«Nul homme ne sait, tant qu’il n’a pas souffert de la nuit, à quel point l’aube peut être chère et douce au cœur», prophétisa l’écrivain britannique Bram Stoker (1847-1912), dans son mythique «Dracula». L’histoire contemporaine de notre pays témoigne que la gauche tunisienne a été condamnée avec horreur à souffrir de la nuit par la moutonnaille politique dans les années soixante et soixante-dix dont le tort fut d’avoir eu raison trop tôt. Une histoire qui sent l’haleine fétide des militants torturés, où l’on entend les gémissements au cœur des nuits blanches, baignées de gros cris rauques de résistance. Une résistance à l’ardent désir officiel de tordre les libertés. Mais malheureusement, ce crédit a été lamentablement dilapidé ! La gauche d’aujourd’hui ressemble de plus en plus à sa caricature. Hors sol, éthérée, qui semble vivre au-dessus d’elle même. Elle n’a plus le même rayonnement. La «magie» d’antan n’opère plus. Elle semble même sortir de l’Histoire, de son époque. Question simple : pourquoi ? Réponse tout aussi simple : parce que son pari est de contrer le Président Kaïs Saïed en survalorisant, comme lui, les thématiques populistes, tout en continuant de défendre, bêtement, la «matrice révolutionnaire» qui avait permis de propulser les islamistes au sommet du pouvoir. Longtemps soutenue par l’intelligentsia, la gauche a offert le spectacle d’un courant idéologique sombrant dans l’extrémisme le plus dramatique. Comme souvent dans l’Histoire, la montée des extrêmes s’accompagne d’un effet miroir. À la radicalisation des populistes, répond celle des gauchistes ! Une conception victimaire et culpabilisatrice, qui ne connaît des rapports politiques que l’opposition extrême/extrême ! Dans le viseur de ce profond clivage se trouvent à la fois quelques médias, des universitaires, des intellectuels, des ONG attisant les haines. Le mot même de «gauchiste» est devenu infamant. C’est une étiquette que l’on colle sur les adversaires de Kaïs Saïed pour les disqualifier, puisque ce mot suppose une complaisance fantasmée à l’égard des islamistes. La gauche a délivré, ces dernières années, le message incorrect de l’opposition démocratique et s’est forcée de jouer dans une pièce qui n’est pas la sienne. Ce désastre condense toute la précarité, tout le désarroi d’une gauche profondément déstabilisée. Si l’on veut éviter l’isolement, alors il faut se placer résolument du côté du peuple et son soulèvement, le 25 juillet dernier, contre les islamistes et leur «idiots utiles». Un courant politique émerge et devient fort quand ses buts politiques font écho aux aspirations du peuple, le reste n’est qu’une propension à régresser et à céder aux comportements les plus infantiles. Au sommet, les dirigeants de la gauche ont multiplié les erreurs d’analyse et les atermoiements à propos de la popularité de Kaïs Saïed, faisant le pari désastreux d’appeler à le dénigrer. À la base, les mouvements dans la rue se sont ralliés aux islamistes. C’est la honte, le déshonneur. La gauche est au stade de «la rigidité cadavérique avant la fermeture du cercueil», selon une formule blessante de l’un des théoriciens de la droite libérale en Occident, l’écrivain et philosophe français Jean François Revel (1924-2006). Une porte s’est refermée, mais à travers le «trou de la serrure», on peut constater la situation lamentable d’une gauche tunisienne qui a rompu avec son glorieux passé. Je parle de l’inconséquence de certains responsables de la gauche, voire de leur irresponsabilité dans le contexte actuel, mais je ne mets pas en doute leur engagement démocratique. Je ne veux pas discréditer d’emblée toutes leurs critiques envers Kaïs Saïed et sa politique, surtout celles qui ont pour seul intérêt de nous forcer à mieux préciser les sens des principes défendus par les «Dieux perspectivistes» : Mohamed Charfi, Noureddine Ben Khedher, Gilbert Naccache, Salah Zghidi… Ce n’est pas par hasard si l’histoire se clôt sur une porte qui se ferme et un verbe de mouvement, partir. Mais lorsqu’apparaît enfin la lumière, la nuit se mue en éclatante célébration de la délivrance. Soyons optimistes !