Par Peter Cross (de Londres pour Réalités)
Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », ou, pour réactualiser cette sentence de Molière, : qui veut faire taire son blogueur, l’accuse de consommation ou de négoce de drogues, de terrorisme, de blasphème ou d’apostasie. Nos lecteurs se souviendront de Raëf Badawi, blogueur saoudien de 32 ans, emprisonné pour avoir créé un forum en ligne où l’on discutait des idées libérales, du rôle des autorités religieuses et de l’interprétation wahhabite de l’Islam qui fait figure de doctrine d’Etat dans son pays. Le 7 mai a eu lieu son deuxième procès, cette fois pour apostasie – sans qu’il ait un instant laissé entendre qu’il avait abandonné sa foi. Mais, après tout, ce n’est qu’un détail, car, selon The Economist :Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », ou, pour réactualiser cette sentence de Molière, : qui veut faire taire son blogueur, l’accuse de consommation ou de négoce de drogues, de terrorisme, de blasphème ou d’apostasie.ui veut noyer son chien l’accuse de la rage », ou, pour réactualiser cette sentence de Molière, : qui veut faire taire son blogueur, l’accuse de consommation ou de négoce de drogues, de terrorisme, de blasphème ou d’apostasie.
Raëf Badawi a été condamné à dix ans de prison, assortis de 1000 coups de fouet. Mais d’un certain point de vue, il ne s’en sort pas si mal : le ministère public avait requis la peine de mort.
M. Badawi a le droit de faire appel, mais il devra trouver un nouvel avocat. Son défenseur actuel, Waleed Aboulkheir, l’un des rares avocats saoudiens à se spécialiser dans les droits de l’Homme, se trouve lui-même derrière les barreaux. Déjà interdit de voyage pour plusieurs années, il a été placé en détention provisoire le 15 Avril en attendant de répondre à un chapelet de chefs d’inculpation, dont « désobéissance au souverain légitime » et « incitation à l’hostilité internationale contre le royaume » […], des délits, qui, au titre de la nouvelle loi anti-terroriste […] sont considérés comme des actes de terrorisme.
Fort heureusement, en Tunisie, la nouvelle Constitution protège les citoyens de toute accusation de blasphème ou d’apostasie et en interdit même l’usage. Mais il existe d’autres charges pour faire taire des blogueurs sans-gêne et autres impertinents. Détention de stupéfiants, par exemple.
Suite à l’arrestation « musclée » – pour reprendre le viril euphémisme d’usage – du blogueur Azyz Amami et du photographe Sabri Ben Mlouka, accusés de détention et de consommation de cannabis, le réseau international de blogueurs et de citoyens-journalistes Global Voices Online fait remarquer que « l’utilisation de fausses accusations de détention de cannabis est une pratique classique utilisée depuis toujours par les autorités tunisiennes, avant et après la Révolution, afin de maquiller des arrestations politiques ». Pour sa part, The Daily Star, quotidien anglophone du Liban, raconte la campagne du collectif Al Sajin 52 pour une réforme de la « loi 52 » réprimant l’utilisation et la détention de stupéfiants :
Depuis la promulgation de la loi en 1992, « des dizaines de milliers de Tunisiens ont été condamnés. Pourtant, (…) le nombre de condamnés et de consommateurs ne cesse d’augmenter. C’est la preuve que cette loi n’a rien de dissuasif et qu’elle a échoué, » affirme Al Sajin 52.
Car la consommation de la résine de cannabis est sanctionnée par une à cinq années de prison et la loi interdit aux magistrats de prendre en compte les circonstances atténuantes.
Résultat, plus de 50% des 13.000 personnes en détention provisoire et environ un tiers des quelques 11.000 condamnés ont été arrêtés en lien avec des affaires de stupéfiants, surtout le cannabis, selon des chiffres de l’ONU.
[…]
Le collectif ne milite « pas pour la dépénalisation parce qu’il faut viser quelque chose d’atteignable et que les mentalités ne sont pas prêtes, explique Amal Amraoui, 25 ans, l’une de ses fondatrices.
