La décapitation de soldats faits prisonniers suggère la définition de l’homme par la férocité. Le fauve broie le cou de sa proie, mais il attaque pour dévorer. Il ne hait pas, il ne venge pas, il mange.
Par le cri d’Allahou Akbar le djihadiste inscrit la décapitation au pavillon de ses représentations. Le militaire de l’armée régulière bute sur une prohibition au cas où, de sa propre initiative, il reproduirait le geste salafiste. Loup pour l’homme dans la première position, l’homme ne le serait plus dans la seconde situation. Ce constat empirique oriente l’investigation vers le fond de l’explication théorique, car le djihadiste et le soldat sont des hommes.
A ce titre, ils disposent d’aptitudes psychiques et physiques requises par les mêmes pratiques. L’homologie finit là où commence la conversion des pulsions par l’une et l’autre forme de socialisation. Ainsi compris, de manière approfondie, l’homme est à la fois un loup pour l’homme et un paradis.
Placé face au verre, Hobbes voit la moitié vide et sa très célèbre énonciation trahit le demi-savant. Sartre commet le même excès avec sa notoire demi-vérité : « Le regard de l’autre c’est ma mort ». L’œil d’Abel tue Caen mais celui de Verlaine promet l’aubaine à sa belle qui revit par le regard séduit.
Colosse du savoir et géant de l’humain, Aristote évite ces piètres chemins. L’expression « zoon politikon » (l’homme est un animal politique ou social) focalise l’éclairage sur les deux aspects, celui du djihadiste et celui du soldat soumis à une certaine représentation du droit. Ibn Khaldoun suivra la même voie, pour qui, la nature de l’homme est la culture. Car la férocité attribuée au djihadiste armé du sabre « décapiteur » n’est guère à débusquer dans les méandres de sa corporéité. Elle relève du langage adopté une fois incorporée une manière de sentir, d’agir, de voir, de croire et de penser. Comment élucider cet univers peu abordé ?
Traquer cette vision du monde engage le combat, là où les armes ne parlent pas encore, mais ne vont guère tarder à crépiter. Pareille entreprise où la démarche universitaire aurait à côtoyer le renseignement militaire procure l’avantage de préparer la paix au beau milieu de la guerre. En effet, différente ou pas, la socialisation déploie le dénominateur commun du djihadiste et du soldat. La distinction ne cligne pas vers je ne sais quelle nature, mais elle provient de la culture. Cela disqualifie déjà la chosification de l’adversaire admis parmi les bataillons de Baghdadi. Par l’entreprise de la culture, l’homme devient monstre.
Par l’entremise de la culture le monstre peut donc redevenir homme.
Les djihadistes sont-ils des hommes ?
Au terme de la guerre brève ou prolongée, telle est l’unique voie de la fraternisation espérée. Si le grain semé par Bourguiba ne meurt l’éducation pourrait aboutir à offrir sa fleur. Parmi les militants au-dessus de tout soupçon figure, aujourd’hui l’imperturbable Jelloul Néji, digne héritier de Messaadi et de Charfi. L’autre lignée de l’éducation, représentée par Ghannouchi, occupe le bout de l’éventail socialisateur et entre les deux visions campe Fadhel Ben Achour.
L’hégémonie culturelle, nerf de la guerre informe l’actuel et préfigure le futur. Hélas, l’insécurité incite à conforter les moyens militaires et policiers mais, à long terme, le budget de l’éducation gagnerait à recevoir la priorité. Car le vrai danger ne vient ni de Libye, ni d’Algérie, ni d’ailleurs, il est à pourchasser ici et maintenant à travers nos têtes où Daech continue à implanter sa recette. Voilà pourquoi, l’appel à l’unité nationale et à la mobilisation générale bute sur une observation radicale. Car il y a plusieurs « nous » en Tunisie. Ceux de Bourguiba côtoient ceux de Ghannouchi et l’active préparation des prochaines élections municipales dévoilent une compétition d’allure inégale. Ennahdha peaufine sa réaction contre la dissolution de conseils municipaux.
L’islamisme, antichambre du djihadisme, sature, presque, l’air du temps partout et à tout moment. Il déborde le cultuel et investit le culturel à travers les champs scolaire et universitaire.
L’ancien CERES garde son appellation, mais devient le réceptacle de gens pensant autrement. A l’ère de Guermadi, Habib Attia, Abdelkader Zghal, Gilbert Naccache, Salah Hamzaoui et autres vétérans de l’émancipation succède le temps où les nouveaux « chercheurs » ont plutôt à voir avec le turban.
Celui-ci infiltre ses prises de positions au cœur de mille et une discussions. A El Manar la direction d’une grande surface annonce la prochaine mise en vente autorisée de boissons alcoolisées.
L’un des notables, militaire de carrière, entame la tournée des grands ducs pour l’élaboration d’un écrit où il s’agit de protester contre l’afflux d’amateurs venus des proches quartiers marginalisés. Ils risqueraient de perturber le havre de paix.
Tout au long des palabres égrenées du premier au dix juillet, deux objections parviennent à dissuader les fervents partisans de la pétition. La première vitupère l’élitisme des privilégiés. La seconde évoque l’incontournable récupération par les champions de l’inquisition.
Chassé par la porte avec le souci d’avoir la paix, Baghdadi court vers la fenêtre pour exhiber le bout du nez.
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