« Il n’y a pas un seul endroit dans ce pays où la nature est restée vierge ! Où que l’on aille, les déchets polluent le paysage, même là où on ne s’attend pas à une présence humaine, comme le désert, où j’ai trouvé des canettes de bière, des pots de yaourt, des bouteilles d’eau minérale vides et même des couches bébé… » Celui qui s’exprime ainsi est un écologiste de la première heure qui voit se détériorer de jour en jour la situation de notre environnement, en particulier l’épineuse question des déchets.
Nous avons voulu faire le point sur la situation actuelle et ce que nous avons découvert a de quoi inquiéter quant à l’avenir de notre environnement…
Si l’on s’en tient aux textes législatifs, l’article 45 de la Constitution tunisienne dit que « l’Etat garantit le droit à un environnement sain et équilibré et la participation à la sécurité du climat. L’Etat se doit de fournir les moyens nécessaires à l’élimination de la pollution environnementale. » Les déchets ménagers constituent pourtant un calvaire pour les Tunisiens depuis toujours et notamment depuis la Révolution.
Des traces indélébiles
Souvenez-vous : des équipements en très grand nombre ont été brûlés pour des raisons obscures. Puis, plusieurs grèves avaient transformé nos villes en dépotoirs à ciel ouvert et même les espaces verts, comme le Belvédère, ont été inondés de milliers de tonnes de gravats, tandis que des zones touristiques se couvraient de déchets industriels. Les titularisations massives qui ont eu lieu au cours de cette période agitée ont également eu un impact négatif sur la masse salariale, surtout que la plupart des municipalités ont cessé de collecter les redevances.
Les chiffres des déchets sont étonnants, puisque les ménages ne représentent que 3% (trois pour cent) de la masse globale, tandis que les industries mécaniques atteignent 53%, soit plus de la moitié. Viennent ensuite les industries chimiques, avec 14% et les industries électroniques et électromécaniques avec 10%. Le reste se partage entre les services aux voitures avec 8%, les industries agroalimentaires avec 6%, suivis par le papier, les industries textiles et l’agriculture qui varient entre 2 et 3%.
Un fonctionnaire d’un certain âge se souvient : « Avant, lorsque j’allais à la campagne avec ma famille, on admirait la verdure, les coquelicots, les arbres fruitiers et les champs de blé. Aujourd’hui, on ne voit plus que le spectacle affligeant des sacs plastique qui s’accrochent aux arbres et recouvrent les champs. C’est d’une tristesse navrante. C’est attristant pour l’avenir de nos enfants qui ne profiteront plus d’une nature saine et bien conservée ».
Au temps de l’ancien régime, les « boulevards de l’environnement » et la statue du fennec Labib tentaient de donner une image rassurante sur la situation de l’environnement en Tunisie. Notre pays faisait alors office de bon élève avec les décharges anarchiques transformées en décharges contrôlées et une flatteuse première place à l’échelle africaine. Mais l’urbanisation galopante due à l’exode rural a fini par créer des problèmes insolubles quant à la collecte des déchets et à leur évacuation. Une situation qui s’est aggravée depuis la Révolution au point de transformer nos villes, même celles qui ont une vocation touristique, en dépotoirs.
Concernant les méthodes de travail, la Tunisie a choisi depuis longtemps la formule de l’enfouissement des déchets ménagers et assimilés. Cette manière de procéder consiste à stocker les déchets dans une décharge en couches superposées, afin de minimiser leur impact sur l’environnement. Quant aux déchets dangereux, ils subissent généralement un traitement spécifique avant leur enfouissement.
