Sans conteste, le débat public sur les questions économiques a connu une transformation majeure après la Révolution. Dans le sillage de la grande révolution du débat public, de sa démocratisation et de son pluralisme, le débat économique est en train de vivre une importante mue avec l’ouverture des médias et de l’espace public d’une manière générale, à des voix dissidentes et même critiques par rapport aux voix officielles. Il faut dire pour ceux qui ont connu le débat sur les questions économiques d’avant la Révolution, nous sommes en train de vivre un bouleversement sans précédent. Pour s’en convaincre, il faut se rappeler des pseudo-débats que nous avions par le passé et qui se limitaient à la répétition du discours dominant sans la moindre voix dissidente. Comme si le rabâchage de quelques messages officiels pouvait servir d’argument.
Les choses ont bien changé depuis et nous avons commencé à connaître un débat économique pluriel et animé sur les questions économiques et les grands choix de politique à instaurer dans ce secteur. Ainsi, les grands médias, notamment les chaînes de télévision et de radio, comme la presse écrite, ont ouvert leurs portes aux universitaires et autres experts économiques, dont l’expertise a été parfois contestée. Cette ouverture a été d’une grande utilité et a joué un rôle important du point de vue pédagogique pour expliquer les enjeux économiques à une population très inquiète devant la détérioration de la situation et l’incapacité des gouvernements élus à réaliser les promesses ouvertes par le printemps arabe. Cette ouverture de l’espace public au débat économique a également joué un rôle important pour éclairer la décision publique et les grands choix de politique économique. Plus rien ne sera comme avant dans le débat et désormais les projets et les choix économiques seront des choix d’économie politique qui feront l’objet de débats, voire même de controverses publiques. Et, c’est tant mieux car la démocratie exige qu’on fasse sortir les choix économiques des bureaux fermés des experts et des responsables pour les faire entrer dans la sphère ouverte et plurielle de la citoyenneté.
Certes, cette ouverture du débat public aux questions économiques ne s’est pas faite sans difficultés et sans encombre. Au contraire, plusieurs maux sont apparus avec parfois des discours idéologiques ou maximalistes d’un autre temps et que l’on croyait définitivement disparus avec l’échec des expériences de construction de « paradis sur terre » s’étant avérés des prisons qui ont enfermé définitivement les rêves de liberté. Par ailleurs, ces débats ont été marqués par l’apparition d’une nouvelle génération d’experts dont les économistes critiquaient la présence excessive dans les médias et leur déniaient toute expertise économique. On a également été confronté dans ce développement embryonnaire du débat économique par l’incapacité de certains chercheurs et universitaires à échapper à leurs chapelles académiques et à la pureté des discours universitaires pour peser sur le débat public et développer des discours à l’attention du large public. D’autres universitaires ont choisi d’intégrer et d’apporter leur expertise aux différents cercles officiels, ce qui les a empêchés d’intervenir dans le débat public.
Mais, en dépit de ces difficultés, l’ouverture du débat public sur les grands choix économiques a été d’une grande utilité et constitue un signe d’enrichissement de notre démocratie naissante. Or, force est de constater que le débat est en train de s’enfermer depuis quelques mois dans une opposition binaire entre deux grandes options : d’un côté ceux qui pensent qu’on ne peut difficilement faire mieux et nous enferment par conséquent, dans une résignation sans précédent, et de l’autre, ceux qui nous invitent à chambouler immédiatement l’ordre établi et nous ouvrent sur un aventurisme que peu sont prêts à suivre. Point de vie entre ces deux options. Et, cet enfermement entre le syndrome du TINA (there is no alternative) et l’idéologique élevé en pseudo-projet économique ne fait qu’appauvrir le débat économique et en fait un lieu d’enterrement de nos rêves de transformation économique, de changement de modèle de développement et justice sociale et d’égalité.
Plus que jamais, nous avons besoin de maintenir ce débat économique pluriel et ouvert. Mais, nous avons encore plus besoin de l’ouvrir à l’innovation et à l’inventivité afin de construire les nouveaux modèles et les nouveaux projets économiques de demain. Rappelons que les grands moments d’innovation dans l’histoire économique ont été les grandes crises économiques. Pour preuve, la grande dépression de 1929 et celle de 2008 qui ont rompu avec le dogmatisme ambiant et ouvert de nouveaux chantiers devant la réflexion économique et dans la définition des politiques économiques.
Face à l’ampleur de la crise que nous traversons, nous avons besoin de nouvelles idées et de nouveaux projets. Gageons qu’une plus grande ouverture du débat économique et la sortie des sentiers battus, de toutes les formes de dogmatisme et de pensée unique, sauront nous donner les cent roses dont nous avons besoin et dont le fleurissement redonnera une nouvelle espérance à notre pays et contribuera à la consolidation de la transition démocratique par la réussite de la transformation économique.
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