Décalages

Il a fallu attendre longtemps,  très longtemps pour   constater l’énormité du fossé créé par un  déficit commercial abyssal,  qui a dépassé les 5000 millions de dinars au cours des quatre premiers mois de l’année en cours et  pour voir le gouvernement se résoudre, enfin, à prendre des mesures de restrictions des importations et de balance commerciale.  Ce tour de vis était attendu depuis maintenant plus de deux ans, mais l’insouciance et l’hésitation des gouvernements n’ont fait que le retarder  participant à l’aggravation de la situation et rendant ainsi la thérapeutique encore plus douloureuse et ses effets pervers.  Il faut dire que l’absence de réactivité, l’immobilisme  et les mains tremblantes sont devenus une marque de fabrique chez nous, parce qu’on gère les affaires du pays sans une vision claire et que le sens de l’anticipation est aux abonnés absents.
A l’évidence,  le grave déséquilibre qui affecte nos échanges extérieurs n’est pas le fruit du hasard. Il est l’aboutissement normal  de mauvaises politiques,  de choix hasardeux et  d’un pilotage approximatif des rouages de l’économie. Il aurait fallu prendre la mesure de tous ces problèmes dès 2015 pour limiter les dégâts et éviter de recourir à des mesures de restriction qui peuvent être,  à certains égards,  contre productives.
Il aurait été, en effet,  plus loisible de limiter les importations superflues de certains produits non essentiels, que de taxer  aujourd’hui les équipements télécom et numériques.
Il aurait été plus efficace, par exemple, d’éviter la gabegie que connaît le secteur d’importation de voitures par la stricte application d’un certain nombre de  mesures qui ont  prouvé leur  efficience, que d’inonder le marché  de voitures chinoises, indiennes, coréennes, sans aucune contrepartie réelle pour le pays. Il ne faut pas oublier que la règle de la compensation  qui a été instituée depuis les années quatre-vingt-dix a été à l’origine de  l’émergence d’un important tissu industriel dans le pays de  composants et de  câblage et de la création de milliers d’emplois. Qu’a-t-on obtenu en ouvrant la porte grande ouverte aux voitures asiatiques ?  Pas grande chose.

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Ce qui se passe à Tataouine et à Kébili et ailleurs montre que le traitement social de la pauvreté et de  l’exclusion, notamment, ne permet pas d’aller très loin. Il ne favorise nullement des solutions durables et encore moins un apaisement sur le front social. En administrant  des calmants à des problématiques structurelles qui nécessitent des traitements de choc, on ne fait que différer les explosions de colère et  de frustration.
Quand  le gouvernement cède sous la  pression, improvise des mesures et joue constamment le rôle de pompier, il ne peut pas se prémunir contre la propagation des foyers de tension et confère à  son action un caractère ardu et aléatoire.
La preuve nous est fournie chaque jour par la réalité du terrain.   Dès qu’on essaie d’éteindre un feu, d’autres foyers surgissent rendant leur maîtrise, par l’effet pervers de la manipulation   à laquelle  s’adonnent  plusieurs parties qui tirent intérêt de l’affaiblissement de l’Etat,  de l’instabilité du pays, et  de la fragilisation de ses institutions. Mais aussi et surtout par la prise de conscience des jeunes protestataires de la possibilité d’obtenir sous  la pression ce qu’ils n’ont pu avoir par les moyens ordinaires ou via les stratégies mises en œuvre.
Il faut avouer que le populisme omniprésent et  la collusion de plus en plus flagrante entre acteurs politiques et  barons de la contrebande  et la manipulation  des jeunes vulnérables sont derrière le  bouillonnement incessant dans les régions du Sud.  A la faiblesse de l’Etat et de son incapacité d’avoir une emprise sur les événements, on trouve la détermination de partis politiques de l’opposition  qui ne reculent pas à utiliser à fond l’arme du régionalisme pour faire régner le désordre et l’instabilité.
Il est certain que dans ce véritable maelstrom, la Tunisie laisse des plumes en termes d’image, d’expérience démocratique non encore aboutie et surtout de crédibilité vis-à-vis de ses partenaires et de la communauté des affaires.   Quelle image pourra retenir un investisseur étranger,  qu’on essaye de convaincre,  de faire confiance au pays et de courir des risques pour créer de la richesse et des emplois,  quand il  voit des manifestants s’en prendre à des entreprises, bloquant leurs activités et laissant planer des doutes sur le  respect de leurs engagements contractuels ? Alors qu’on fait tout pour restaurer leur confiance, on voit  les chefs d’entreprises soumis à une pression continue, à des marchandages pitoyables, taxés  de tous les maux et subissant de surcroît une administration laxiste, peu transparente et peu performante. Une situation paradoxale, mais aussi affligeante, parce qu’elle consacre de facto une faillite collective et l’aveuglement de certaines parties promptes à  franchir des lignes rouges, celles qui portent atteinte aux intérêts de la Tunisie et des Tunisiens, pour assouvir leur instinct de revanche.
Une faillite pédagogique également, puisqu’à force de jouer la carte populiste on se perd en conjectures, en oubliant que  le développement régional, n’est pas un processus spontané, ni une affaire qu’on improvise à tour de bras. On a omis de rappeler haut et fort qu’avec le changement de cap amorcé en 2011, il aurait fallu repenser un modèle qui a atteint ses limites, se mettre à l’œuvre pour jeter les fondements d’un développement soutenu et inclusif qui demande du temps pour produire ses effets escomptés. Il s’agit d’un développement qu’on ne décrète pas,  qui  ne pourra pas être l’émanation de caprices ou de manœuvres politiciennes, mais d’une ambition partagée, d’un rêve commun et d’une mobilisation collective.

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