Le débat public a été marqué ces derniers jours par les discussions économiques, particulièrement les divergences fortes qui se sont exprimées publiquement entre le gouvernement et la Banque centrale sur la question du financement de la loi de Finances rectificative pour l’année 2020. Ce débat a pris une tournure très politique du fait qu’il s’est exprimé sur la place publique après le communiqué publié par la Banque centrale suite à son dernier Conseil d’administration, l’intervention du Gouverneur devant la Commission des finances de l’ARP et la décision de cette dernière d’appeler le gouvernement à réviser son projet.
Nous aurions aimé que ces divergences soient réglées par une plus grande concertation et que les institutions de l’Etat soient en mesure de parvenir à des positions consensuelles, particulièrement dans un contexte de crise profonde que nous traversons.
Mais, ce débat pose des questions essentielles dans la réflexion économique qui concerne la place et le rôle de ce que les économistes appellent les politiques monétaires non-conventionnelles dans le financement de l’économie. Ces politiques sont dans leur définition générale les politiques qui cherchent à réduire les pressions des politiques traditionnelles et restrictives dans le financement de l’économie. Le débat entre la Banque centrale et le gouvernement concerne le degré de libéralisation que nous voulons introduire dans les politiques monétaires. La seconde interrogation est liée au niveau de risque que les politiques non-conventionnelles sont capables d’introduire au sein de l’économie.
Il faut noter que les politiques monétaires ont connu une révolution majeure au début des années 1980 avec le retour en force des politiques restrictives inspirées par le maître de Chicago, l’économiste américain Milton Friedman. Cette contre-révolution s’inscrit dans une transformation plus profonde du débat économique et la sortie du consensus keynésien qui a marqué le débat économique depuis la sortie de la Seconde Guerre mondiale.
Les nouveaux choix de politique monétaire vont se fixer comme objectif la lutte contre les tensions inflationnistes qui ont marqué les économies des pays développés et d’autres pays émergents au cours des années 1970. Ce contexte économique sera à l’origine de la définition et de la mise en place de nouvelles politiques monétaires restrictives. Ce changement de cap va commencer aux Etats-Unis avec l’arrivée de Paul Volcker à la tête de la FED en 1979 opérant un relèvement sans précédent des taux d’intérêt pour faire face aux tensions inflationnistes. Cette rupture sera à l’origine d’un changement d’orientation des politiques monétaires dans la plupart des pays du monde.
Ce changement sera accompagné de réformes institutionnelles dont les plus importantes concernent l’indépendance des banques centrales et l’interdiction du financement direct des budgets de l’Etat. La question de l’indépendance avait pour objectif de libérer les banques centrales de l’influence des responsables politiques, particulièrement de la tentation de mettre en place des politiques expansionnistes, notamment lors des périodes électorales. Il faut souligner que jusque-là, le nombre de banques centrales indépendantes était limité et la grande majorité d’entre-elles était soumise au pouvoir exécutif.
Les réformes mises en place au début des années 1990 vont opérer un changement majeur. La plupart des banques centrales vont devenir indépendantes et leur gouvernance est conduite par des conseils d’administration indépendants qui vont définir leurs grandes options en matière de politique monétaire.
La seconde rupture majeure concerne le refus du financement direct par les banques centrales du budget de l’Etat.
Mais, si les politiques monétaires restrictives ont réussi à faire face à l’inflation et la diminuer de manière marquée, elles ont été critiquées du fait de leur impact sur les investissements et sur la croissance économique. Ces limites ont été à l’origine d’appels pour sortir et diminuer le caractère restrictif des politiques monétaires afin de relancer la croissance économique sur des bases solides.
Ces critiques ont été à l’origine d’une évolution importante des politiques monétaires et du développement des politiques non-conventionnelles capables de donner des marges de manœuvre pour les différents pays et leurs banques centrales. La conjoncture difficile et l’ampleur de la récession suite à la pandémie de la Covid-19 ont renforcé ce retour aux politiques non-conventionnelles.
Le débat aujourd’hui sur la politique monétaire que nous connaissons est partie prenante d’un débat global sur l’évolution de ces politiques et leurs rapports avec les politiques budgétaires. Si nous avons défendu les politiques non-conventionnelles et la nécessité d’ouvrir la marge des politiques monétaires, particulièrement dans les moments de crise, nous pensons qu’elles doivent respecter un certain nombre de conditions afin qu’elles ne deviennent pas une source de déstabilisation des grands équilibres macroéconomiques.
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