De Profondis

Par AISSA BACCOUCHE

Dans son one woman show « on ne nous dit pas tout » l’humoriste Anne Roumanoff diplômée de sciences-Po Paris et condisciple de François Hollande nous déroule les fils de l’actualité sur un ton badin.

Moi, soixante-huitard impénitent qui n’ai pas fréquenté le « 27 » de la rue St Guillaume et raté, par conséquent, ma vocation de rhéteur malicieux, je vais tout dire au sujet d’un bâtiment qui porte mon nom mais qui n’est pas le mien. Il jouxte, toutefois, mon logis à l’Ariana.

Le palais Baccouche dont il s’agit souffre depuis quarante ans non pas tant de l’usure du temps mais de la léthargie de ceux et celles qui sont en charge du patrimoine culturel et qui ne cessent chaque fois qu’il se rendent in situ de promettre de prendre soin de ce legs.

Toujours la même antienne. Paroles, paroles, comme dirait Dalida.

Ce palais appartenant depuis 1864 au « Général » Mohamed Baccouche (1833-1896)[1] ainsi que le domaine de 11 hectares qui l’entoure est propriété de l’Etat depuis1917[2]

En 1919 il a hébergé la première école de plein air[3] avant de devenir une école in door avec un internat.

Au mitan des années 70 l’orangeraie qui ornait le palais va être la cible des « rongeurs ».

Un lycée fut implanté dont l’architecture tranche avec celle du monument. Puis un collège. Ensuite une médiathèque[4] .

Enfin, last not least, le siège de la délégation régionale de la culture et de la sauvegarde du patrimoine.

L’autre jour, en m’y rendant pour débattre de la reprise du fameux forum de la pensée tunisienne initié par le regretté Kamel Omran, je ne croyais pas mes yeux. La verrerie qui était réservée pour héberger une galerie et un atelier de peinture a été tout bonnement soufflée. Décidément, le démon des beni-hilal est immanent chez nous.

Nonobstant cette densification qui était dans l’air du temps je pus, fort de ma qualité de maire, et avec l’appui de feu Frej Chadli[5] ministre à l’époque de l’éducation nationale de disposer du palais. J’y organisais de multiples manifestations d’intérêt général. J’y avais invité le 02 Février 1982 Si Driss Guiga ministre de l’intérieur pour présider aux journées d’étude en vue du plan triennal municipal (1982-1985).

La même année, le palais hébergea, quelques moments délicieux de la 1ère édition de fête des roses ainsi que les cérémonies de jumelage avec les villes de Salé et Grasse.

Dans la foulée, nous faisions profiter la télévision nationale de cet espace pour diffuser et enregistrer un certain nombre d’émissions telles que « la lanterne des souvenirs » et « le musée des chansons » ainsi que la soirée du 20 mars réalisée par le virtuose Moncef Lemkacher qui mérite la rediffusion tant il a immortalisé les splendeurs de ce joyau.[6]

Lorsque j’ai quitté les affaires en 1985, le palais referma ses portes pour ne plus abriter que les élèves internes.

En 1988, je revins à la charge pour le rouvrir. Fort de ma qualité de président du comité culturel régional, je reprenais contact avec l’un de mes amis des années 60 à Paris, Monji Bousnina secrétaire d’état à l’Education pour exaucer ma requête. Il demanda illico à son directeur régional à l’Ariana de prendre les mesures adéquates en vue de mettre le bâtiment à la disposition de la ville. Ce qui fut fait le chef d’Etat chargea son ministre de la culture à l’époque le regretté Habib Boularès pour nous communiquer cette décision.

J’accoure aussitôt, au Palais, à l’invitation de Raouf Kouka qui s’y déplaça pour diffuser la bonne parole en direct dans son émission dominicale.

J’exprime alors comme de bien entendu ma satisfaction et ma reconnaissance. Hélas, ma joie fut de courte durée.

En effet, quelque temps plus tard Si Monji, devenu ministre de la culture, tourna casaque. Il céda tout simplement le palais au Ballet national et plus tard aux troupes nationale et folklorique[7].

