Débat sur la loi antiterroriste : Entre efficacité et respect des Droits de l’Homme

De deuil en deuil, la situation sécuritaire en Tunisie inquiète tous les citoyens. Jamais la Tunisie n’a connu autant de drames en si peu de temps. Armes, terroristes, tout est flou dans l’esprit des tunisiens interrogés. «On ne comprend pas ce qui se passe, ni ce qui arrive à notre pays» Une phrase qui revient souvent, une phrase dite par des citoyens appartenant à toutes les classes sociales, chez des intellectuels, des fonctionnaires et des illettrés … Comment faire face au terrorisme ?

Un cadre juridique clair s’impose selon tous les juristes et analystes politiques.

Doit-on réviser la loi de 2003 de Ben Ali ?

Human Right Watch a envoyé une lettre à l’ANC appelant les législateurs tunisiens à réviser la loi antiterroriste de 2003 lui reprochant une définition trop large du terrorisme et de l’incitation au terrorisme.

« Les autorités tunisiennes devraient immédiatement cesser d’appliquer une loi anti-terrorisme que Ben Ali utilisait pour décapiter toute forme de dissidence » a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Une loi liberticide selon la plupart des ONG ainsi que la société civile. Elle a donné lieu à plusieurs dépassements, abus sexuels et torture.

Pour la société civile et la plupart des élus, il n’est pas question de reprendre la loi de 2003 car celle-ci est abusive et conçue par un régime policier pour empêcher toute contestation, soulèvement ou même rassemblement.

L’Association de lutte contre la torture en Tunisie s’est penchée sur la loi antiterroriste du 10 décembre 2003. Une lecture poignante et des menaces de grande envergure : «Celle-ci prévoit des peines sévères et comporte une définition extensive du terrorisme qui va être utilisée de manière abusive pour poursuivre des citoyens dans le cadre de l’exercice pacifique de leurs droits à la contestation. Cette loi va servir d’alibi pour étouffer encore plus toute contestation et réprimer toute dissidence dans le pays…Elle fait par conséquent peser une lourde menace sur l’exercice de la liberté d’association et transforme toute initiative d’opposition pacifique pour réclamer un changement de la politique de l’État en un acte de « terrorisme ». Elle est en contradiction grave avec les principes édictés par l’article 8 de la Constitution, les dispositions de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, celles des Conventions Internationales ratifiées par l’État tunisien ainsi que celles de la Déclaration des Nations Unies relative à la protection des défenseurs des droits humains. Cette loi liberticide a institué une justice d’exception qui réduit à néant les garanties des personnes suspectes sanctionnées le plus souvent, et dans ces conditions, sur leurs intentions et non sur leurs actes.»

Condamnés pour des idées, des intentions … Une loi oppressante, qui peut vite tourner au drame. L’association de lutte contre la torture a, lors d’un rapport réalisé en 2008, recueilli des témoignages poignants quant à l’application de cette loi:

«C’est l’affaire des agents de la DES qui opèrent sur tout le territoire en utilisant des moyens financiers et humains considérables ainsi que des méthodes arbitraires et illégales d’arrestation et de détention. Cette police place systématiquement les suspects dans des lieux de détention tenus secrets, et les familles de ces derniers restent sans aucune nouvelle d’eux tout le long de cette détention qui dure parfois des semaines… Les suspects détenus n’ont aucun contact avec l’extérieur et font unanimement état d’actes de torture et de mauvais traitements pendant les interrogatoires. Diverses méthodes de torture sont employées : coups, décharges électriques, sévices sexuels, suspension au plafond, position dite de la « balançoire » ou du « poulet rôti »… Tous, sans exception, ont signé des procès verbaux sous la contrainte des sévices et de la torture, des déclarations qui sont régulièrement utilisées par les tribunaux, en dépit des rétractions des inculpés, pour prononcer de lourdes condamnations allant jusqu’à la peine capitale.»

Une équation à double inconnue ?

 La Commission des droits, des libertés et des relations extérieures a auditionné le Ministre de l’intérieur ainsi que des hauts cadres du ministère et des directeurs de la garde nationale et de la sûreté nationale à propos du projet de loi relatif au terrorisme et au blanchiment d’argent.

Selon le Ministre de l’intérieur, Lotfi Ben Jeddou, il faudrait mettre en place une loi qui respecte les standards internationaux et les Droits de l’Homme tout en étant efficace pour lutter contre ce phénomène.

Pour certains élus d’Ennahdha, les 136 articles du projet de loi sont répressifs et risquent de replonger le pays dans un régime policier. Cette loi, est, selon Ennahdha et le parti El Wafa, le prolongement de la loi de 2003.

Le ministre de l’Intérieur a, quant à lui, déclaré que la loi 2003 serait réactivée si le nouveau projet de loi n’est pas adopté.

Nejib Mrad, élu d’Ennahdha remet en cause l’article qui interdit aux tunisiens de participer aux combats dans les zones de conflit. Il est important, selon lui, de mentionner dans le nouveau projet de loi le principe de la repentance, de l’amnistie et de la réintégration des terroristes renégats.

Une déclaration inattendue

Pour l’élu d’Ennahdha, Néjib Mrad , le terrorisme ne constitue toujours pas un danger comme en Algérie avant. Néjib Mrad repproche à plusieurs parties d’exagérer sciemment ce phénomène.

Pendant ce temps là, la plupart des personnages politiques, juristes et militants sont curieusement absents du débat.  Certains en voyage, d’autres « pas spécialistes » préfèrent se taire. La liste est longue, nous avons contacté Ghazi Ghrari, Sadok Belaid, Mohamed Jmour, Bochra Belhmida … et bien d’autres. La plupart prendront connaissance du projet de loi dans les jours qui viennent…

Yasmine Hajri

Chronique des attaques terroristes en Tunisie

Septembre 2012 : Attaque de l’ambassade américaine.

6 février 2013 : Assassinat de Chokri Belaid

25 juillet 2012 : Assassinat de Mohamed Brahmi

Juillet 2013 : 8 soldats assassinés au Mont Châambi

Mai 2014 : la maison du Ministre de l’intérieur est prise pour cible, 4 policiers tués.

Article 4 de la loi anti-terrorisme du 10 décembre 2003 :

“Est qualifiée de terroriste, toute infraction quels qu’en soient les mobiles, en relation avec une entreprise individuelle ou collective susceptible de terroriser une personne ou un groupe de personnes, de semer la terreur parmi la population, dans le dessein d’influencer la politique de l’Etat et de le contraindre à faire ce qu’il n’est pas tenu de faire ou à s’abstenir de faire ce qu’il est tenu de faire, de troubler l’ordre public, la paix ou la sécurité internationale, de porter atteinte aux personnes ou aux biens, de causer un dommage aux édifices abritant des missions diplomatiques, consulaires ou des organisations internationales, de causer un préjudice grave à l’environnement, de nature à mettre en danger la vie des habitants ou leur santé, ou de porter préjudice aux ressources vitales, aux infrastructures, aux moyens de transport et de communication, aux systèmes informatiques ou aux services publics”.

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