Ce qui est préoccupant, c’est que la plupart des décharges sont incontrôlées et souvent sauvages, occupant des terrains vagues, des terres agricoles en jachères et même des lagunes qui servent de réserves pour les oiseaux migrateurs. Le vide laissé par l’absence de municipalités durant plusieurs années et le manque de moyens et d’équipement ont laissé des traces indélébiles dans nos villes et leurs banlieues. Et l’image dévalorisée des éboueurs n’a pas arrangé les choses…
Le rôle des « Berbechas »
Il y a eu aussi un problème dont on a peu parlé : celui de la fermeture de certaines décharges par des habitants excédés par les odeurs nauséabondes et les insectes nuisibles comme les mouches et les moustiques. C’est le cas de la décharge d’Enkhila à Nabeul, celles de Monastir, de Guellala à Djerba ou encore de Jradou, jadis consacrée aux déchets dangereux. Des problèmes auxquels il faut ajouter l’image peu valorisante du métier d’éboueur, mal payé, mal considéré mais si précieux…
Or, le plus grand problème pour les municipalités, c’est cette manie de nos concitoyens qui consiste à déposer leurs poubelles sur le trottoir à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, avec les chats qui viennent déchirer les sacs en plastique. Il y a aussi ces nouveaux acteurs dans l’univers des déchets : les ramasseurs de bouteilles en plastique. Certes, ils rendent un grand service à notre environnement, mais ils ont souvent tendance à éparpiller les containers, lorsqu’ils existent.
Ces containers occasionnent eux-mêmes des problèmes, puisque leur emplacement est rarement accepté par les riverains, chaque propriétaire de villa refusant qu’ils soient placés devant chez lui à cause des mauvaises odeurs et des déchets éparpillés par le vent, en attendant un passage des éboueurs. Si les méthodes de la collecte ont changé ces dernières années avec les camions bennes offerts par la Turquie et une mécanisation partielle, le ramassage manuel reste la dominante et le balayage est souvent nécessaire après le ramassage des sacs plastique car de nombreux détritus restent dans les rues.
Et puis, il y a les « Berbachas », ces hommes et ces femmes qui fouillent les poubelles à la recherche de bouteilles en plastique et autres objets qu’ils iront revendre pour quelques centaines de millimes à des grossistes. Ces derniers les enverront vers des centres de recyclage. Malgré ce service qu’ils rendent au pays, ils sont peu appréciés par les éboueurs professionnels qui les accusent de déverser le contenu des containers pour récupérer leur maigre butin.
Autre problème et non des moindres : les déchets brûlés. L’accumulation de ces déchets dans les rues et dans des dépotoirs anarchiques a poussé certains citoyens à opter pour l’incinération sur place, sans prendre en considération les dangers potentiels pour eux et pour leurs enfants. Cette pollution peut en effet dégager des gaz très dangereux pour la santé à court et long termes. Sans parler des résidus, qui vont rester en terre et qui vont polluer les plantes durant de longues années.
Et puis, il y a ce scandale des objets jetés sur les routes, une manie très répandue chez nos concitoyens. Ils jettent tout et n’importe quoi par la fenêtre des voitures sur les routes, sans se soucier de l’impact de leur geste sur la nature. Résultat : les bords de nos routes sont souvent jonchés de canettes de bière, de mouchoirs en papier, de bouteilles en plastique et autres gaietés.
Un manque de civisme qu’un autre écologiste décrit en ces termes : « C’est déprimant de voir le comportement des automobilistes sur les routes et leur manque de respect pour la nature, les plantes et les animaux, car tous ces déchets vont se décomposer et se retrouver dans leur alimentation. Et que dire aussi de leur comportement sur les plages chaque été, avec les restes de pastèques et les couches bébé abandonnées sur place… »
Rappelons également que nos industriels ont un rôle à jouer en diminuant les nombreux emballages, tout comme certaines grandes surfaces qui continuent à distribuer des sachets en plastique à leurs clients, alors qu’ils ont été interdits depuis plus d’un an. La solution du recyclage même partiel est intéressante, mais elle a montré ses limites. Il faut aller voir ailleurs comment font les autres pays et s’en inspirer, car cette situation ne peut plus durer et la nature commence à montrer ses limites…
Yasser Maârouf