De l’utilité du débat économique public

 

 

Le débat économique public est un pilier essentiel dans les grandes démocraties. Il remplit plusieurs fonctions. D’abord, il permet d’informer le grand public sur les grands défis économiques et les grandes priorités de politique économique mise en place par les gouvernants pour y faire face. Par ailleurs, les experts et les analystes économiques contribuent par leurs analyses et leurs commentaires à éclairer la décision publique et à soulever des éléments qui auraient pu échapper aux responsables de l’action publique. Enfin, le débat public peut également susciter des critiques et des points de vue différents des priorités officielles et des choix de politique économique des pouvoirs publics. Rappelons que les priorités économiques s’inscrivent dans le champ politique et sont par conséquent porteuses d’intérêts politiques et sociaux qui ne sont pas toujours convergents. Le débat contradictoire peut par conséquent éclairer les intérêts en jeu.

La Tunisie assiste à l’émergence d’un débat public libre sur les choix de politique économique. Il s’agit encore d’un débat embryonnaire qui commence à trouver progressivement sa place dans la scène publique à travers des contributions dans les journaux, des émissions de télévision, des essais économiques ou des rencontres et des séminaires publics. Il s’agit d’une importante évolution dans la mesure où, par le passé, le débat était  limité à la parole officielle et excluait par conséquent les voix dissidentes et critiques. Cette évolution s’inscrit dans la transition politique que connait notre pays et dans l’émergence d’une démocratie naissante. L’instauration et le développement d’un débat public libre et contradictoire sur les choix économiques ne peuvent que contribuer au renforcement de notre démocratie en herbe et aider les gouvernements à relever les défis énormes de développement et de transition économique.

Si la question sur l’importance et l’intérêt du débat économique public ne fait aucun doute, il s’agit pour nous d’apporter quelques éléments sur les conditions de sa réussite et de son inscription de manière constructive dans le débat public général. Par ailleurs, on ne le soulignera jamais assez, l’objectif stratégique de notre pays est de réussir sa transition économique et de sortir de la trappe des pays intermédiaires dans laquelle nous nous trouvons depuis quelques années. Cette transition devrait favoriser une croissance forte, capable d’assurer une stabilisation dynamique de nos grands équilibres macroéconomiques et de créer une forte reprise de l’emploi.

Le débat économique peut contribuer fortement à cette transition économique en aidant à identifier les défis et les difficultés et en contribuant à assurer une large mobilisation des différents acteurs économiques. Pour y parvenir, ce débat doit être ouvert, dynamique et surtout constructif.

Le caractère constructif du débat s’observe à un double niveau : sa forme et son contenu. Au niveau de la forme, il est essentiel de construire des relations de confiance qui favorisent l’écoute, le débat et l’échange. Il est évident que l’invective, l’outrage, l’excès et parfois même l’insulte ne peuvent contribuer à l’élaboration des rapports de confiance qui sont nécessaires à l’échange et contribuent à l’évolution des positions des différents acteurs pour converger sur des projets consensuels et communs. Au contraire, comme c’est le cas dans les pays démocratiques, il est essentiel que nos contributions soient marquées par le respect de l’autre et particulièrement de ceux qui défendent des opinions différentes. L’invective fera du débat un dialogue de sourds et le respect en fera un véritable moment d’échange et de dialogue pour construire des ponts et des alliances entre les différents acteurs.

Le second aspect concerne le contenu de ces débats et la faible présence des économistes professionnels. Notre débat aujourd’hui est marqué par une présence forte d’un côté d’un alter-mondialisme radical et de l’autre côté un certain « conspirationnisme » qui voit les décisions publiques comme le résultat d’un marchandage avec des centres de pouvoir aussi lointains qu’inconnus. La présence des économistes professionnels favorisera l’émergence des thèses et surtout d’arguments scientifiques du fait de la maîtrise des outils propres à ce champ du savoir notamment les outils économétriques qui permettront de partager les différents points de vue. Certes, les économistes professionnels ont tendance à privilégier les publications scientifiques dans les journaux académiques ainsi que les interventions dans les colloques scientifiques afin de faire avancer leurs carrières professionnelles. Mais, il est important dans cette période de transition pour les économistes professionnels de s’impliquer plus dans le débat public à travers les interventions dans la presse et la constitution d’associations professionnelles et de think tank qui favorisent cette participation.

Le débat public sur les questions économiques est essentiel dans les démocraties. Le débat embryonnaire dans notre pays peut évoluer en introduisant de nouvelles règles de conduite basées sur le respect, la confiance et le développement de nouveaux arguments scientifiques. Le débat politique marqué par l’invective lors des premiers mois post-révolution a su, depuis, faire des progrès pour être plus apaisé et respectueux des différences. Parions que les différents intervenants dans ce débat sauront le faire évoluer pour qu’il devienne un véritable allié de la transition économique en cours.

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