De l’Etat émancipateur ! (3)

La question du rôle économique de l’Etat a connu beaucoup de critiques et de révisions depuis le milieu des années 1970. Ces lectures critiques vont contribuer au recul du paradigme de l’Etat-providence et à l’apparition de nouveaux paradigmes et de la contre-révolution néolibérale.

Les pays développés ont connu une importante crise économique dès le début des années 1970 avec la baisse de la croissance, la montée de l’inflation et l’accroissement du chômage, alors qu’ils avaient réussi à les réduire, leur permettant de connaître une longue phase de plein-emploi. Ces crises ne vont pas se limiter au niveau interne mais vont se prolonger au niveau international avec la décision américaine d’arrêter la convertibilité dollar-or qui était un des fondements du système de Bretton Woods, mis en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Mais, la question qui a suscité le plus de débats au cours de cette période concerne l’incapacité des politiques économiques traditionnelles à sortir de la stagflation ambiante. Car, faut-il le rappeler, les politiques économiques keynésiennes en vogue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale étaient basées sur un arbitrage entre l’inflation et la croissance. Mais, la coexistence de ces deux phénomènes dans une crise de stagflation a remis en cause l’efficacité de ces choix de politique économique. Ces politiques économiques n’ont pas été en mesure de faire face aux fléaux de l’inflation et de la montée du chômage que vont connaître tous les pays développés.

Ces crises, plus particulièrement les échecs répétés des politiques économiques, seront à l’origine d’une critique radicale non seulement de la pensée keynésienne, mais également de l’interventionnisme économique de l’Etat dans l’économie. Cette critique du rôle de l’Etat sera à l’origine d’une véritable contre-révolution néolibérale qui va se fixer comme cible, la critique sur toutes les interventions extérieures au marché dans le fonctionnement des économies capitalistes.

Ces critiques et la poursuite des crises économiques seront à l’origine de la chute du paradigme de l’Etat-providence et l’apparition d’un nouveau paradigme qui va contribuer à l’émergence et à la domination du paradigme néolibéral à partir du début des années 1980 et à la victoire éclatante des partis de droite dans la plupart des pays démocratiques.

La critique radicale de l’Etat et de son rôle économique vont se baser sur trois questions essentielles.

La première concerne la capacité des acteurs économiques à se projeter dans l’avenir. Dans la critique adressée par un grand nombre d’économistes à l’Etat et à son efficacité, l’accent a été mis sur une nouvelle question essentielle qui concerne la capacité des acteurs économiques à lire et à prévoir le futur qui s’est exprimé à travers l’hypothèse des anticipations rationnelles. Si cette théorie est apparue dans les travaux de l’économiste américain Muth en 1961, elle sera mise au goût du jour et sera un élément essentiel dans le nouveau paradigme théorique et dans la critique de la contre-révolution néolibérale à l’interventionnisme de l’Etat. Cette théorie souligne que les acteurs économiques ont acquis une expérience et un savoir qui leur permettent d’apprécier les incitations de l’Etat et des politiques économiques et d’agir de manière rationnelle.

On peut prendre à ce niveau l’exemple d’une augmentation des salaires que l’Etat pourrait prendre pour accroître la consommation. La théorie des anticipations rationnelles souligne que cette incitation ne va pas conduire nécessairement à une augmentation des dépenses de consommation des ménages dans la mesure où ils ont la conscience que l’augmentation des salaires se traduira à terme par un déficit des finances publiques et l’Etat pourrait augmenter la fiscalité pour faire face à cette dérive. Ainsi, les ménages ne vont pas suivre les incitations mises en place par l’Etat dans la mesure où ils sont conscients de leurs effets à moyen terme.

La théorie des anticipations rationnelles a multiplié les exemples pour démontrer in fine que les agents économiques vont remettre en cause l’efficacité de l’interventionnisme étatique dans les dynamiques économiques et par conséquent les outils des politiques économiques perdent leur capacité à agir sur les réalités économiques.

La seconde question qui a joué un rôle important dans la critique du rôle économique de l’Etat concerne la confiance et la capacité des politiques publiques à mobiliser les acteurs économiques pour atteindre les objectifs fixés. L’absence de cette confiance s’explique par plusieurs raisons évoquées par les critiques dont la crédibilité des politiques économiques, particulièrement lorsque les responsables reculent face aux engagements pris. Les critiques du rôle de l’Etat évoquent une autre question essentielle que les économistes appellent le hasard moral ou ce qu’on pourrait appeler comme la crédibilité éthique et qui concerne la tendance des gouvernements à récompenser avec générosité des chômeurs, ce qui ne les incite pas à chercher de manière active du travail.

La question de la confiance dans les politiques économiques est également liée dans ces analyses aux changements des choix de politique économique que nous enregistrons dans les grandes démocraties et qui sont de nature à réduire la confiance des acteurs économiques.

L’ensemble de ces facteurs joue un rôle important dans le recul de la confiance dans les politiques publiques auprès des acteurs économiques, ce qui finit par altérer l’efficacité de l’action économique de l’Etat.

La troisième question évoquée par les critiques de l’action économique de l’Etat est relative au savoir et à la capacité des institutions publiques à réunir les informations nécessaires pour la formulation des politiques économiques. Ces lectures et ces analyses mettent l’accent sur la grande complexité des réalités économiques contemporaines, ce qui réduit la capacité de formulation de politiques pertinentes et efficaces.

L’ensemble de ces analyses a contribué dès le milieu des années 1970 à la critique radicale du paradigme keynésien dominant qui mettait l’accent sur une forte intervention de l’Etat en économie. Cette critique va contribuer à la contre-révolution néolibérale qui va commencer au début des années 1980 et qui sera à l’origine de la structuration d’un nouveau paradigme totalement hostile à tout interventionnisme étatique. Ce nouveau paradigme va mettre l’accent sur quatre principes essentiels, à savoir la stabilité des systèmes économiques, l’efficacité du marché ou de la main invisible de Smith, la neutralité des politiques économiques et le recours aux politiques monétaires pour combattre l’inflation.

Ces principes vont constituer les fondements des politiques économiques néolibérales qui seront mises en place dans la plupart des pays développés à partir du début des années 1980, particulièrement après la grande victoire électorale des partis de droite dans les grandes démocraties occidentales.

Mais, ces grands choix d’une grande radicalité vont rapidement montrer leur irréalisme et justifier par conséquent le passage à un paradigme néolibéral plus soft en accordant un nouveau rôle à l’Etat.

A suivre…    

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