Les projecteurs sont allumés de nouveau sur le centre de la ville de Tunis qui accueille de nouveaux metteurs en scène, de belles actrices, des scénaristes et tous ceux qui font rêver ces milliers de jeunes qui envahissent les salles de cinéma tout au long des Journées cinématographiques de Carthage. Comme à son habitude, la ville accueillera les cinéastes et les films du monde entier et particulièrement des pays du Sud pour nous faire découvrir leurs rêves et leurs espoirs. Un rendez-vous devenu incontournable depuis plus d’un demi-siècle pour faire de ce festival, le point de rencontre de toute la création venant du Sud et un lieu d’échange et de discussion pour faire évoluer la cinématographie du monde arabe et de l’Afrique.
Parallèlement aux projections et aux rencontres, les JCC ont institué le principe de l’organisation d’un colloque international, comme les autres festivals de renom, depuis leur création. Si cette tradition a disparu dans les autres festivals, laissant la place au glamour et aux paillettes, les JCC l’ont maintenue pour en faire le point d’orgue de ces rencontres. Les questions abordées sont au cœur de la création cinématographique et sont discutées en présence des plus grands spécialistes et experts pour en débattre.
Le colloque de cette année, que j’ai eu l’honneur de présider et de coordonner, n’a pas échappé à la règle et a porté sur les nouvelles formes de financement de la production cinématographique dans nos pays. Une question d’une actualité brûlante devant l’effervescence créatrice et l’insuffisance des moyens disponibles pour porter les rêves et les projets des jeunes créateurs tunisiens et du Sud à l’écran. Il faut souligner que notre pays a mis en place d’importants mécanismes de soutien à la production cinématographique. Ces mécanismes ont favorisé l’embellie cinématographique des années 1990 qui a été à l’origine de l’éclosion d’un grand nombre de talents dont Férid Boughdir, Nouri Bouzid, Moufida Tlatli, Moncef Dhouib et bien d’autres. Ces créateurs ont également bénéficié d’autres formes d’appuis financiers notamment les co-productions avec des organismes et des fonds européens ou des institutions internationales. Ces organismes ont émigré vers la production du Sud afin de renouveler l’écriture cinématographique du Nord. Ces appuis nous ont permis de découvrir d’importantes expériences du Sud, notamment le cinéma iranien qui n’a pas réussi à mettre fin l’autoritarisme et au totalitarisme des régimes des mollahs et à enchaîner les rêves des cinéastes.
Or, ces moyens et ces ressources commencent à se raréfier et à peser lourdement sur la production. En effet, face à la crise économique qui sévit dans beaucoup de pays et aux crises budgétaires afférentes, désormais l’heure est à la réduction des déficits budgétaires et aux politiques d’austérité dont les premières victimes toutes désignées sont les créateurs et la culture. Ainsi, assiste-t-on depuis plusieurs années à une baisse des budgets et des financements alloués à la culture et à la production cinématographique. Cette baisse est d’autant plus importante qu’elle correspond à un moment d’effervescence créatrice en Tunisie et dans beaucoup de pays du Sud.
La question discutée par les participants venus des quatre coins du monde, lors de ce colloque tenu le 5 novembre 2018 dans le cadre des JCC, est de trouver de nouvelles formes de financement afin de permettre aux jeunes créateurs de poursuivre leurs projets et de porter leurs rêves sur les écrans. Un colloque d’une grande richesse qui a réuni un grand nombre de spécialistes et d’experts du financement de la création cinématographique, qui sont venus présenter leurs expériences et échanger sur ce thème qui sera au cœur des préoccupations lors des prochaines années. Plusieurs contributions importantes ont été présentées par les intervenants et notamment celle du Taxshelter qui a permis à la production belge de devenir l’une des cinématographies les plus intéressantes dans le monde. D’autres idées comme la création d’un fonds d’investissement destiné à la création cinématographique, ont été également avancées. Bien d’autres propositions ont été formulées, montrant que la créativité ne se limite pas dans ce domaine à la production cinématographique, mais également aux nouvelles formes de financement.
Des débats et des échanges intéressants et animés ont eu lieu lors de cette journée dont il s’est dégagé trois axes, en conclusion. Le premier concerne le rôle de l’Etat et de l’argent public dans le financement de l’activité cinématographique. En dépit de la diminution des moyens alloués à la création, il faut maintenir cette place du financement public et la renforcer. Les gouvernements doivent poursuivre leur soutien à la culture car elle constitue la véritable digue à la montée de l’extrémisme et de l’intolérance. De plus, la culture a cessé d’être un loisir pour devenir une activité économique importante, créatrice d’emploi et porteuse d’investissements directs et indirects. Il est important de sensibiliser nos gouvernements et nos pouvoirs publics quant à ces questions essentielles, afin qu’ils poursuivent leur appui à la création en dépit des temps économiques difficiles.
Le second élément concerne la nécessité de mobiliser le secteur privé et de renforcer son engagement dans la culture et particulièrement la création cinématographique. Certes, des incitations ont été mises en place, notamment la loi sur le mécénat d’août 2014 que j’ai eu l’honneur de faire adopter par l’ARP avec mon ami Mourad Sakli, à l’époque ministre de la Culture. Mais, ces incitations et ces nouvelles lois resteront sans effets en l’absence d’une véritable sensibilisation des acteurs privés à l’importance de leur engagement dans le domaine culturel.
Enfin, il est important de nous doter de véritables structures indépendantes, capables d’aider les créateurs à trouver les financements nécessaires à leurs projets et notamment en favorisant l’accès à d’autres sources de financement. Certes, les structures de production dans le Sud jouent déjà un rôle important dans ce domaine mais, il faut renforcer leur travail par des fondations indépendantes, à même d’assurer un appui plus conséquent à l’ensemble de la création.
La création artistique et la production cinématographique vivent aujourd’hui une grande effervescence. Nous devons maintenir ce moment notamment en favorisant l’éclosion de nouvelles formes de financement capables d’aider les jeunes créateurs à porter leurs rêves sur les écrans. n
21