Slim Ennaceur, victime d’une mort sans souffrances et sans atermoiements, le 21 juillet 2013, à quarante huit ans, a fait partie d’une espèce d’hommes rares en Tunisie. Il a fait de son métier son passe-temps favori, une activité qui correspond à ses aspirations, à ses compétences et à ses besoins. Il n’a pas assemblé que les corps et les couleurs, il a aussi composé la matière d’une vie professionnelle sereine. Ce n’était pas un artiste conventionnel, il était à la fois artisan, fabricant, parfois industriel, et il n’avait que faire de l’art solitaire souvent timoré ; il fonctionnait dans la création dédiée au partage. Son art est clair, identifiable, décoratif et plein d’inspiration. Slim a cherché, en créant des objets d’art concrets et innovants, l’abolition de la résistance à l’art, il a substitué à l’art personnalisé l’ouvrage qui ne laisse pas indifférent, ce qui ne l’a pas empêché de faire des incursions dans l’art pour l’art. Slim n’était pas non plus l’artiste décalé, il s’est inspiré quasi exclusivement du patrimoine, de la mémoire, de l’imaginaire et d’autres réminiscences intelligentes.
Je n’aime pas les condoléances, je préfère avoir une pensée sincère pour son père, un homme considéré par tous pour sa droiture, son intégrité et ses compétences ; sa mère, une belle Norvégienne qui se mêle de la vie et des affaires des Tunisiens depuis plus de cinquante ans, ses frères et sœurs qui ne sont pas tombés loin de l’arbre ; sa femme, et surtout son fils dont je suis d’autant plus proche que j’ai perdu mon père exactement à son âge.
Il faut un grand courage pour supporter les moments où la condition humaine paraît soudain bien précaire ; je suppose que ses proches, une famille peu ordinaire, ont la philosophie qu’il faut pour circonscrire l’épreuve, prendre du recul et considérer la mort avec philosophie, loin des sagesses soporifiques et de la spiritualité de pacotille.
Il ne faut pas croire que les hommes qui meurent à un âge bien avancé sont mieux lotis. Slim donne l’exemple d’une mort intelligente ; une mort qui crée des formes, comme il a toujours fait. J’ose aller jusqu’à dire que Slim a eu la bonne part de la vie. Celle qui commence à cinquante ans n’est pas forcément enviable, avec ses retours de l’âge et les aînés que nous voyons partir l’un après l’autre.
Comme ses ouvrages et compositions, l’enterrement de Slim était aussi atypique et avait des couleurs inédites. On pouvait y trouver, côtoyant les hommes politiques, venus présenter leurs condoléances à son père, ce vétéran de la politique tunisienne, des ouvriers et des hommes de lettres, des forgerons, menuisiers, mosaïstes, sculpteurs, céramistes, architectes et décorateurs, artistes peintres et peintres en bâtiment, et autres habiles artisans avec qui Slim a réalisé ses œuvres et ses ouvrages.
Lotfi Essid