De l’Etat émancipateur !

Les grandes phases de crise constituent de grands moments de transformation et de ruptures dans les paradigmes et les choix politiques. Ces moments majeurs dans l’histoire du monde ouvrent une ère de réflexion critique sur les grands modèles dominants et les politiques publiques qu’ils ont contribué à mettre en place et à façonner. Ces moments de balbutiement nous offrent assez souvent de nouveaux paradigmes et de nouvelles politiques publiques qui vont participer à l’émergence d’un nouveau monde.
Le moment historique que nous traversons ne diffère pas des autres grands moments de crise et de rupture dans l’histoire moderne. La multiplication des crises financières, économiques, sociales et climatiques ont ouvert une phase de réflexion et de grands questionnements intellectuels et politiques depuis la grande crise financière des années 2008. Ces crises ont ouvert un moment de sortie des politiques publiques néolibérales qui ont dominé le champ public depuis le début des années 1980. Ainsi, l’Etat est revenu à son interventionnisme actif dans le champ économique pour maîtriser une situation économique livrée à l’aventurisme et à la cupidité des traders en l’absence de politiques de contrôle et de régulation.
Même si ces nouvelles politiques ont connu une certaine lassitude au cours des dernières années, elles vont revenir sur le devant de la scène avec la pandémie de la Covid-19 et les Etats vont jouer un rôle majeur dans la lutte contre le virus à différents niveaux des politiques de santé, de la recherche scientifique, du soutien des populations et de l’économie et de sauvetage des entreprises.
Mais, cette fois-ci, le recul de la pandémie et des crises économiques et financières ne va pas mettre fin à ces grandes tranformations des politiques économiques qui vont se poursuivre et s’ancrer dans le paysage politique et économique pour produire de nouveaux paradigmes qui vont égrener de nouvelles politiques et ouvrir un nouveau moment historique. Et, l’une des questions qui a soulevé le plus de contributions et de controverses dans le débat public concerne le rôle de l’Etat dans les dynamiques économiques. Ces contributions et ces débats sur le rôle de l’Etat ne sont pas nouveaux et depuis l’apparition de l’économie politique moderne au milieu du 18e siècle avec le développement du capitalisme en Europe, cette question était au centre des préoccupations des économistes. Tout au long de l’histoire, cette question a soulevé beaucoup de débats et de controverses pour devenir l’une des questions les plus discutées par les économistes au cours des deux derniers siècles.
Le débat sur le rôle et la place de l’Etat a connu l’apparition d’un paradigme qui a dominé les politiques publiques depuis la fin des années 1980 et qui a limité ce rôle dans la régulation de la dynamique économique et corrigé les imperfections du marché. Cette vision a rompu avec celle qui a dominé le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qui a fait de l’Etat l’acteur majeur dans les politiques économiques et en a fait le fondement de l’Etat-providence et de la société de consommation.
Mais, la crise des Trente glorieuses dans le monde développé sera à l’origine d’une critique radicale de cette vision et la fin de l’ère de l’intervention globale de l’Etat. La révolution néolibérale au début des années 1980 est venu mettre fin à cet interventionnisme et faire du marché la seule institution de l’organisation, de l’économie et la de promotion de l’investissement. Mais, cette version du néolibéralisme radical ne résistera pas à la critique et particulièrement devant la plus grande complexité des régimes économiques et ouvrira la voie à une version plus « douce » de l’intervention de l’Etat. Cette ouverture sera à l’origine de l’émergence du paradigme de « l’Etat régulateur » qui va remplacer celui de « l’Etat-stratège ».
Cette nouvelle vision a constitué un recul par rapport à la vision radicale du néolibéralisme de départ et une volonté de construire une vision beaucoup plus réaliste du rôle de l’Etat dans l’économie. Cette nouvelle vision n’exclut pas le rôle de l’Etat mais cherche à le réduire et à le limiter à la régulation de l’économie, et à corriger les imperfections du marché et son incapacité à assurer par moments les grands équilibres macroéconomiques et la stabilité des économies modernes.
Cette nouvelle vision du rôle de l’Etat sera à l’origine d’un nouveau consensus intellectuel et politique qui va dominer les politiques publiques dans tous les pays du monde.
Mais, la répétition des crises financières, économiques, sociales, climatiques et récemment celle liée à l’impact de la pandémie de la Covid-19 sera à l’origine de la fin de ce consensus libéral « soft ». L’incertitude croissante et les grandes peurs sont à l’apparition de nouvelles visions et de nouveaux paradigmes qui mettent l’accent sur le rôle actif de l’Etat pour aider nos sociétés à gérer les grands dangers et les grandes incertitudes que nous traversons et définir de nouvelles politiques qui vont nous permettre d’atteindre des horizons moins incertains.
Mais, avant d’évoquer de nouveau ce débat, nous allons nous arrêter sur l’évolution historique de la question de l’Etat et son rôle économique.

A suivre…

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