Nous voulons que la prison ferme soit abolie. Qu’on laisse l’amende, ou qu’on remplace la prison ferme par un sursis, des travaux d’intérêt général. Les gens commencent à en prendre conscience. Avant, ils croyaient que les gens arrêtés étaient des racailles, aujourd’hui ils se rendent de plus en plus compte que ça peut arriver à n’importe qui, quel que soit son niveau social ou d’éducation. »
L’idée d’une réforme de la loi est toutefois souvent mal vue, les consommateurs de cannabis continuant d’être perçus comme des criminels par une grande partie de la population.
Sous d’autres cieux, cependant, on revient de plus en plus sur la pénalisation de la consommation, voire de la vente, du cannabis. L’Uruguay vient de légaliser la production et la distribution de marijuana, tout comme aux Etats Unis, les Etats du Colorado et de Washington, au nom de la santé publique et pour lutter contre le trafic et la violence que génère la prohibition. Mais alors que le débat avance et les attitudes changent progressivement en Amérique du Nord comme du Sud, voilà que font jour de nouveaux problèmes que jusqu’alors peu de gens soupçonnaient. C’est le magazine progressiste américain Mother Jones, pourtant peu enclin à entretenir des illusions quant à l’efficacité de la prohibition du cannabis et de la « guerre contre les drogues » menée par des administrations américaines successives, qui les relève dans une enquête récente :
Avant même que les électeurs du Colorado et de l’Etat de Washington ne légalisent le cannabis, la marijuana était déjà pratiquement légale en Californie, et pas seulement pour usage médical. La loi 1449, promulguée par le gouverneur Arnold Schwarzenegger en 2010, requalifiait en effet le délit de possession de 10 onces (283 grammes) ou moins de cannabis en simple infraction passible d’une amende maximale de 100 dollars.
De nombreux Etats ont assoupli leur réglementation sur la consommation de cannabis. Mais, à l’exception du Colorado et de l’Etat de Washington, dont les lois précisent qui peut cultiver de la marijuana, où et sous quelles conditions, les autres Etats n’ont pratiquement rien dit des méthodes de culture – difficiles à réglementer puisque les producteurs qui coopèrent avec les organismes de réglementation peuvent toujours être poursuivis en vertu de la législation fédérale, qui considère le cannabis comme un stupéfiant de classe 1, au même titre que le LSD ou l’héroïne. D’où est donc censée provenir toute cette marijuana licite et semi-licite ? D’une économie clandestine de moins en moins contrôlée […].
Pour satisfaire la demande, les superficies consacrées à la marijuana dans le « Triangle d’émeraude » dans le nord de la Californie ont doublé en cinq ans. Comme la ruée vers l’or des années 1885, ce que l’on appelle désormais ici la « ruée vers l’or vert » a certes apporté une vague de prospérité, mais à un coût exorbitant pour l’environnement. Qu’elle soit cultivée dans des bunkers éclairés par des groupes électrogènes au diesel hyper-polluants ou aspergée de pesticides interdits […], cette « herbe à pollution » n’est pas de très bonne qualité, ni très planante.
[…]
Entre autres effets pervers, la culture du cannabis absorbe énormément de ressources en eau dans une région vulnérable aux sécheresses. D’après les calculs de Scott Bauer, biologiste au Service californien de la pêche et de la faune, la cannabiculture est « l’une des raisons principales » de l’assèchement des vingt-quatre rivières à saumons et à truites arc-en-ciel observé l’été dernier. « C’est probablement la plus grave menace qui pèse sur les saumons dans cette région, » assure-t-il.
Il est de plus en plus évident que la législation doit évoluer. Un peu d’imagination, donc, messieurs les censeurs, s’il vous plaît. Il faut adapter les cache-sexe de la répression à notre temps. Quitte à faire tomber Azyz et Sabri pour détention de cannabis, ne les qualifiez plus de « toxicomanes », ça fait vieillot. Vu les ravages environnementaux qu’engendre la culture du cannabis, appelez-les plutôt « éco-terroristes », c’est plus moderne. Et hop, le tour est joué : c’est par ici la prison !
P.C.