Donc peine perdue pour nous autres arianais trop souvent floués. Quand au bloc de pierres et de chaux, il va, lui, subir une double peine : aux mouvements incessants des danseurs à travers les pièces de ce palais vinrent s’ajouter les vibrations occasionnées par le passage régulier du métro qui « chatouille » la façade et les fondations[8].

Si bien que le Ballet et les troupes finissent par quitter les lieux en laissant derrière eux un IMR (Immeuble menaçant ruine).

Depuis l’on assista à un Ballet des ministres qui se sont succédé à la tête du ministère de la culture et qui venaient s’apitoyer sur le sort du « palozzo » abandonné. Le 23 Mai 2019, je fus invité de bonne heure pour accueillir en compagnie des autorités locales Mr Zine El Abidine qui ordonna d’entamer les travaux de ravalement d’autant plus que les études avaient été achevées par une équipe pluri disciplinaire de l’institut national du patrimoine. Mais l’intendance, comme disait l’autre, ne suivra pas.

Le 20 Août 2020 je fus convié à assister à la cérémonie de signature d’un accord de mise en chantier entre l’Institut et la commune en présence de Mme Chiraz Laatiri. Puis silence radio.

Le 14 Mai 2022 j’apprends que Mme Hayet Gtat- Guermazi s’est rendue ce jour-là au Palais Baccouche pour se rendre compte de l’état des lieux.

Le 27 Février 2024, un des murs du palais se craquelle

Je ne vois plus rien,

Je perds la mémoire

Du mal et du bien

Ô la triste histoire

Paul Verlaine[9]

(1844-1896)

[1] Originaire de Beni-Khiar et d’ascendance andalouse Med Baccouche était un dignitaire de la galaxie des beys Ahmed Mhammed et Sadok qui régnèrent de 1837-1882. Avec son beau-père Hmidu Ben Ayed, il obtient la concession du système d’adduction de Tunis en eau potable.

Il devient l’un des hommes les plus riches du pays. A ce titre il mène une vie de fastes. Il invite, entre autres célébrités, la princesse Nazli fille du prétendant au trône égyptien qu’il connut à Paris à résider dans son palais à l’Ariana ou elle tint un salon auquel les réformateurs de l’époque tels que Mohamed Tahar Ben Achour et Salem Bouhajeb dont elle épousa le fils Khalil son cadet de vingt ans devenu plus tard premier ministre.

Le théologien égyptien Mohamed Abdou la rejoignit. Bienfaitrice de la Khaldounia son portrait domine à la grande salle de la lecture ? ceux des autres fondateurs.

[2]  A la mort de leur mère Mamia, les 11 enfants de Med Baccouche dont le plus illustre « le général » Slaheddine premier ministre de Lamine Bey à deux reprises de 1943 à 1947 et de 1452 à 1954, vendent le 18 Juin 1917 à l’Etat en la personne du directeur de l’Education.

[3] En vertu du décret beylical paru en journal officiel le 11 septembre 1918.

[4] La médiathèque a été édifiée grâce au concours financier de la BIAT. Première du genre en Tunisie, elle vient d’être reléguée au rang de bibliothèque régionale.

[5] Le lycée pilote qui a été érigé en face du palais porte désormais le nom de Si Frej. Ce n’est que justice.

[6] La première manifestation organisée par la commune fut précisément une réception donnée en l’honneur de Si Abdelaziz Kacem à l’occasion de sa nomination le 18 décembre 1981 à la tête de la R.T.T

[7] Le maire Si Mahmoud Mestiri, le gouverneur Si Nejib Drissi et moi-même, avons boycotté la cérémonie de l’installation de la directrice du Ballet, une dame par ailleurs, remarquable.

[8] Une aberration urbanistique : un tram qui contourne la ville au lieu de la traverser comme ce fut entendu avant 1985. Point d’études d’impact. Il fallait parer au plus pressé. !

[9] Mort la même année que le « général » Baccouche père.

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