Notre pays traverse une crise économique et financière sans précédent. Une crise qui trouve ses origines dans les difficultés de transition politique et économique et dans l’incapacité des différents gouvernements à tracer de nouvelles perspectives de croissance économique. Ces difficultés ont été renforcées par les effets économiques et sociaux de la pandémie de la Covid-19 et ses différentes vagues dont les pouvoirs publics n’ont pas été en mesure de gérer les conséquences.
Ces crises économiques ont été à l’origine de la dépression la plus forte dans l’histoire de l’économie tunisienne avec un taux de croissance négatif de -8,8% en 2020. Par ailleurs, les estimations de reprise pour l’année en cours et fixées à 3,9% en 2021 par le FMI risquent d’être revues fortement à la baisse du fait, non seulement de la poursuite de la pandémie au cours de cette année, mais aussi de son ampleur.
En dépit de la forte instabilité et de l’incertitude sur la situation et les perspectives économiques, les différents gouvernements n’ont pas jugé utile de faire appel aux outils de la politique économique, particulièrement la politique budgétaire, afin de faire face à ces dangers et de favoriser une stabilisation de l’économie. La révision des lois de Finances aurait permis aux pouvoirs publics de mesurer l’ampleur des défis et de prendre les mesures rectificatives nécessaires. Or, les pouvoirs publics se sont rattachés aux lois de Finances initiales et n’ont fait appel à une loi rectificative que vers la fin de l’année 2020 pour boucler les comptes de l’année.
Par ailleurs, lors de l’adoption de la loi de Finances 2021, le gouvernement s’était engagé, compte tenu de l’insatisfaction des députés, à formuler et présenter une loi de finance rectificative avant la fin du premier trimestre de l’année. Or, en dépit de quelques vagues promesses, rien n’est fait et le gouvernement semble se rattacher à la loi de Finances initiale en dépit des défis et des grandes incertitudes économiques. L’évolution de la situation économique nationale et internationale montre que certaines hypothèses fortes de la loi de Finances initiale ne sont plus vérifiées. Ainsi, les projections de la croissance qui constituent un élément essentiel de la loi de Finances pourraient être révisées du fait de la poursuite de la pandémie et de son ampleur. Par ailleurs, les hypothèses sur le cours du baril qui constituent un élément important de la loi de Finances ont nettement augmenté par rapport aux hypothèses arrêtées avant la fin de l’année du fait de la reprise de l’activité économique dans certaines régions du monde, notamment aux Etats-Unis et en Chine.
En dépit de ces évolutions et des appels incessants lancés ici et là pour définir une loi de Finances rectificative, le gouvernement résiste et tient encore à la loi de Finances initiale.
La question qui se pose est de comprendre les raisons de cette résistance. Et, si les arguments évoqués sont pertinents.
L’argument couramment avancé est lié à l’instabilité de la situation économique et à l’incertitude quant au futur qui ne permet pas de définir un nouveau collectif budgétaire. Il faudrait par conséquent attendre une plus grande stabilisation du contexte macroéconomique pour entamer la préparation d’une nouvelle loi de Finances. Cet argument est largement partagé non seulement par les responsables gouvernementaux au plus haut niveau de l’Etat, mais également par un grand nombre d’experts et une partie de l’opinion publique.
Or, il s’agit d’un argument erroné qui émane d’une grande méconnaissance des principes des finances publiques. Il faut d’abord rappeler que contrairement à une pratique fortement répandue en Tunisie depuis la Révolution, le recours à un collectif budgétaire exceptionnel en cours d’exercice est fortement déconseillé. Il s’agit d’une preuve d’incompétence dans la préparation du collectif budgétaire initial. Le recours à cet outil se fait par conséquent de manière exceptionnelle dans des circonstances inattendues et totalement imprévues. C’est dans ce contexte particulier que les pouvoirs publics peuvent élaborer un collectif budgétaire exceptionnel en cours d’exercice qui a pour objectif d’apporter les correctifs nécessaires pour faire face aux évènements imprévus par le collectif initial. Par conséquent, on ne peut pas attendre la stabilisation de la situation économique pour définir une loi de Finances rectificative. Bien au contraire, c’est au nouveau collectif budgétaire et aux nouvelles politiques et mesures prises de parvenir à la stabilisation de la situation économique.
A ce niveau, il faut souligner une autre fausse bonne idée qui se répand dans le débat public et qui est régulièrement affirmée par les responsables publics concernant les lois de Finances. Certains n’hésitent pas le plus sérieusement du monde à annoncer qu’ils prépareront peut-être un ou deux nouveaux collectifs budgétaires en cours d’exercice. Là également, il s’agit d’une erreur manifeste car on prépare toujours une loi de Finances en estimant que nous avons pris toutes les mesures et les choix de politique budgétaire nécessaires pour corriger les dérives budgétaires et par conséquent, ne plus avoir à apporter des ajustements en cours d’exercice. Dans ce contexte, s’il faut recourir à de nouveaux collectifs budgétaires, comme l’a fait la France à titre d’exemple au cours de l’année 2020, c’est le résultat d’une plus grande détérioration de la situation économique en dépit des mesures prises par les pouvoirs publics. Mais, en aucun cas, l’annonce d’un recours à un ou plusieurs collectifs budgétaires ne peut se faire a priori.
La poursuite de la dangereuse détérioration de la situation économique et financière exige au plus vite la définition d’un nouveau collectif budgétaire. Faut-il pour cela se débarrasser de certaines idées reçues qui ont la vie dure afin de libérer l’action des pouvoirs publics dans ce domaine.