »